AlloCiné : Les films d’horreur sont bien souvent mis en scène par des hommes. Il y a très peu de femmes qui réalisent ce genre de long métrage. Selon vous pourquoi ?
Jennifer Kent : Pour être honnête je n’ai pas pensé à mon genre quand j’ai souhaité mettre en scène Mister Babadook. J’avais cette histoire à raconter et j’aime les films d’horreur depuis que je suis enfant, ça a donc été une évidence pour moi de raconter cette histoire via ce genre.
C’est vrai qu’il y a peu de femmes qui réalisent ce genre de films mais paradoxalement un grand nombre d’entre nous aime les films d’horreur. Une enquête a été menée récemment et il s’avère que les films d’épouvante sont vus à 50 % par des femmes. Il y a donc une grande audience féminine. Et donc une grande part de marché à prendre.
Je pense que le problème avec beaucoup de films d’horreur c’est que les gens les dédaignent, souvent parce que l’histoire n’est pas fouillée… Il y a un tueur et des jeunes gens qui se font massacrer.
Mister Babadook raconte une histoire importante sur l’amour maternel, la maternité et la difficulté d’être mère. Je pense qu’un homme n’aurait pas pu réaliser un tel film.
Il est temps que les réalisatrices osent franchir le pas. C’est important, à mon sens, que les deux sexes soient représentés et apportent leurs différentes visions des choses au cinéma d’épouvante.
Lors de festivals j’ai rencontré de nombreuses jeunes femmes qui souhaitent mettre en scène des films d’horreur donc je pense qu’une nouvelle vague de films de ce genre avec une sensibilité plus féminine va bientôt arriver.
"Mister Babadook" est votre premier long métrage, 8 ans auparavant vous aviez mis en scène le court "Monster" dont l’histoire est similaire. Peut-on dire que "Mister Babadook" est le remake version longue de "Monster" ?
Je n’utiliserais pas vraiment le mot remake mais en effet, Monster est le point de départ. Mister Babadook est une version plus complexe de l’histoire.
Je suis fascinée par les gens qui n’osent pas affronter les choses dans leur vie, ce n’est pas toujours facile de faire face aux côtés sombres de notre existence, mais je trouve qu’il est vraiment nécessaire de surmonter les difficultés qui se présentent à nous. Je crois que l’une des raisons pour lesquelles les gens souffrent c’est qu’ils veulent être heureux tout le temps. Et ce n’est pas possible, il faut en être conscient.
Le personnage de la mère m’a fascinée parce qu’elle ne fait jamais face à ce qui l’effraie ou aux souvenirs qui la hantent, et je m’en suis servi pour creuser le rôle. A cause ou grâce au monstre, elle va devoir affronter son côté sombre.
Finalement le véritable sujet du film ne serait-il pas qu’il faut affronter ses plus grandes peurs pour arriver à vivre ?
Exactement ! Pour moi c’est la chose la plus importante. Certaines personnes me disent que c’est un film sur la maternité, sur les relations mère-fils, c’est exact mais ce n’est pas le sujet principal. Le thème central est d’arriver à faire face à l’insurmontable. Ça prend plus d’énergie de repousser ce qui nous fait mal plutôt que de foncer tête baissée dedans mais il faut le faire pour survivre. C’est du moins ce que je pense.
C’est un film d’épouvante car vous avez choisi de le traiter de cette manière mais au final ça aurait très bien pu être un drame. Le Babadook pourrait représenter le côté sombre de la mère qu’elle se retrouve forcée à affronter…
Oui tout a fait ! A mon sens c’est une bonne lecture du film. Mais je suis toujours frileuse à l’idée de dire ce que représente le Babadook, je sais ce qu’il est pour moi, mais il peut être différent pour chaque personne. Les gens ont la possibilité de choisir s’il est réel ou si la mère devient folle. Il y a dans le film des éléments psychologiques et surnaturels de ce fait les deux interprétations sont bonnes.
Pourquoi avoir choisi d’appeler votre monstre Babadook ?
J’aimais beaucoup le nom Jabba Wookie, j’ai cherché un nom qui n’existait pas et qui ne voulait rien dire et qui résonnait de la même façon.
Plus tard j’ai découvert le mot "Babaroga" qui signifie Boogeyman en serbe. Et j’ai commencé à jouer avec la consonance "Baba". Et j'ai trouvé d’un coup, alors que j’étais en train d’écrire la scène du film où l’enfant découvre le livre (book en anglais), j’ai eu un flash "baba, book"… Babdook !
Ce qui est amusant c’est que, quand le film a été présenté à Sundance, les spectateurs pensaient que Babadook était issu d’une légende australienne… J’ai trouvé ça mignon.
Pour vous quelle est la chose la plus importante dans un film d’horreur ?
Je pense que le plus important dans ce genre de film ce sont les personnages. Si les rôles sont bien écrits et que les acteurs les interprètent correctement, le spectateur ressent de l’empathie pour eux et a réellement peur. Quand vous êtes attachés aux personnages, vous vivez vraiment le film…
Malheureusement dans de nombreux films d’horreur les personnages ne sont pas creusés, ils ne sont là que pour pouvoir se faire tuer. On ne s’attache pas à eux et au final on se fiche du fait qu’ils meurent ou non…Ça gâche un film d’horreur.
L’un des films les plus angoissants en ce sens est Open Water parce que pendant 1h on apprend à connaître ce couple, on s’attache à eux, on a envie que le bateau revienne les sauver, on a peur que les requins arrivent… C’est un très bon film.
Parallèlement si vous regarder Piranha, c’est certes un autre genre de film, mais vous n’avez aucune empathie pour les personnages, vous vous fichez de ce qui peut leur arriver et au final vous riez plus qu’autre chose.
La bande-annonce de "Mister Babadook"