Une table. Cinq scénaristes. Une série de référence. En Août, AlloCine invite Jean-Patrick Benes, Allan Mauduit, Fanny Herrero, Quoc Dang Tran et Adriana Soreil, cinq auteurs à différents stades de leurs carrières, pour parler de l'écriture télévisuelle, du travail du scénariste en France, et ailleurs, en prenant comme point de fixation Kaboul Kitchen, dont la saison 2 va bientôt démarrer sur Canal+...
Les deux créateurs de "Kaboul Kitchen" : Jean-Patrick Benes et Allan Mauduit
© Thomas Caramelle / AlloCine
AlloCine : C'est quoi la recette de l'écriture de "Kaboul Kitchen" ?
Jean-Patrick Benes : La première définition c'est celle établie par Marc Victor, qui a vécu cette histoire. Il avait commencé par écrire un roman sur son expérience en Afghanistan. C'est le premier document qu'on ait lu. Une part de sa vie. Il y décrivait une soirée au Kaboul Kitchen et une autre dans une ambassade. Il y avait déjà un ton de comédie et un réalisme de l'anecdote. Voilà la base.
Allan Mauduit : Dans un premier temps, cette base est entrée en ligne de compte. Puis on s'en est éloigné. On a écrit une version qui était beaucoup plus comédie. Ensuite une seconde très drama. On était alors sur un format de 52 minutes, c'est cette version que l'on a présenté à Canal+. Suite à des discussions avec les responsables de la fiction, on est arrivé à un format 30 minutes, un mélange de toutes ces orientations testées pendant 9 mois dans notre coin. Kaboul Kitchen c'est une combinaison de comédie, de drama et de réalisme. On voulait retrouver les sensations qu’on avait eues quand Marc nous racontait toutes ses anecdotes et qu’on se disait que ce mec était dingue et que sa vie à Kaboul c'était juste n'importe quoi (Rires). Et puis il y a un principe fort sur la première saison : chaque épisode raconte un élément réel sur l'Afghanistan, qui peut faire débat. Par exemple : est-ce normal de vendre de l'alcool dans un pays où la constitution l'interdit ? A charge pour nous de le raconter sur un ton drôlatique. Voilà c’est ça le ton Kaboul Kitchen.
Jean-Patrick Benes : Vendre de l'alcool en Afghanistan, ce serait comme ouvrir un coffee shop ici qui vendrait de la coke. Il faut bien se rendre compte de la dimension de l'interdit là-bas.Avoir une piscine avec des filles en maillots de bain, cela ne nous paraît pas extraordinaire. Mais là-bas, 50% des femmes à Kaboul et 100% dans le reste du pays se déplacent en burqa ! Et encore si ces filles en maillots étaient uniquement entourées d'occidentaux... mais il faut prendre en compte les voisins, les serveurs ! Quand Marc Victor (Photo ci-contre - Copyright : Canal+ / Philippe Mazzoni) puise de l'eau dans un puits pour remplir sa piscine, il est attaqué pour avoir vidé une des sources de la ville (Rires) ! Partir de toutes les merdes vécues par Marc est un des principes de l'écriture de la première saison.
Fanny Herrero : Et de ce point de vue-là, ça a donc un peu évolué. Même si le ton et le format sont restés avec la saison 2. La première était sans doute plus une chronique de la vie de Jacky (incarné par Gilbert Melki) et de son bistrot, tout en donnant un regard sur l'Afghanistan du point de vue des expatriés. La saison 2 est plus feuilletonnante. On s'est attaché peut-être à plus creuser les relations entre les personnages, notamment entre Jacky et le Colonel Amanullah. La première saison avait posé des bases, et en seconde on tire juste les fils des personnages auxquels on s'était vraiment attaché. On sort de la chronique pour entrer dans un truc plus feuilletonnant avec des enjeux sans doute plus intenses. On remonte d'un cran dans ce qui arrive à Jacky...
Jean-Patrick Benes : Dans la première, on a vraiment suivi les anecdotes de Marc Victor. La seconde est une extrapolation de sa vie. Il a été soupçonné d'être un espion pour les Occidentaux, ce qui pouvait faire sens : le Kaboul Kitchen étant le lieu de rendez-vous des expatriés, il constituait une place privilégiée pour écouter les conversations et obtenir des informations..
