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    "Twenty Feet from Stardom" : rencontre avec le réalisateur Morgan Neville

    Evoquant l’histoire secrète de choristes se cachant derrière les plus grands hits de la musique populaire, le documentaire "Twenty Feet from Stardom" signé Morgan Neville débarque aujourd'hui en salles. A cette occasion, le metteur en scène a répondu à nos questions sur son film.

    Bruce Springsteen © Mars Distribution

    Depuis 1995 vous avez produit et réalisé de nombreux documentaires, majoritairement musicaux. Nous pouvons citer par exemple Pear Jam Twenty, Ray Charles the Last Blues Man ou Search and Destroy: Iggy & The Stooges’ Raw Power. D’où vient cette passion pour la musique ?

    Morgan Neville : Je suis moi-même musicien. (NDLR : guitare, basse, piano, etc.). La musique a toujours occupé une importante place dans ma vie et très tôt je voulais devenir historien de la musique, alors j’ai commencé à faire des documentaires. Pour moi la musique représente une part unique de notre culture, elle nous parle non seulement intellectuellement, mais aussi émotionnellement et d’une manière indéfinissable. En fin de compte, ce film tente de montrer la musique comme une force vitale. Ça fait partie de l’ADN de ces femmes et je ressens cette même passion.

    "Ce film tente de montrer la musique comme une force vitale."

    Gil Fiersen, qui est à l’origine de ce film, connu dans l’industrie cinématographique pour avoir produit Breakfast Club, a été à la tête d’A&M Records de 1977 à 1990, un des labels américains les plus importants. Il a passé sa vie à découvrir de nouveaux talents. Pensez-vous que "Twenty Feet from Stardom" était une étape logique dans sa carrière ?

    Oui je le pense. Cette idée l'a traversé : « Les choristes ont quelque chose de captivant ». Et c’est drôle parce que Gil parlait réellement comme un producteur de disque : « Je sens quelque chose de bon ici, j’ai un pressentiment ». Dès que nous faisions quelque chose, il jubilait : "Oui, c’est ça ! Tu le tiens ! » J’avais l’impression qu’il me parlait comme il parlerait à un artiste. Il soutenait les gens, mais possédait également ce qu’on appelle l’oreille absolue. Il savait ce qui fonctionnait et comprenait pourquoi. C’est grâce à ça qu’il a su diriger son business pendant si longtemps.

    © Mars Distribution

    Dans la mesure où Gil et vous travaillez dans l’ombre, vous sentez-vous liés à ces choristes ?

    Gil est décédé juste avant la sortie du film. Au cours de la projection commémorative, j’ai déclaré qu’il était l’ultime choriste. Il a passé sa carrière à aider des gens à devenir des stars et son nom ne figure pas sur les disques. Il était fier de ce qu’il faisait et en dépit de sa réussite, il s’identifiait aux choristes, ce qui est également mon cas. Je pense que c’est en partie ce qui a fait le succès du film, ce n’est pas quelque chose que nous avions planifié. Mais c’est également parce que la plupart des gens retrouvent des aspects de leurs propres vies dans celles des choristes. Nous ne sommes pas pour la plupart des rock stars, nous sommes plus proches des choristes.

    "la plupart des gens retrouvent des aspects de leurs propres vies dans celles des choristes."

    Les choristes ont marqué l’histoire de la musique, mais nous en savons si peu sur eux. Pourtant votre film est extrêmement complet sur leurs vies. Comment avez-vous réussi à rassembler autant d’informations sur des gens perdus de vue depuis des décennies ?

    C’était très difficile. Quand on fait des recherches sur des choristes, on ne trouve rien parce que personne n’a jamais répertorié « bonne scène de choriste » parmi les archives. C’est la définition même du mot « invisible ». Reconstituer ces histoires a demandé énormément de travail, car il n’y avait aucun moyen de relier les informations entre elles. Les choristes peuvent raconter leurs vies, mais en règle générale ne pensent pas comme des musicologues. La plupart du temps ils effectuaient 3 sessions par jour, ils ne peuvent pas se rappeler de tout. Rassembler tous ces morceaux était délicat, mais on y est parvenu. La recherche d’archives fut la partie la plus compliquée. On regardait toutes les vidéos sur tous les artistes accompagnés de choristes et une fois sur deux la chanson était géniale, avec de super chanteurs, mais les choristes n’étaient pas filmés et on ne pouvait pas utiliser la vidéo. C’était très frustrant.

    Ce qui marque dans Twenty Feet from Stardom, c’est la manière dont des artistes mondialement reconnus comme Mick Jagger ou Stewie Wonder témoignent. Ils ont vraiment l’air d’être proches des choristes avec lesquels ils ont travaillé.

