Avec "Une Nouvelle Amie", vous semblez jouer la carte du mystère. On ne voit pas le visage de Romain Duris en femme ni dans la bande-annonce, ni sur l'affiche où il est de dos. Est-ce une forme de stratégie ?
François Ozon : J'ai vécu une expérience douloureuse avec un film il y a quelques années, qui s'appelait Ricky, où il y avait aussi quelque chose de secret, d'extraordinaire même, du point de vue de l'intrigue -c'est-à-dire que le bébé avait des ailes- et cela a été révélé dans la bande-annonce alors que ça intervenait au bout d'une demi-heure de film. Je pense que c'était une mauvaise idée, j'était contre. Ici, c'est un peu différent. La surprise n'en est pas vraiment une puisqu'elle intervient au bout de dix minutes. Là, l'idée qu'a eu le distributeur, c'était de ne pas montrer la transformation de Romain Duris. Les gens savent qu'il joue à la fois un homme et une femme mais si vous voulez la voir, il faut aller voir le film. On essaye de créer du désir.
Le titre du film a changé au cours de la production. "Je suis femme" à l'origine est devenu "Une nouvelle Amie". Est-ce que cela participe également au mystère souhaité ?
La nouvelle qui a servi de base au film s'intitule en anglais "The New Girlfriend", mais c'est vrai qu'au départ j'avais choisi un autre titre, "Je suis femme" et je me suis rendu compte que cela pouvait créer une confusion quant au sujet du film. Qui dit "Je" ? Tout le monde peut penser qu'il s'agit de Romain Duris alors que j'estime qu'il correspond davantage à Claire, le personnage interprété par Anaïs Demoustier. Alors j'ai préféré revenir à un titre plus neutre, qui reste ambigü car "Une Nouvelle Amie" peut aussi bien parler d'une amitié que d'une histoire d'amour.
Les manifestations contre le mariage gay m'ont choqué, frappé, blessé...
Les débats autour du genre et du mariage pour tous vous font-ils craindre que le film fasse polémique ?
J'ai écrit le scénario au moment où il y a eu plein de manifestations en France contre le mariage gay et l'égalité des droits. Elles m'ont choqué, frappé, blessé même, et je me suis dit qu'il fallait essayer avec ce film, puisque je suis presque à mon insu dans l'actualité, de répondre non pas de manière agressive ou violente à ces gens qui ont une vision sur ce que doit être le couple, la famille et la sexualité très stérérotypée, très conservatrice, mais essayer de leur raconter une histoire qui leur montre la complexité des choses et qui essaye de dédramatiser. Alors j'ai choisi d'en faire quelque chose d'universel en utilisant les codes du conte de fée. Deux personnages qui vivent un drame puis qui se reconstruisent jusqu'à une forme de happy-end.
Au cours du film, lorsque Virginia sort de chez elle en femme, fait les magasins, revit, elle n'est jamais moquée par les passants, ou même regardée de travers. Vous vouliez éviter cette dramatisation justement, qui doit pourtant être une réalité pour les travestis ?
La culpabilité et l'angoisse sont intériorisées dans les personnages. Si ce film s'était déroulé dans les années 40-50, les réactions auraient été violentes. Mais ce que je veux montrer dans ce film c'est que les gens sont aujourd'hui suffisamment tolérants et ouverts. Cela peut faire ricaner, sourire, effectivement. Il y a des crispations, venant de minorités. Mais les gens dans leur majorité sont prêts à accepter la différence.
Vous allez envoyer une invitation à Christine Boutin pour qu'elle aille voir le film ?
Non, certainement pas ! Je préfère qu'elle paye ! (rires).
Le film traite du genre. Et il est justement entre deux genres...
Effectivement, c'est un film sur le transgenre alors il y a un jeu là-dessus, mais j'ai toujours aimé mélanger les genres. Passer du dramatique à la comédie me vient naturellement. Il y a des moments qui sont de l'ordre de l'émotion et d'autres du plaisir. Ce n'est pas la grosse farce, mais c'est léger. Je voulais montrer que ces personnages se font du bien, ensemble, et il fallait partager cela avec le spectateur à travers la légèreté.
François Ozon évoque les grands films sur le travestissement, de Mrs Doubtfire à Chouchou, en passant par Laurence Anyways de Xavier Dolan, dans la vidéo ci-dessous :
Romain Duris était excité à l'idée de "créer" dans le sexe opposé
Pourquoi votre choix s'est porté sur Romain Duris pour incarner David et Virginia ?
J'ai vu beaucoup d'acteurs. J'ai fait passer plein de castings qui comprenaient des transformations. Avec Romain Duris, ce qui s'est passé était magique. Il en avait très envie. Il voyait ce rôle comme la continuité de son travail d'acteur. Il était excité à l'idée de créer dans le sexe opposé. Je lisais dans ses yeux quelque chose de très ludique et enfantin. Et c'est exactement ce que je voulais que le spectateur ressente. C'était l'idéal.
Le film semble se dérouler dans un univers plus anglo-saxon que français. Avez-vous tourné en Amérique du Nord ?
Je ne voulais pas inscrire le film dans une réalité franco-française. J'avais envie de styliser, mettre de la distance, pour être toujours dans cette idée du conte de fée. Une partie du film a donc été tournée au Canada.
Le format série est de plus en plus populaire. On pense parfois à Desperate Housewives à travers cette banlieue résidentielle dans Une Nouvelle Amie ou précédemment dans Dans la maison. Est-ce que c'est un genre qui vous intéresse ?
On m'en a déjà proposé. Pourquoi pas ? J'aime les séries qui ont vraiment quelque chose à raconter et qui ne déclinent pas le même thème à l'infini. Certaines épuisent un très bon filon. Si je le fais, il faudrait que le sujet mérite cette ampleur, cette durée. J'aime beaucoup le côté épisodique, cliffhanger en fin, c'est amusant. Créer un lien avec le spectateur, un désir de connaître la suite. Mais la série ne laisse pas assez souvent à mon goût place à l'imaginaire. On dit trop les choses, on les explique.
Propos recueillis par Jean-Maxime Renault