Dans la première saison, je ne savais pas toujours comment placer la limite entre comédie et drame. Cela pouvait parfois me poser des problèmes de lisibilité. L'exemple d'Amanullah est symptomatique : à trop lui donner des comportements surréalistes et absurdes, j'avais parfois l'impression qu'on oubliait qu'il s'agissait d'un personnage dangereux...
Allan Mauduit (Photo ci-contre) : Cela peut aussi être une affaire d'interprétation. Dans notre esprit, on avait à l'origine un Colonel Amanullah plus dangereux qu'il ne l'est dans la série. Simon Abkarian (son interprète) est arrivé et, sans déflorer le texte ni bouger la moindre virgule, simplement avec "son" personnage, il a emporté le morceau. Bien évidemment, il nous a fait hurler de rire mais, effectivement, il ne fallait pas qu'on perde de vue la menace qu'il représente. J'avais personnellement le sentiment qu'on allait réussir à la conserver tout en gagnant cette plus-value énorme ! Simon a enfilé le costume et magnifié "notre" colonel Amanullah. Dans la saison 2 vous allez vous apercevoir qu'il peut représenter un vrai problème pour Jacky. On n'a rien perdu, on a gagné.
Fanny Herrero, Adriana Soreil, Quoc Dang Tran, vous avez rejoint l'équipe de scénaristes pour cette saison 2. Quel regard portez-vous sur la première justement ? J'imagine que lorsqu'on arrive sur une série en cours de production, on regarde et on analyse avec attention les épisodes précédents...
Quoc Dang Tran : Jean-Patrick et Allan ont créé des personnages très cohérents. A partir de cette base on a pu, ou on va pouvoir dérouler plusieurs saisons. De nombreuses séries n'ont pas cette qualité à l'origine, et c'est aussi pour cela qu'elles s'éteignent. Quand j'ai découvert cette série, j'ai d'abord été marqué par son humour très percutant, caustique, efficace. Elle avance très vite, c'est très jouissif. L'autre chose marquante, pour moi, c'est le choc des cultures, symbolisé bien évidemment par l'opposition entre l'Occidental Jacky et l'Oriental Amanullah. Ensuite ce qui m'a amusé dans la saison 1, c'est la multitude de détails sur le quotidien en Afghanistan. Des détails qui, au final, n'en sont pas vraiment. On n'est pas dans une comédie classique. Et puis il y a ce personnage d'Amanullah, hors normes, extraordinaire, qui fonctionne vraiment bien.
Fanny Herrero : Je me souviens être allée à la projection organisée par Canal+ alors qu'il n'était pas encore question que je travaille sur cette série. Je me souviens avoir été séduite par les 3 premiers épisodes. Kaboul Kitchen, c'est un bol d'air, ça nous emmène loin de chez nous. Et dans son registre, elle est assez atypique, une dramédie qui convoque aussi des éléments de sitcom. Je trouvais le concept vraiment très stimulant. Par ailleurs l'esprit de ses dialogues est assez rare en France. On court tous un peu après cet humour décalé, moderne et réaliste, auquel on peut croire. Le jour de cette projection, je me souviens m'être dit que j'aimerais beaucoup participer à cette série un jour.
Quoc Dang Tran : Le dépaysement joue un grand rôle. Ainsi que ses personnages très hauts en couleur.
Adriana Soreil : C'était la première comédie française que je suivais vraiment. Quand j'étais lectrice pour Canal+, on m'avait demandé pour quelle série je voulais écrire si j'en avais l'occasion. J'avais justement répondu Kaboul Kitchen. Un personnage ressort vraiment de la saison 1 : Amanullah. Ce que je préfère, ce sont ces écarts dans l'absurde. Très peu de séries osent passer cette ligne-là. L'autre surprise c'est Kaboul, dont je ne connaissais rien, ou plutôt que je connaissais comme tout le monde, à travers les infos. C'était très éloigné de moi. Quand j'ai regardé la série, j'ai commencé en parallèle à m'intéresser à l'Afghanistan. Je me suis plongée dans la bande-dessinée "Kaboul Disco", de Nicolas Wild (Couverture ci-contre), que Marc connait. Du coup cela a ouvert tout un univers inconnu. Je voulais voir l'épisode suivant, les personnages me faisaient marrer... Concernant le ton, lorsque j'ai commencé à écrire avec Benjamin Dupas, je me suis surtout aperçue que c'était beaucoup de dialogues au tac-au-tac, des répliques courtes, incisives et un rythme soutenu. On ne peut pas s'appesantir trois heures sur une scène.