    Personne ne connait mieux le travail des choristes que le chanteur. Toutes ces personnalités ont vécu une relation personnelle avec un des personnages principaux. Je voulais qu’ils soient connectés. Quand ils parlent des choristes, ils parlent de personnes avec lesquelles ils ont travaillé pendant des années voire des décennies. On réalise à quel point ils les respectent parce qu’ils savent combien les choristes sont talentueux. Ces témoignages étaient nécessaires, mais il fallait essayer de les maintenir en arrière-plan pour ne pas éclipser le reste.

    Tous les choristes auxquels vous vous êtes adressé ont-ils accepté de participer ?

    On a dû faire face au scepticisme de certains même si la majorité a immédiatement accueilli le projet. D’aucuns n’étaient pas sûrs de nos motivations et ont suffisamment été « marqués » par l’industrie du disque. Ça a pris un peu de temps pour les convaincre, plusieurs d’entre eux ne se sentaient pas de raconter des choses parfois douloureuses à la caméra, qu’ils avaient peut être enterrées depuis longtemps. Je pense par exemple que Claudia est une personne qui a enfoui beaucoup de ses souvenirs, des bons comme des mauvais. Le fait d’entreprendre ce film lui a permis de rouvrir son esprit et sa mémoire à ce qu’elle a vécu. Cela a vraiment était très intéressant, elle en est contente, mais je pense que c’était également un peu pénible pour elle.

    Sting © Mars Distribution

    Vous avez dû être confronté à un nombre incalculable d’heures de rushes. Comment avez-vous pris le montage en main ?

    Le plus dur dans la réalisation de ce film était de supprimer des scènes. C’était la métaphore de la sculpture à l’intérieur du morceau de marbre. Nous devions constamment retirer des choses pour  voir à quoi ressemblait la statue. Il fallait comprendre à quoi nous réagissions émotionnellement et trouver le juste équilibre entre les personnages, de manière à ce que leurs histoires se fassent écho malgré les différentes générations. C’est ça qui était dur, trouver la bonne alchimie. Il y avait également d’autres personnages qu’on a finalement dû « couper » parce qu’ils étaient soit trop similaires, soit trop différents de ce qu’on avait déjà.

    "Le plus dur dans la réalisation de ce film était de supprimer des scènes."

    Ferez-vous quelque chose des scènes coupées ?

    Il y’en a certaines qu’on a gardées pour le DVD. Mais il en reste encore tellement… Il y’a plein d’autres histoires que j’aurais aimé suivre, mais on ne peut pas tout avoir.

    Nous rencontrons ici de nombreux destins. Darlene Love qui a tenté une carrière solo et réussi après avoir été dupée par Phil Spector, Tata Vega qui a également essayé, mais échoué, ou encore Lisa Fisher qui préfère être une choriste. Une scène particulièrement émouvante est celle dans laquelle Merry Clayton et Mick Jagger racontent la manière dont l’enregistrement de Gimme Shelter s’est déroulé. Parmi toutes ces histoires, y’en a-t-il une qui vous a plus touché que les autres ?

    C’est vrai que c’est une sacrée scène. Je l’adore parce que c’est une des meilleures chansons de rock de tous les temps et qu’elle ne serait pas la même sans les chœurs. Après avoir entendu son histoire et l’enregistrement isolé des chœurs, vous n’écouterez plus cette chanson de la même manière. D’un point de vue émotionnel, l’histoire de Lisa représente l’âme des choristes. Chanter lui procure une joie pure. Le fait qu’elle ait gagné un Grammy grâce à son single, mais n’ait jamais sorti de deuxième disque est captivant. La plupart des gens ne feraient pas ça. Elle est très nette sur ce qui l’intéresse, a réussi en tant que choriste et chante depuis près de 40 ans. Et maintenant grâce au succès du film elle parle de faire un album, ce qui est formidable. Le film ouvre de nouvelles portes pour beaucoup de ces gens.

    Avez-vous à l’heure actuelle un nouveau projet ?

    Caitrin Rogers (NDLR : la productrice) et moi-même sommes en train de préparer un documentaire sur Yo-Yo Ma, un violoncelliste sino-américain né à paris et mondialement connu. C’est un homme très intéressant. On a donc voyagé en Chine pendant 2 semaines. J’ai également plein d’autres projets musicaux en tête, donc je ne sais pas encore lequel sortira en premier.

    Propos recueillis par Jérôme Negrel à Paris lundi 18 novembre 2013

    Tout savoir sur le film

    La bande-annonce de "Twenty Feet from Stardom"

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