Quid de l'avenir du cinéma ?
De moins en moins de tournage en France
Adèle Haenel
Il y a un vrai questionnement sur la façon dont on fait du cinéma. C'est un métier de passion où en France, on se dit souvent "on va se dépenser sans compter", que ce soit pour les techniciens ou les acteurs. Le problème, ce n’est pas de pouvoir le faire mais c’est que cela se normalise. Il y a eu une crise dans le cinéma au moment où les techniciens qui travaillaient depuis super longtemps, et pas qu’eux d’ailleurs, ont proposé une convention collective. Celle-ci n’est absolument pas souple. Il faut prendre en considération les gens avec qui on travaille mais il faut arrêter de penser qu’on peut faire plein d’économies sur le dos du travail. La réponse à mon avis n’est pas du tout adaptée.
Joséphine Japy
C’est quelque chose qui m’intéresse et qui est important pour moi. C’est pour cela aussi que je continue mes études. J’aime comprendre ces choses-là ou en tous cas essayer de les comprendre. Il faut reconnaître qu’il y a quand même eu énormément de gens dans les salles cette année. Le cinéma est un marché comme les autres, il faut qu’il y ait de la confiance pour qu’il y ait de l’investissement et des tournages. Il y a d’autres pays européens où le cinéma, avec la crise, a énormément souffert voire disparu comme en Espagne. Il faut être positif car tout nous permet de l’être ici en France.
Marc Zinga
La question du manque de tournage ici me renvoie aussi au débat sur les scénarios. C’est un métier particulier. Le cinéma a une position compliquée entre la place de l’artiste et le rayonnement de tous ces privilèges. Il faut réussir à faire de tout cela quelque chose de bien et donc valoriser le métier de scénariste. C’est une science qui est complètement inexacte, c’est un métier qui tient de l’opportunisme au sens objectif. Un métier d’opportunité, de perspicacité. Un moment les choses foisonnent, parfois la source se tarit. C’est un mouvement. Il faut une vigilance et un sérieux sur la manière de légiférer sur ces choses-là, c’est sûr.
Pierre Niney
On sait que le cinéma marche très bien, voire de mieux en mieux donc ma seule réponse à cela serait de continuer à lui faire confiance, de ne pas être frileux. Le cinéma français est quelque chose de très important dans notre culture et dans la culture mondiale. Quand on va aux Etats Unis, on voit comment ils sont fous des films qu’on fait, de notre particularité. C’est une industrie qui fonctionne très bien.
Vincent Lacoste
Le problème des projets qui ne se font pas lié à la réforme sur les salaires minimums. D’un côté les gens qui travaillent doivent être payés. En même temps on pouvait avant faire des tous petits films qui ne peuvent plus se faire maintenant. C’est une question de financement aussi. Les chaines de télé financent les films qui peuvent marcher, donc qui peuvent faire de l’audience. Cela ne laisse pas assez de place à un cinéma plus intimiste, plus auteur. Heureusement après il y a des chaines comme Arte. Même Hippocrate qui est un film à petit budget a pu se faire car France 2 a mis de l’argent puis le CNC.
Solveig Anspach
Il y a un tel écart entre les petits films à petits budgets et les gros films où il y a plein d’argent. Quand on fait plutôt des petits films, ce qui est mon cas, on doit tourner très très vite, et au bout d’un moment, c’est fatigant. Lulu femme nue, on l’a tourné ultra-vite. On y est arrivé, on peut toujours y arriver, mais ce serait plus confortable d’avoir plus de temps.
Julie Bertuccelli
Je crois beaucoup à l’énergie des jeunes générations, des jeunes qui vont toujours se débrouiller pour faire des films. Dès qu’on commence à se dire, c’était mieux avant, j’ai l’impression que c’est qu’on commence à vieillir. Je sais qu’il y a beaucoup de choses à réinventer encore.
J’étais très perplexe et inquiète avec ces conventions collectives. Je pensais bien qu’il y allait avoir moins de tournages, des choses plus difficiles pour les premiers films. Ca ne fait que confirmer mes inquiétudes. Cela dit, ce sont aussi des moments de transition.
Mais il faut surtout ne pas oublier, c’est quelque chose d’important aussi : des études précises ont enfin été faites sur ce que rapporte le cinéma en tant que tel. Tant que les gouvernements n’en auront pas conscience, que c’est un des secteurs qui rapportent, plus que l’automobile par exemple, c’est quelque chose de très important aujourd’hui. Il faut continuer à aider coute que coute ce cinéma. L’art a besoin d’être soutenu.
Pierre Schoeller
Je reste persuadé qu’il y a de l’argent dans le cinéma, il y a un volume d’activité. On sait qu’on ne peut pas rivaliser avec certaines choses, mais on peut faire beaucoup.
La question des salaires
Adèle Haenel
Concernant la tribune de Vincent Maraval, c’est autre chose. Les acteurs qui sont bankables deviennent des indicateurs financiers. Sur un film, ils vont permettre de ramener beaucoup de capitaux et du coup, ils ont un poids. Ils ont ce pouvoir de dingue et demandent donc des salaires de dingues.
Joséphine Japy
Quand j’étais petite et que j’ai commencé à tourner, tous mes copains pensaient que je gagnais énormément d’argent. Ce n’est pas vrai. Ça arrive avec certains comédiens mais par rapport aux nombres de films qui se font chaque année, ce n’est quand même pas mirobolant. Tout ceci me touche sans m’inquiéter. Si c’est un métier qu’on fait pour l’argent, c’est une mauvaise raison de toute façon. On n’est pas fait pour ça.
Marc Zinga
Ce que je déplore le plus, c’est quelque chose qui n’est pas évoqué là-dedans et qui pour moi est primordial et au centre, c’est la valorisation du métier de scénariste. Quand une machine de guerre comme Friends est capable d’être arrêtée parce que des scénaristes font grève, ça nous donne la mesure du respect qu’on doit avoir pour cette corporation. Que ce soit en Belgique dans mon pays ou ici, on souffre de cela. Pour amorcer une dynamique juste, il faut repartir sur cette base-là. Les salaires exorbitants sont pour moi des questions secondaires.
Marianne Denicourt
Ces mouvements qui agitent notre métier n’agitent pas que notre métier mais toute la société voire en tous cas tout l’Occident. Les écarts de richesse se creusent, c’est dangereux, ce n’est pas bien. Je ne vais pas regarder cela que par le prisme du cinéma. Je pense que le cinéma est à l’image de ce qu’il se passe dans la société et c’est un problème. Trop d’écarts et de généralités qui se creusent ne débouchent sur rien de bon.
Notre reportage : le métier de producteur par ceux qui l'exercent, réalisé en 2012