Fanny Herrero : J'arrive d'Un Village français où les scènes peuvent faire jusqu'à 5 ou 6 pages, on creuse tout, il y a du non-dit, des silences lourds, tout est à double sens, ambigü. C'est génial à écrire, et c'est mon école. Pour écrire Kaboul Kitchen, j'ai dû apprendre une autre forme d'efficacité, plus rapide, plus immédiate. Les scènes sont beaucoup plus courtes, on va droit au but en une page, une page et demi maximum. Une fois que tu as compris comment ça marche, c'est tellement agréable de nager là-dedans. Kaboul Kitchen a été une nouvelle école pour moi ! Avec Un Village Français, c'est un grand écart, mais dans le bon sens du terme, qui te rend plus complet.
Quoc Dang Tran : Pour en revenir aux clés du succès de Kaboul, je dirais que c'est aussi un buddy movie en série. Les deux personnages principaux ressemblent un peu à Campana et Pignon (ndlr : les personnages fétiches de Francis Veber). Le premier n'a pas du tout envie d'être avec le second... et ça marche toujours super bien cette dynamique.
Jean-Patrick Benes : Mais cela concerne davantage la seconde saison que la première. Quand on propose la série à Canal+, on se dit que l'élément fort, c'est l'histoire de ce mec parti faire du fric en Afghanistan alors que sa propre fille (Sophie, incarnée par Stéphanie Pasterkamp) est sur place pour faire de l'humanitaire. C’est ça la dynamique de notre récit. On ne trouve Amanullah le "méchant" de la saison 1 que plus tard. Et le tandem qu’il forme avec Jacky fonctionne tellement bien qu’on décide de le mettre au centre dans la saison 2. De toute façon, le scénariste finit toujours par être dépossédé de son écriture par ses personnages et ses comédiens.
Fanny Herrero : Dans la saison 1, la relation entre Jacky et sa fille servait à humaniser le personnage. Elle était traitée plutôt dans un registre émotionnel, un peu moins immédiatement drôle. C'est peut-être une des choses qu'il fallait renouveler.
Allan Mauduit : Sophie, pour nous, c'était vraiment le poisson hors de l'eau. C'est avec elle qu'on arrive dans la série. Et c'est aussi le poil à gratter.
Pour en revenir au format, pourquoi avoir choisi le 30 minutes ? J'ai lu que ce format vous plaisait dans "Californication"...
Jean-Patrick Benes (Photo ci-contre) : A l'origine on présente à Canal+ un format en 52 minutes, dans une ambiance un peu plus polar, avec une dynamique un peu à la Skins avec 8 personnages différents. Chaque épisode doit se concentrer sur une personne différente : le mercenaire, le marchand d'armes, l'humanitaire... Tous ont un point commun, non pas une école comme dans Skins, mais le Kaboul Kitchen. Jacky doit alors n'être qu'un personnage secondaire. Canal+ est davantage intéressée par le format 30 minutes en comédie, et par le personnage de Jacky avec tous ses ennuis. Ils nous disent donc de partir de là.
Question naïve : comment on réagit face à cette réponse ? Quand on arrive avec un projet bien développé...
Allan Mauduit : Il y a une toute petite lumière très loin qui rappelle qu'ils n'ont peut-être pas tout à fait tort ! (Rires) Mais vu le temps déjà passé sur le projet, 9 mois, on a demandé un petit délai de réflexion. Assez rapidement on a tout de même convenu que c'était la bonne idée. D'autant que cela rejoignait finalement notre première piste du 26 minutes.
Jean-Patrick Benes : Et les personnages imaginés sont restés sous une forme ou sous une autre. Le photographe est devenu Damien (Alexis Michalik), on croise le mercenaire dans un épisode... On a beaucoup travaillé, créé beaucoup de matière qu'on a su réutiliser. Après la réponse de Canal+, il fallait retrouver un pitch, sur un mec tenant un restaurant à Kaboul. Et c'est à ce moment-là que nous avons eu l'idée de sa fille dans l'humanitaire. Le vrai Marc Victor a une nièce, venue en Afghanistan pour être serveuse au Kaboul Kitchen.
RENDEZ-VOUS CE SAMEDI 7 DECEMBRE POUR LA 2ème PARTIE DE L'INTERVIEW
Kaboul Kitchen Saison 2, bientôt sur Canal+...
Kaboul Kitchen - Saison 2 - Teaser
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris
Photos : Thomas Caramelle