Le week end dernier, on apprenait le décès survenu le 24 octobre de la réalisatrice Antonia Bird, à l'âge de 54 ans, des suites d'un cancer anaplasique de la thyroïde. De son travail, il faut retenir une collaboration régulière avec Robert Carlyle, au point de créer ensemble une structure de production, 4 Way Film production.
Cette entente a au moins accouché d'un authentique chef-d'oeuvre, qui gagnerait encore à être davantage connu, et devenu culte au fil des ans : Vorace, sorti en 1999. Et pourtant, Bird ne fut même pas le premier choix pour réaliser ce film...Produit par Fox 2000, une filiale de la Twentieth Century Fox, le film sorti dans l'indifférence générale au début de l'été en France. Aux Etats-Unis, il fit un four : à peine plus de 2 millions de $ de recettes sur le territoire américain, pour un budget de 12 millions.
Parmi les raisons expliquant l'échec cuisant du film en salle : l'incapacité du service marketing du studio à vendre justement correctement le film. Est-ce un western ? En un sens oui, mais pas que. Un film d'horreur ? Clairement oui, mais ca serait trop réducteur. Un film politique ? Absolument, mais ce n'est pas suffisant pour le définir. Tout cela à la fois et plus encore ? Assurément. Vorace, une oeuvre inclassable qui brasse plusieurs genres, sans appartenir à l'un en particulier. Un casse-tête pour les services marketing des distributeurs...
Certains d'entre vous s'en souviennent peut-être, mais à l'origine, il n'était même pas question de sortir le film en DVD en France. Les premiers fans qui avaient découvert le film, médusés, firent même une pétition envoyée à la Fox en France pour demander à ce que Vorace sorte. C'est dire à quel point le sort s'acharnait sur cette oeuvre.
Métaphore cannibale
Ayant pour toile de fond la guerre entre le Mexique et les Etats-Unis, Vorace évoque aussi un célèbre fait divers de la Conquête de l'Ouest. Il s'agit de la tragédie du Passage de Donner. Durant l'hiver 1847-1848, un groupe d'immigrants en route vers la Californie se retrouva bloqué par la neige, dans une région isolée, d'accès difficile. Après avoir épuisé leurs vivres, puis mangé leurs attelages et montures, les immigrants dévorèrent les cadavres de leurs morts...Les plus cinéphiles / avertis d'entre vous se souviendront sans doute de cet échange entre Jack Nicholson et son fils Danny au début de Shining, lorsqu'il évoque ce fait divers alors qu'ils font route vers l'hôtel Overlook...
"C'était un tournage très difficile" nous disait encore Guy Pearce, de passage à Paris pour la promotion de Lock Out lorsque nous l'avions interrogé à propos de Vorace. "Les décisions étaient politiques. On a dû se mutiner et imposer un 3e réalisateur, Antonia. Le premier avait été débarqué au bout de 15 jours de tournage. On a eu beaucoup de soucis, y compris à propos de la BO du film, car la Fox voulait imposer Michael Nyman".
Gorgé d'humour noir particulièrement féroce, de moments de pure terreur, de plans pour certains ahurissants (la chute dans le précipice de Guy Pearce, dont on se demande encore comment elle a pu être filmée), porté par une musique à la fois décalée et obsédante signée par le tandem Michael Nyman et Damon Albarn, Vorace bénéficie en plus d'un formidable casting : Robert Carlyle, absolument génial dans le film, Guy Pearce, Jeffrey Jones, David Arquette ou encore Neal McDonough.
On garde le meilleur pour la fin : le cannibalisme évoqué (et montré) dans le film est pas loin de relever de la pure contestation politique. Car l'Amérique s'est aussi bâtie en dévorant ses propres enfants.
Sur ce, comme dirait le colonel Ives : Bon appétit !
Olivier Pallaruelo
Crédits photos : ©Twentieth Century Fox
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