A l'occasion du lancement ce mercredi du 22e festival international du film fantastique de Gérardmer, découvrez notre rencontre avec le président du jury Christophe Gans, réalisateur et co-scénariste de Crying Freeman, Le Pacte des loups, Silent Hill et La Belle et la bête. Christophe Gans avait déjà été membre du jury en 2002 sous la présidence de Norman Jewison. Rencontre matinale dans un café parisien du quartier de St-Germain-des-Prés avec un président du jury serein et lucide sur l'état du cinéma fantastique.
Comment vous sentez vous à l’approche du festival ?
Vous savez, quand on vous demande d’être dans un jury c’est une chose, quand on vous demande d’être président c’en est une autre. Vous avez une responsabilité accrue dans la mesure où vous allez emmener les jurés pour qualifier un film qui d’une façon ou d’une autre devra rester. Pour moi attribuer un prix, c’est miser le bon numéro.
Pour moi les grands prix de Gérardmer doivent être à la hauteur d’Avoriaz son ancêtre, ce sont Duel, Soleil Vert, des films qui ont marqué ma cinéphilie et mon enfance. Et même Phantom of the Paradise, qui est le film qui m’a fait pivoter et m’a incité à devenir cinéaste.
Donc j’ai une responsabilité importante. Le cinéma fantastique est devenu extrêmement populaire, même auprès de gens qui autrefois le snobaient. Donc le choix me semble d’autant plus crucial, qu’il donnera une indication sur ce qui va nous sembler un vrai film fantastique.
Le film choisi sera-t-il le reflet d’une tendance ?
Il y a plusieurs tendances. La première c’est que le cinéma indépendant américain s’hybride avec le fantastique. Il est de plus en plus difficile de faire des films indépendants aux Etats-Unis, de la même façon qu’il est plus difficile en France de faire des films d’auteurs. Donc l’idée de mixer ces films indé à des thèmes « commerciaux » -qui plaisent à un large public- donne une sorte de second souffle à ce cinéma indépendant. Donc on ne choisira pas un film dont le fantastique n’est qu’une béquille. Il faut un bon équilibre entre la personnalité du film, celle de son réalisateur et le fantastique. (…) Pour moi, le fantastique c’est une chose sérieuse. Je n’irais pas avec un petit sourire narquois toiser un film.
Gérardmer : découvrez toute la sélection et le jury complet !
Regrettez-vous l’absence du cinéma fantastique français dans la sélection de cette année ?
Non, ce n’est pas un regret, c’est un constat. On ne va pas se mentir, la vague française est retombée, celle de la french frayeur initiée par Alexandre Aja. Autant Aja la vivait réellement, autant souvent les produits arrivés derrière même s’ils ont été faits par de vrais amateurs de fantastique l’ont été pour des raisons purement industrielles. Or j’ai la sensation que le cinéma fantastique ne peut pas être uniquement une question industrielle. Il faut que les gens qui le fassent le fassent avec leur cœur –ce qui est en principe le cas, mais aient aussi des retours sur investissements.
Beaucoup des frenchs frayeur se sont mis à la botte du cinéma américain, ils ont été des copies des slashers et d’un slasher en particulier, Détour mortel, qui est devenu le mètre étalon du french frayeur. C’est un film sympathique, mais pourquoi s’inspirer d’un film de troisième génération des enfants de Massacre à la tronçonneuse et pourquoi ne pas s’inspirer de Massacre à la tronçonneuse ?
Hors compétition à Gérardmer se trouve Ouija, remake de Witchboard, qui eut à l’époque deux suites, n’est-ce pas une tendance des américains de ressusciter des succès dans les tréfonds du cinéma fantastique ?
Prenez Annabelle. Son succès a été pour beaucoup une interrogation. Décrié par la critique, il a néanmoins extraordinairement marché. Parce que sans doute le public qui avait aimé Insidious et Conjuring, avait envie de s’approprier un film et de le garder pour lui. Les gens qui sont allés voir Annabelle savaient de quoi il s’agissait, et ils étaient entre eux.
C’était un film pour initiés ?
Oui, mais sur un mode plus proche du succès d’American Pie que d’un film fantastique normal. On y allait pour se marrer, pour avoir peur, et on le faisait en sachant que c’était le spin-off d’un film comme Conjuring. Donc il y a toujours une volonté du public qui moi m’intéresse (…), celle de s’approprier un film fantastique et de le retirer à ce que j’appelle le mainstream. Le fantastique a toujours été une façon pour des niches sociales ou des catégories d’âge de revendiquer leur indépendance par rapport aux normes.
Et le festival de Gérardmer, par le biais de ses récompenses, va permettre à quelques films récompensés d’atteindre le Graal : la sortie en salles, car ces films pour la plupart n’arrivent plus dans nos cinémas.
Oui, par exemple on sait tous que depuis quelques années, il y a ce que l’on appelle le "buzz de Sundance", qui est total. D’ailleurs le buzz de Sundance est souvent un film fantastique. Cabin Fever avait explosé là-bas, par exemple. Donc effectivement le cinéma indé, depuis que Tarantino a fait du cinéma de genre l’un de ses fers de lance. Aujourd’hui, Sundance est devenu un festival commercial. Tous les gros distributeurs que je connais y sont en ce moment. Tous. Pour chercher la perle. Ils ne vont pas y chercher un beau film indépendant, ils vont y chercher un film qui cartonne.
Et c’est dans cette optique-là qu’on pourrait nous agir. Les films français fantastiques pourraient être de formidables produits d’appel car nous ne sommes pas sous l’égide de majors. Lorsque je fais Silent Hill ou La Belle et la Bête, ils sont produits avec des budgets que peuvent se payer les distributeurs indépendants. C’est pour ça que ces films sont financés. Ils sont ambitieux, et attractifs pour des gens qui ne peuvent pas avoir accès aux productions des majors.
Quel est l’élément d’un film fantastique qui peut faire la différence pour vous ?
Ce serait très hypocrite de ma part de dire que je vais récompenser un film potache avec de l’humour au troisième degré. Je vous l’ai dit, le cinéma fantastique c’est une chose sérieuse. Après, on a le droit de bien rigoler, Gremlins c’est un film drôle, mais c’est un film rigolo. J’adore Joe Dante, il a fait du cinéma fantastique sympathique, mais en le faisant avec sérieux. Comme un véhicule de thèmes, de réflexions, d’idées importantes et brillantes.
Des gens comme Spielberg, Zemeckis et Joe Dante ont créé une approche du cinéma de genre qui est exactement la mienne. James Cameron étant le plus brillant de ces représentants-là. Ils ont découvert le cinéma de science-fiction américain dans les années 1950. C’était un genre à la fois très amusant à regarder, et en même temps bourré de thèmes assez angoissants et très importants comme la course au nucléaire. Et je crois qu’ils ont gardé à la fois l’émerveillement et l’angoisse. Ça se lit encore dans leurs films (…).
Et pour moi c’est cette balance qu’il est très important de garder. Le cinéma fantastique a forcément une charge poétique, mais il doit avoir aussi une forme d’intelligence et de discours sur notre réalité. Je crois que c’est ça qui fait un film fantastique hors du commun.
Le Festival international du film fantastique de Gérardmer s’ouvre ce mercredi 28 janvier à 19 heures, et présente en ouverture le film Ex Machina, d'Alex Garland avec Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis).
Propos recueillis par Corentin Palanchini le 23 janvier 2015, à Paris.
La Belle et la Bête, dernier film en date de Christophe Gans :