Lauréat des Prix du jury et de la critique au dernier Festival International du Film Policier de Beaune, Northwest, le nouveau film de Michael Noer sort le 9 octobre sur nos écrans. A cette occasion, le réalisateur danois a répondu à nos questions sur ce long métrage, entre film de genre et chronique sociale. Car "Northwest" c’est aussi le nom donné à un quartier populaire de Copenhague.
Le réalisateur Michael Noer - © Thomas Caramelle / AlloCiné
Allociné : Vous avez étudié à la National Film School of Denmark. Très tôt, vous vous êtes intéressé au documentaire…
Michael Noer : J’y ai étudié entre mes 20 et 24 ans, dans la section documentaire. Là, j’ai réalisé une dizaine de films. Certains étaient des longs métrages, d’autres des portraits pour la télévision. Ce qui m’intéressait n’était pas l’approche journalistique, mais plutôt d’aborder mes sujets de manière intime et personnelle. Suivre une personne, faire son portrait, plutôt que de me concentrer sur un sujet général. Mes nombreuses recherches préliminaires et ma relation privilégiée avec les personnes que je filme sont au cœur de mon travail. Je procède toujours de cette manière. Cependant, quand je commence une fiction, je m’intéresse avant tout au sujet. Ensuite, je fais des recherches, je rencontre les gens. Mon premier long métrage de fiction, R (encore inédit en France, ndr), se déroule dans une prison. Je l'ai réalisé avec Tobias Lindholm (réalisateur de Hijacking et scénariste de La Chasse et de la série Borgen, ndr). Pour le casting, nous sommes directement allés chercher d’anciens prisonniers.
Northwest est votre seconde fiction. Quel en a été le point de départ ?
Par quels moyens un jeune devient-il un meurtrier ? L’histoire est réaliste et il est important qu’il y ait des émotions entre les personnages, à l’intérieur de la structure d’un film de genre. Je ne suis pas intéressé par un fait divers en lui-même. Ce qui m’intéresse, ce sont des personnages qui cherchent une appartenance, à un groupe ou à une famille. C’est le cas des deux frères qui trouvent une figure paternelle en la personne d’un dangereux gangster. Le fait d’inscrire cette histoire dans le cinéma de genre me permet d’intensifier le sujet d’un point de vue dramatique et émotionnel. C’est plus excitant que de réduire cela à une confrontation entre deux personnages dans une cuisine ou autour d’une table. C’est comme pour une fleur : le genre, c’est le terreau fertile sur lequel va se développer l’histoire. J’aime à la fois des films de genre américains et des films expérimentaux français. J’essaye de combiner les deux. Par exemple, j’adore La Haine, qui est un grand film. Je l’ai vu quand j’avais 19 ans. Il réussit à être divertissant tout en se concentrant sur des éléments plus sociaux. J’y ai découvert un visage de la société française que je ne connaissais pas du tout. J’espère que Northwest sera une expérience comparable pour le public, mêlant le genre à un point de vue social et politique.
© Magnus Nordenhof Jonck
Plusieurs communautés sont présentes dans le film. Vouliez-vous donner une image de ce qu’est le Danemark aujourd’hui ?
Ce qui est intéressant avec les criminels, c’est qu’ils sont, en quelque sorte, les anarchistes de notre société. Ils ne s’y adaptent pas : dans leur esprit, c’est la société qui doit s’adapter à eux. Il est très important de ne pas glorifier le crime. C’est une chose terrible et un mode de vie peu recommandable. Mais il est intéressant de les regarder et de s’en servir pour proposer un portrait de la société. Comment traitons-nous nos prisonniers ? Comment la société réagit face à sa jeunesse criminelle ? Ce film essaye aussi de montrer des tensions raciales qui au début de l’histoire sont totalement absentes. Au moment où Björn entre en scène, il introduit ce sentiment de séparation : il y a nous et puis les autres. Casper fait désormais partie d’un gang, d’une ethnie, d’une race, selon eux. Björn persuade Casper de cela, tout comme le fait la droite au Danemark avec les immigrés de la seconde génération qu'elle stigmatise. Ce qui est tout à fait stupide car ces jeunes sont nés au Danemark, ils sont danois ! Les criminels expérimentés utilisent ce procédé afin de rassembler autour d’eux des jeunes laissés pour compte qui trouvent là une sorte de famille. Comme certains politiques, ils utilisent le langage de la peur. Ce n’est pas abordé directement dans le film, mais j’espère que cela résonne à la fin de la projection dans l’esprit des spectateurs. On ne naît pas raciste : c’est une chose dont on nous imprègne, une forme de propagande. Les jeunes n’en parlent pas entre eux, ils n’y pensent pas. Ils veulent simplement appartenir à quelque chose. Et appartenir à une chose veut aussi dire ne pas appartenir à autre chose. Se définir par ce qu’on n’est pas, par le rejet. Je pense que cela se passe dans beaucoup d’autres pays.
