"Jeux Interdits", un film trop éprouvant pour son époque (1952)
Cette image, qui est la plus connue du film, représente une scène extraordinaire...
"Cette image, qui est la plus connue du film, représente pour moi une scène extraordinaire, celle où l'on écrit le nom des animaux qui vont être dans le cimetière que Georges Poujouly alias Michel, a fait pour moi. Il y avait de la pluie et une fausse nuit, dite "nuit américaine", avec des bâches autour. René Clément était très énervé par le son brouillé par la pluie. On avait déjà dû recommencer la scène à cause de cela."
"Puis il a fallu que le cafard entre dans le champ afin de donner l'idée à Georges de tourner au-dessus de lui avec son porteplume, comme un avion. Allez diriger un cafard ! Quand le cafard arrivait au mot "tope", écrit bien sûr avec une faute d'orthographe, il retournait tout de suite hors champ ! Quarante fois d'affilée!"
Enervé, René Clément a alors dit : "C'est fini, on va remballer, le cafard ne veut pas entrer dans le champ !"
"A un moment donné, René Clément a lancé sa pipe et sa casquette à travers le champ et a dit "C'est fini, c'est terminé, on arrête, on va remballer, le cafard ne veut pas rentrer dans le champ!" Mais sur les conseils de la scripte, il a accepté de recommencer. Le cafard a obtempéré mais cette fois-ci, c'est Georges qui l'a raté ! J'ai cru qu'il allait devenir fou ! On a retourné une dernière fois et il l'a eu !"
"Malgré mon jeune âge, je comprenais tout à fait son point de vue. J'étais solidaire et ne me rendais pas compte de la cruauté dans le fait de jouer à la guerre, de transpercer un cafard. J'étais devenue une vraie comédienne, occupée par cette entrée du cafard dans le champ et par l'envie qu'il se mette à travailler avec nous ! J'ai même eu du mal à pleurer pour le film tant j'étais contente quand on a tué le cafard !"
Georges Poujouly et moi-même nous sommes réellement rencontrés sur cette scène...
"Dans cette scène, juste avant de rencontrer Poujouly, je rencontre la vache ! Je n'en avais jamais vues d'aussi près. Dans les rues de Tourcoing d'où je viens, il n'y en avait pas. Je n'ai donc pas eu besoin de jouer la peur ou de pleurer lorsqu'elle a débarqué très vite devant moi en gros plan, poussée par l'accessoiriste."
"Ensuite la vache s'en va et Georges arrive. Là ça a été merveilleux... Le film ayant été tourné chronologiquement, nous nous rencontrons réellement lui et moi lors de cette scène. J'ai découvert avec lui ce qu'était le boomerang. Tu parles, je te réponds, on ressent, on échange. Un grand grand plaisir est né, ... surtout dès lors que la vache était hors champ !"
"25 ans après, Georges et moi nous sommes retrouvés sur un téléfilm, Esprits de famille. Cela se passait dans ma ville natale à Tourcoing, c'était pour FR3. Nous jouions des ancêtres morts très jeunes et venus regarder vivre notre famille. On s'est revu avec beaucoup d'amitié. Nous nous étions déjà retrouvés avant, sur la plage du Touquet en vacances, lorsque j'avais 20 ans. Il était avec sa jeune épouse et moi avec mon chien magnifique, un pointer que je faisais courir et qu'il a gardé en mon absence pendant 15 jours."
A 5 ans, j'avais déjà une certaine conscience professionnelle
"J'aimais beaucoup l'école et j'avais donc une certaine conscience professionnelle. J'y ai été mise très tôt car j'étais fille unique et je m'ennuyais. A l'époque, on allait très vite et on ne faisait pas autant de jeux qu'aujourd'hui. Ce qu'on a envie de faire en tant qu'enfant, c'est tout de suite d'apprendre à lire, à écrire, à compter ! Je lisais donc France Soir à 5 ans, la page spectacle et les "potins de la commère" de Carmen Tessier ! Mais aussi Mon ami Rocco, mon roman préféré. Je vous le recommande !"
Cette scène était très difficile même si je savais que ma mère n'était pas morte...
"La première scène où je suis confrontée à la mort était très difficile car je savais bien que ma mère (qui joue son propre rôle) n'était pas morte mais il fallait que je l'imagine. J'étais étonnée par cela, d'autant qu'elle m'embrassait entre les prises ! C'est un moment très fort du film où Clément m'a dit "tu touches sa joue puis la tienne et tu vois la différence." "Mais il n'y a pas de différence!", "Si elle, elle a la joue froide", "Mais non, elle est chaude !" Bref, c'était compliqué mais il a été un directeur d'acteur extraordinaire..."
"Dans la seconde scène de confrontation à la mort, c'était différent. J'avais pris l'habitude de jouer la comédie. Je savais qu'il fallait ressentir les choses. Je n'ai donc eu aucun mal à la jouer. Pour moi, c'était un travail d'équipe autour de quelqu'un qui était soi-disant mort et il fallait avoir l'air tragique. Je faisais donc tout ce que je pouvais pour cela, rassurée par la présence de mes parents sur le plateau."
Quand on a présenté le film, les gens sortaient de la guerre et ne voyaient pas de différence entre le film et leurs trop récent vécu..
"La guerre, on en parlait à table mais, à 5 ans, on a un manteau de protection qui vous protège contre la gravité des choses. On les conçoit mais on ne les appréhende pas. Jeux Interdits a quand même bien sûr contribué à m'apprendre ce que c'était... Encore aujourd'hui quand je revois ce film, je suis étonnée et ravie de l'alternance entre le comique et le tragique du film. Comme cette fameuse réplique de Georges : "Moi mon père il n'est pas mort, mais il va me foutre une raclée si je ramène pas la vache!" Tout est extrêmement bien dosé. Ce perpétuel chaud/froid a fait d'ailleurs le succès du film."
"Quand on a montré le film tel qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire selon les souhaits de René Clément et de ses scénaristes, les gens avaient perdu des proches à la guerre... A Venise, tout le monde était scandalisé, ne voyant pas la différence entre le film et leur trop récent vécu. Nous étions en 51, la guerre s'est terminée en 45."
"Les gens ont écrit des lettres, disant à quel point ils étaient éprouvés. On a donc inventé ce début alternatif présent dans les bonus dvd, où deux enfants racontent l'histoire de deux autres enfants. Ils vont s'identifier à eux jusqu'à la fin, au moment où leur séparation et le destin de la petite fille deviennent trop durs. La fin alternative permettait également d'adoucir l'histoire."
Jouer, c'est naturel pour un enfant...
"Trente ans après, en effet, je joue moi-même avec un enfant. C'est le premier film de Gabriel Aghion. J'ai fait beaucoup de cinéma d'auteur et de premiers films, et celui-ci est l'un de mes préférés. C'était un enfant-acteur professionnel donc il avait lui beaucoup de métiers. On était très complices dans la vie, il était charmant. Regardez la maturité qu'il y a déjà sur son visage..."
"Cela se passe toujours très bien quand je tourne avec des enfants, parce que je m'adresse à la personne, sans parler d'une façon spéciale. Je sais qu'il a une conscience professionnelle, je sais que jouer c'est naturel pour un enfant. On joue tout le temps "au papa et à la maman" ou "au docteur".... C'est naturel."