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    Au Nom Du Fils : "L'humour pour parler de choses graves"

    Pour la sortie en salles de "Au Nom Du Fils", le metteur en scène Vincent Lannoo et l'actrice principale du film Astrid Whettnall ont répondu à nos questions.

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    Dans l'univers du septième art, aborder la question des attouchements sexuels au sein du clergé n’est pas chose aisée. Quiconque s’y attèle s’expose à des risques de censure, voire d’indignation. C’est pourtant le pari qu’a voulu relever Vincent Lannoo avec Au nom du fils, en ajoutant à la dimension tragique du sujet, un soupçon d’humour et de dérision dont seuls nos voisins belges ont le secret. A l’occasion de la sortie du film, sa troisième collaboration avec Astrid Whettnall, nous nous sommes entretenus avec ce tandem de choc. 

    Au nom du fils aborde un sujet houleux, polémique même je dirai, celui des attouchements pédophiles au sein de l’Église. Pourquoi réaliser un film sur ce sujet en particulier et pas un autre ?

    Vincent Lannoo : Le vrai sujet, au-delà des attouchements pédophiles au sein de l’Église c’est le silence de l’institution face à ce fléau. L’idée, c’était surtout de réagir et faire réagir face à ce silence. Chez nous (ndlr : En Belgique), un numéro vert a été mis en place. Cela a permis de mettre en avant et en lumière un certain nombre de choses. C’était donc important de faire ce film qui nous permet aussi d’interroger la foi, la religion en général, de faire une sorte de pamphlet, de jouer avec l’humour, mais surtout de ne pas faire de la victime une espèce d’objet larmoyant. 

     Faut-il voir en votre film une critique de l’Église et de ses discours ? Un appel aux consciences des autorités religieuses et politiques ?

    Vincent Lannoo : Il y a dans le film, chez le personnage d’Elisabeth, lorsqu’on l’entend au début, pas forcément une critique de l'Église, mais une moquerie par rapport à un fait assez récurrent : l’arrêt des débats par une réponse divine. J’ai un peu de mal avec ça, je préfère tenir un débat qui ne finit pas, qu’un débat qui prend fin avec Dieu comme réponse. Vu de cet angle-là, c’est sûr qu’on s’attaque un peu, non pas à l'Église, mais aux radicaux.    

    Le vrai sujet, au-delà des attouchements pédophiles au sein de l’Église c’est le silence de l’institution face à ce fléau.

    Vous n’avez rencontré aucun problème avec le corps ecclésiastique ? Vu qu’il est plus ou moins visé dans le film...

    Vincent LannooEn Belgique en tout cas, pas du tout. Au contraire, il y a énormément de catholiques qui sont ravis du film, qui trouvent que c’est un film important, que le fait d’ouvrir le débat était une chose importante. Là où on a eu de petits soucis, c’est avec les radicaux, des gens qui n’ont pas vu le film et qui ont vite décidé qu’on les attaquait. Mais en regardant le film, ils verront qu’on se moque légèrement d’eux, et ça on en a le droit. 

     Un film sur les abus sexuels sur mineurs aurait pu rejoindre le registre dramatique, je pense par exemple à La Mauvaise éducation d’Almodovar, où la question est carrément traitée de façon tragique. Mais curieusement, avec Au Nom du fils on sourit et on rit souvent. Pourquoi avoir fait le choix de traiter ce sujet avec humour et dérision ?

    Vincent Lannoo : D’abord parce que je pense que l’humour et la dérision sont le meilleur moyen de parler des choses graves. C’est le meilleur moyen de toucher, d’ouvrir la réflexion, de ne pas être confiné dans l’apitoiement ou dans le drame, la tristesse. Chaplin quand il abordait un problème grave, je pense entre autres à la pauvreté, les problèmes d’emploi, la montée du nazisme dans Le Dictateur, il le fait avec humour et essaie d’en faire des comédies, ce qui ne les rend pas moins parlantes, bien au contraire. 

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    Vous n’avez pas peur de dédramatiser le problème en procédant de la sorte ?

    Vincent Lannoo : C’était un risque éventuel. Mais aujourd’hui, en ayant pris ce risque, je me rends compte que pas mal d’associations, de victimes me disent que c’était la meilleure manière d’en parler. Pour elles, c’est très important d’aborder le sujet, non pas sous l’angle dramatique, mais sous l’angle de l’humour, de la critique, de la catharsis de la vengeance, puisqu’il s’agit d’une femme qui se venge en tuant des prêtres pédophiles. Le tout en expliquant bien que cette vengeance n’est évidemment pas la solution.

     Il y a un côté très « tarantinesque » dans Au nom du fils, qui n’est pas sans faire penser à Kill Bill, justement. Vous êtes vous inspiré du cinéma de Tarantino pour ce film ?

    Vincent Lannoo : On a pensé au cinéma de Tarantino, mais Tarantino lui-même a été influencé par tous les plus grands films du cinéma, et au final, nous avons tous les mêmes influences. Cela faisait partie de ce décalage. Mais il n’y a pas que ça, on est aussi dans La vie est un long fleuve tranquille au début, et il y a, bien sûr, ce côté dit « tarantinesque », qui ne constitue cependant pas la plus grosse partie du film.  

