"Il faudrait que je sois cinglée pour me plaire ici..."
Le 5 août 1962, Marilyn Monroe mettait officiellement fin à ses jours. Ce suicide brutal faisait de sa légende vivante un mythe tragique dont la beauté sensuelle fascine toujours les foules. Un an avant, le Dr Kris, craignant que l'actrice ne passe à l'acte, l'internait dans un hôpital psychiatrique. C'est le pire des cauchemars pour l'actrice, enfermée chez "les grands dérangés" comme sa mère et sa grand-mère avant elle : elle raconte dans cette lettre à son psychiatre californien, Ralph Greenson, son internement. Dernières lettres de l'enfer.
Le 2 Mars 1961
Cher Docteur Greenson,
J'ai demandé à May Reis [l'assistante personnelle de Marilyn Monroe] de taper ceci car mon écriture n'est pas clairement lisible, mais j'ai aussi inclus ces notes et vous verrez ce que je veux dire.
M.M.
1er Mars 1961,
J’ai regardé à l’instant par la fenêtre de l'hôpital, et désormais, là où la neige avait tout recouvert, tout est un peu vert : l'herbe et les minables buissons, ceux qui ne perdent pas leurs feuilles (même si les arbres ne sont pas très encourageants), les branches nues et lugubres annoncent peut-être le printemps et sont peut-être un signe d’espoir.
Avez-vous vu Les Désaxés ? Dans l'une des scènes, vous pouvez voir à quel point un arbre peut m’apparaître étrange et nu. Je ne sais pas si ça apparaît vraiment à l'écran… Je n'aime pas la façon dont certaines scènes ont été montées. Depuis que j’ai commencé à écrire cette lettre, quatre larmes silencieuses ont coulé. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
La nuit dernière, je suis encore restée éveillée toute la nuit. Parfois je me demande à quoi sert le temps de la nuit. Pour moi, il n’existe presque pas, et tout me semble n’être qu'un long et affreux jour sans fin. Enfin, j’ai essayé de profiter de mon insomnie pour être constructive et j'ai commencé à lire la correspondance de Sigmund Freud. En ouvrant le livre pour la première fois, j’ai vu la photographie de Freud et j’ai éclaté en sanglots : il avait l'air très déprimé (cette photo a dû être prise peu de temps avant sa mort), comme s'il était mort en homme désabusé… Mais le Dr Kris m'a dit qu'il souffrait énormément physiquement, ce que j’avais appris dans le livre de Jones. Mais je pense avoir raison aussi, je fais confiance à mon intuition car je sens une triste lassitude sur son doux visage. Le livre prouve (même si je ne suis pas sûre que l'on doive publier les lettres d'amour de quelqu'un) qu'il était loin d'être coincé ! J'aime son humour doux et un peu triste, son esprit combatif qui ne l’a jamais quitté. Je suis pas encore allée très loin dans la lecture car je lis l’autobiographie de Sean O’Casey en même temps (vous ai-je déjà raconté qu’il m’a un jour envoyé un poème ?). Ce livre me dérange beaucoup, enfin, dans la mesure où l'on peut être dérangé par ce genre de choses.
Il n'y avait aucune empathie à la clinique Paine Whitney, et cela m'a fait beaucoup de mal. On m'a interrogée après m’avoir mise dans une cellule (une vraie cellule en béton et tout) pour personnes vraiment dérangées, les grands dépressifs, (sauf que j'avais l'impression d'être dans une sorte de prison pour un crime que je n'avais pas commis).
J'ai trouvé ce manque d'humanité plus que barbare. On m'a demandé pourquoi je n'étais pas bien ici (tout était fermé à clefs : des choses comme les lampes électriques, les tiroirs, les toilettes, les placards, il y avait des barreaux aux fenêtres… les portes des cellules étaient percées de fenêtres pour que les patients soient toujours visibles, on pouvait voir sur les murs des traces de la violence des patients précédents)...
[...]
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