"Quand vient la nuit" est votre premier film aux Etats-Unis. C’est également le premier film de votre carrière pour lequel vous n’avez pas signé le scénario. Avez-vous retrouvé la même liberté ?
La liberté, c’est un concept relatif. On est souvent très fixé sur la liberté totale, mais c’est un poison. Ca paralyse. C’est dans les restrictions qu’on retrouve la créativité. On trouve les solutions, on doit choisir, prendre des décisions. C’est là qu’on montre la créativité. Et avec un écrivain comme Dennis Lehane, qui a écrit un super scénario, ça devient une collaboration. Mais à la fin, c’est ma tonalité, mon film, que j’ai créé avec l’aide d’une grande équipe.
C’est dans les restrictions qu’on retrouve la créativité.
Avez-vous effectué des recherches sur le milieu du crime organisé à Brooklyn, comme vous l’aviez fait sur le trafic d’hormones pour "Bullhead" ?
Dennis (Lehane) avait déjà fait la plupart des recherches. Pour moi, c’était surtout important de rencontrer les gens. Les techniques mafieuses ont été bien documentées dans le passé, il ne faut pas les réinventer. Pour moi, le plus important, c’était de voir la réalité des gens. Comment ils vivent, comment ils sont, comment un bar respire. Et en cherchant le bar, j’ai fait beaucoup de rencontres avec les gens qui vivaient là. Pour beaucoup, le bar est leur salon. C’est l’endroit où ils vivent, où ils rencontrent leurs amis, où ils regardent la télé, où ils évitent la solitude. Donc c’était plutôt une sorte d’expédition anthropologique que des recherches au niveau de la mafia. On a entendu des flics, des pompiers, plein d’histoires… C’est ça qui était important : entendre la tonalité de la vie dans les bars.
C’était plutôt une sorte d’expédition anthropologique que des recherches au niveau de la mafia
"Quand vient la nuit" est le dernier film de James Gandolfini. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec lui ?
Il était super sympa. C’était un grand monsieur qui n’avait pas peur de montrer la vulnérabilité nécessaire à un comédien pour bien jouer. Il a énormément d’expérience, mais il était prêt à se réinventer pour ce personnage. Il n’était pas paresseux, pas du tout. Il était là comme si c’était son premier film. Et en plus, il était très intelligent, très drôle. Un grand monsieur…
James Gandolfini était là comme si c’était son premier film.
Vous souvenez-vous du dernier plan que vous avez tourné de lui ?
C’était le plan dans la voiture, quand il conduit avec le mec à côté de lui. Le dernier plan, c’est eux ensemble.
Parlez-nous du pitbull que recueille le personnage de Tom Hardy. Cet animal doux en apparence et qui cache une violence latente est-il le reflet du personnage ?
Je pense que ça reflète plutôt le choix du personnage d’Eric Deeds (Matthias Schoenaerts). Souvent, beaucoup de gens qui choisissent un pitbull sont des gens qui n’en ont pas besoin. C’est même dangereux de l’avoir pour eux, parce que le chien représente quelque chose qu’ils n’ont pas. Une consistance, une force… C’est un symbole. La plupart des propriétaires de pitbulls sont des gens qui le choisissent pour de fausses raisons, comme Eric Deeds. Bob, par contre, lorsqu’il le voit, ne sait même pas que c’est un pitbull. Il pense que c’est un boxer.
Tom Hardy et Matthias Schoenaerts se retrouvent face à face et appartiennent tous les deux à la même famille d’acteurs. Aimez-vous travailler avec ce genre de personnalités ?
Oui, Matthias c’est un copain. On a travaillé ensemble déjà avant Bullhead. Et quand j’ai choisi Tom Hardy pour jouer le rôle de Bob, je savais que j’avais besoin de quelqu’un pour équilibrer sa force, quelqu’un qui pourrait tenir le coup face à quelqu’un comme Tom. Et Matthias est puissant. Comme c’est un ami, il a bien voulu le faire même si c’est un rôle plutôt petit. Ça marche super bien d’avoir les deux énergies l’une face à l’autre.
Ça marche super bien d’avoir les deux énergies l’une face à l’autre.
Et leurs personnages respectifs dans votre filmographie se font écho. Jacky dans "Bullhead" et Bob dans "Quand vient la nuit" sont deux solitaires qui cachent un lourd secret…
Oui, c’est vrai. Ce sont des personnages qu’on retrouve tous les deux pendant une sorte d’hibernation existentielle. Ils ne sont pas vivants. Ils existent, mais ne vivent pas. Ce sont des personnages qui, à ce moment-là, se cachent à eux-mêmes… Mais un petit évènement va changer le cours des évènements. Et là, le personnage devient vivant. Parce que quelqu’un comme Bob, c’est un personnage qui a perdu son âme, et qui la retrouve presque littéralement dans une poubelle. Mais c’est une âme blessée.
"Quand vient la nuit" marque votre troisième collaboration avec Matthias Schoenaerts. Vous souvenez-vous de votre rencontre?
Oui, c’était pour le casting d’un court métrage, et il devait jouer quelqu’un qui était blessé. On filme, il le fait super bien. Et après j’entends qu’il venait de sortir de l’hôpital parce qu’il avait eu une appendicite et qu’il avait vraiment mal. Et moi je me disais "Putain, quel comédien !" (rires) Mais il est génial, c’est quelqu’un de très intelligent, très sensible, généreux. Il comprend très vite l’émotion profonde d’un personnage, le cœur et l’âme.
Il comprend très vite l’émotion profonde d’un personnage.