© Bac Films
Le genre criminel, dans son histoire, a souvent été lié au mélodrame. L’une des seules scènes heureuses et touchantes dans le film est lorsque Björn apprend à boxer à Andy et Casper. Ils forment une sorte de famille.
Ce sont de vrais frères dans la vie. Cette scène de boxe était improvisée. J’ai grandi sans père. Adolescent, mon rêve, un peu cliché, était que mon père m’apprenne à boxer. Tous les personnages cherchent à jouer un rôle, à trouver leur place : Casper est un père de remplacement pour sa petite sœur. Chaque personnage essaye d’être quelqu’un d’autre afin que tout cela forme une famille. Si vous demandez à n’importe quel criminel pourquoi il fait partie d’un gang, il vous répondra toujours que c’est pour trouver une famille ou être avec ses amis et non pas pour faire carrière ou pour l’argent. La raison première est toujours émotionnelle. Et c’est ce qui est à la base de tous mes films, mon intérêt primordial : l’émotion.
© Bac Films
Pour quelle raison avez-vous choisi de travailler avec des acteurs non professionnels ? Comment les avez-vous rencontrés ?
Au Danemark, il n’y a pas d’acteurs professionnels de 16-18 ans. Certains ont fait du théâtre mais pas de films. C’était donc naturel de choisir des personnes qui n’avaient jamais tourné. Il y a des centaines de films sur des histoires de frères mais, avec mon passé de documentariste, cela m’intéressait beaucoup d’avoir ce que j’appelle des « experts ». J’aime pouvoir me baser sur la vie de mes acteurs et intégrer ces éléments dans le scénario. J’ai été très chanceux de trouver ces deux frères qui étaient presque comme des jumeaux et en même temps très différents. J’ai posté une annonce sur Facebook et leur mère a répondu. Ils sont venus au casting et ont passé leur temps à se disputer ! Ils ne savaient pas quoi faire mais ce fut un coup de foudre pour moi. Ils étaient déjà dans le film ! Et c’est moi qui ai dû les convaincre, ce qui m’a beaucoup plu car ça a créé du dialogue. Il y avait une alchimie entre eux. Ils se retrouvaient beaucoup dans cette histoire de frères très proches, en compétition pour savoir qui est le meilleur.
L’autre personnage principal du film est Björn. J’avais déjà travaillé avec lui. Il a été en prison pendant 4 ans. Il a une bonne connaissance du monde criminel au Danemark, de l’ancienne et de la nouvelle génération. R était sa première expérience dans un film. Il a des tonnes d’idées et de l’énergie à revendre. Mais pour les deux frères, j’ai dû adapter les personnages et l’histoire à leur personnalité. On vivait dans l’appartement où on tournait. Ils n’étaient donc pas trop nerveux car tout se faisait naturellement. Le matin, on se levait et on commençait à tourner. Ca n’a rien de glamour mais c’était très pratique. Ca a également simplifié les relations avec le voisinage. Tout ce cadre nous donnait de l’énergie et de l’inspiration. La direction d’acteur s’est beaucoup basée là-dessus : il suffisait de regarder autour de nous!
© Bac Films
Presque tous les plans sont tournés caméra à l’épaule, ce qui place le spectateur au cœur de l’action et le rapproche des personnages. Mais cela empêche également toute perspective : il n’y a pas d’échappatoire possible.
Venant du documentaire, je ne suis pas habitué à faire des gros plans ou des plans d’ensemble. Comme je suis les personnes et que je ne sais jamais à l’avance ce qui va arriver, je reste focalisé sur elles. L’orientation au sein de la géographie de la ville de Copenhague est dictée par la mise en scène elle-même. Tout dans le film est absolument correct au niveau de la topographie. Il n’y a pas de discontinuité. Sur Google Maps, on pourrait tout à fait retracer l’itinéraire des personnages ! Cela donnait confiance aux acteurs : je leur disais où aller et ils connaissaient la direction. Tout comme dans l’appartement : puisqu’on y vivait réellement, ils savaient, lors d’une scène dans la cuisine, où se trouvaient les tasses ou les couverts…
Le personnage n’a jamais une vue globale de ce qui se passe. Il a 18 ans. Son monde se résume aux filles et à l’argent. C’est comme ça que j’ai filmé, de son point de vue. Il ne prend pas de recul, cela ne fait pas partie de son personnage. Tous sont enfermés dans leur monde. C’est aussi un moyen de survivre : se focaliser sur peu de choses. Ils pensent que leurs copines sont heureuses car ils n’y font pas gaffe. Mais elles ne le sont pas. Si j’avais fait un film sur la prostitution, j’aurais donné un portrait plus complexe de ces personnages féminins. Mais comme j’étais concentré sur le point de vue du personnage principal, un garçon de 18 ans, cela n’avait pas de sens. Malgré tout, j’aime Casper, il a un bon fond.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par Arthur Ullmann à Paris le 26 septembre 2013