     Astrid Whettnall, vous incarnez une femme catholique, bourgeoise de surcroît,  qui s’insurge contre une Église qui lui est chère, une Église coupable d’avoir agressé son fils. Ce n’est pas la première fois que vous jouez la mère d’un enfant victime de pédophilie. (Le Silence des Eglises, 2013) Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ces deux rôles, et dans celui d’Elisabeth en particulier ?

    Astrid Whettnall : Tout d’abord parce que les scénarios proposés par les deux réalisateurs étaient intéressants. J’aimais bien les deux manières dont le sujet était traité. Dans le premier, le héros c’est le fils, la mère est un peu en retrait, alors que chez Vincent Lannoo, c’est la mère qui est mise en avant. On est donc devant deux univers différents, deux réactions différentes, dans des situations quasi-identiques. Dans le téléfilm, il s’agit du refus de la vérité, mais dans Au nom du fils, les deux grands drames qui vont frapper Elisabeth vont l’amener à une quête de vengeance. J’appréciais que cette femme, même si elle a été élevée dans la foi, décide de dénoncer la pédophilie dans l’Église, je trouve que c’est important. C’est parce qu’elle va se retrouver face à un déni total de cette Église, qu’elle va elle-même se lancer dans ce combat. Et pour rebondir sur la question posée à Vincent plus tôt, ce que j’ai apprécié dans le projet, c’est justement cette dose d’humour, de recul que Vincent a dans ses films, lorsqu’il parle de chose très grave. Cela permet d’avoir une certaine pudeur par rapport aux victimes. Tout en ouvrant un débat aussi large et intéressant, pas du tout manichéen. C’est également très libérateur. 

    En se lançant dans cette espèce de vendetta, elle va devenir un monstre, face aux monstres qu’elle poursuit.

    En commettant tous ces meurtres, Elisabeth ne se rabaisse-t-elle pas au niveau de ceux contre qui elle part en croisade ? 

    Astrid Whettnall : Oui, en se lançant dans cette espèce de vendetta, mais aussi derrière cette volonté de rendre justice en tuant tous les potentiels prêtres pédophiles, elle va devenir vraiment monstrueuse, prendre effectivement leur place. Elle va devenir un monstre, face aux monstres qu’elle poursuit.

     Avez-vous rencontré des difficultés à tourner certaines scènes? Celle dans l’église par exemple, où un prêtre vous roue de coups…

    Astrid Whettnall : C’était une scène géniale à tourner. On l’a tournée pendant deux ou trois jours, les plus drôles du tournage. C’est une vraie scène d’action, on a préparé les cascades… On a travaillé avec Albert Goldberg, qui joue le prêtre, un cascadeur français, qui a mis au point les cascades. J’avais donc un cascadeur en face de moi, qui jouait vraiment le rôle.

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    Vous les avez réalisées vous-même, les cascades ? Ou avez-vous cédé votre place à une doublure ?

    Astrid Whettnall : Non, j’ai tourné moi-même les cascades, j’ai même fini avec un œil au beurre noir. Mais ce n’était pas la scène la plus difficile à tourner, c’était plutôt la plus ludique à faire. Il y par contre deux scènes qui m’ont surprise, auxquelles je n’étais pas préparée. Celle de la mort de mon fils, avec la réaction qui a suivi, et la scène avec l’évêque, deux scènes particulièrement éprouvantes.

     Vous en êtes, non pas à votre première, ni à votre deuxième, mais à votre troisième collaboration ! Pourquoi cette fidélité l’un à l’autre ?

    Vincent Lannoo : C’est moi qui suis un peu collant avec Astrid (rires). Elle était venue dans Vampires, au début, où elle tenait un petit rôle, et j’ai adoré sa prestation. Ensuite, il y a eu Little Glory, où elle tient un rôle beaucoup plus important, en anglais, où elle était magistrale. Lorsque vous rencontrez quelqu’un et vous vous dites « J’ai peut-être la Meryl Streep belge », elle a beau être belge, ça reste Meryl Streep. Il ne faut donc pas la laisser passer. Du coup, on a d’autres projets ensemble.

     Alors quels sont vos projets à venir ? Astrid Whettnall, je sais qu’on vous retrouvera bientôt dans Le Monde nous appartient de Stephan Streker… mais après ça ? Et Vincent Lannoo, des idées pour votre prochain film ?

    Astrid Whettnall : Oui, dans Le monde nous appartient, ce sera une petite apparition, un clin d’œil, le réalisateur étant un ami. Je serai dans Graziella, le prochain Mehdi Charef, avec Denis Lavant et Rossy de Palma, produit par Costa Gravas.

    Vincent Lannoo : On a plusieurs projets, dont un qui tournera autour d’un personnage écrit pour Astrid Whettnall, un biopic sur Olympe de Gouges. C’est un peu la première féministe de France. Elle a écrit La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et une pièce qui s’appelle l’Esclavage des nègres, la première pièce anti-esclavagiste. C’est aussi la deuxième guillotinée de France, après Marie-Antoinette. Ce sera notre quatrième collaboration.

    Propos recueillis par Marc-Emmanuel Adjou, le 5 mai à Paris. 

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