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    "Beyond Two Souls" : rencontre avec son créateur David Cage

    Exclusivité Sony Playstation attendue le 9 octobre prochain, "Beyond Two Souls" est la nouvelle création du studio français Quantic Dreams et de son Game Designer, David Cage. Situé à mi-chemin entre le cinéma et le jeu vidéo, le titre met aussi en vedette l'actrice Ellen Page et Willem Dafoe, qui s'essayent pour la première fois à la Performance Capture. Rencontre.

    Souvent, pour ne pas dire toujours, la révolution qui s'opère dans l'industrie du jeu se mesure à l'aune des avancées et prouesses technologiques, à l'heure des consoles "Next Gen" et parfois de la surenchère gratuite des productions. En 2010, le Game Designer français David Cage posait quant à lui cette révolution en d'autres termes. Et si elle se faisait par l'exploration de nouveaux modes de narrations ? Tel était le pari du jeu Heavy Rain. Pari plus que gagné, avec 3,2 millions de jeux vendus.

     Le 9 octobre prochain, son studio Quantic Dream sort Beyond : Two Souls. Un titre pensé et conçu comme un Thriller, proposant toujours une expérience située à mi-chemin entre le cinéma et les jeux vidéo. Avec quand même deux invités vedettes qui s'essayent pour la première fois à la Performance Capture : Ellen Page et Willem Dafoe.

    Personnalité à la fois attachante et clivante, tant chez les joueurs qu'au sein de la profession, David Cage souhaite avant tout, comme il le dit lui-même, créer des expériences "qui ont du sens, car beaucoup de jeux vidéo paraissent vide de sens aujourd'hui". Des propos qui pourraient paraître à minima égocentriques. Si ce n'est que David Cage est loin d'être un cas isolé sur ce ressenti.

     Car c'est aussi par exemple le même constat dressé par Jeffrey Yohalem, le brillant scénariste de l'un des meilleurs jeux sortis en 2012, Far Cry 3, un titre pourtant très éloigné des productions signées par Cage, et qui fut récompensé à juste titre par un BAFTA pour son remarquable travail d'écriture sur la bombe d'Ubisoft.

    AlloCiné : Avec le recul, estimez-vous que votre démarche sur le jeu "Heavy Rain" a été comprise ? Par les joueurs et par les professionnels ?

    David Cage : Pour ce qui est des joueurs, on en est aujourd’hui à 3,2 millions d’exemplaires vendus de Heavy Rain. Il y a donc 3,2 millions de personnes qui ont adhéré à notre démarche et au moins 5 millions qui ont joué au jeu. Probablement 7 à 8 millions de personnes y ont été exposées d’une manière ou d’une autre, puisque beaucoup de joueurs nous disent qu’ils ont partagé l’expérience avec quelqu’un.

    Concernant l’industrie vidéoludique, plusieurs figures talentueuses, comme Peter Molyneux ou Warren Spector, ont déclaré publiquement avoir beaucoup apprécié leur expérience sur Heavy Rain. Le jeu est cité comme référence par les gens de Telltale. Sans oublier les développeurs qui s’en sont clairement inspirés sans le dire officiellement. Tant mieux, même si je ne cherchais pas à faire de ce jeu une source d’inspiration. Heavy Rain a peut-être été une source de libération pour des gens qui voulaient raconter des histoires dans un jeu vidéo et qui n’osaient pas, ou doutaient que cela soit possible.

    AlloCiné : Il s’est à peine écoulé trois ans entre "Heavy Rain" et "Beyond". Avec le succès du précédent titre, j'imagine que le développement de "Beyond" s’est quand même déroulé sereinement ?

    David Cage : Je ne sais pas si on peut créer en étant sûr de son fait, en sachant parfaitement que son projet sera un succès… Je n’arrive pas à travailler avec cet état d’esprit. J’ai tout le temps besoin de me remettre en question. Je rencontre en ce moment plein de gens impatients de jouer à Beyond ; j’espère qu’ils seront satisfaits, mais j’ai toujours des incertitudes, quant à mes choix, comme pour Heavy Rain…

    Le développement a été cette fois-ci plus rapide car pour la première fois, on n’a pas passé un an à essayer de convaincre un éditeur. Après Heavy Rain, Sony nous a demandé ce qu’on voulait faire : j’avais une feuille de synopsis sur Beyond, je leur ai parlé d’une histoire de fille ayant un lien avec une entité, l’éditeur m’a dit tout de suite "Banco, on y va". Ils m’ont pratiquement fait un chèque en blanc en me laissant faire le jeu que j’avais envie de faire. Par ailleurs, on était plus de 200, presque deux fois plus nombreux que sur Heavy Rain, ce qui a d’ailleurs parfois pu compliquer la gestion de la direction artistique. En masse de travail, cela a représenté trois ou quatre fois Heavy Rain.

    AlloCiné : Techniquement, qu’est-ce qui a changé entre les deux titres ?

    David Cage :Tout. Il y a un nouveau moteur graphique, inspiré en grande partie de nos développements parallèles pour la PlayStation 4. Un nouveau moteur d’effets spéciaux, un nouveau moteur d’animation. La performance capture a totalement modifié la manière de travailler : le jeu des acteurs a été numérisé dans son intégralité via cette technique. Il y a beaucoup plus de variété dans l’expérience de jeu, puisque l’histoire se déroule sur quinze ans. Les décors sont très différents, les plus grands pouvant être explorés. On a aussi bien des scènes intimistes et émotionnelles qu’épiques et spectaculaires. Le scope du jeu n’a rien à voir avec ce qu’on avait pu faire sur Heavy Rain. Visuellement, on a pratiquement l’impression qu’il y a une génération d’écart entre les deux jeux. Toutes les scènes montrées de Beyond tournent pourtant en temps réel sur une PlayStation 3

    AlloCiné : Sur la page de garde du dossier de presse de "Beyond Two Souls", il y a une citation de vous : "Quand Tarantino présente un nouveau film, personne ne lui demande s’il est amusant. On l’interroge sur le contenu et sur le propos." Que vouliez-vous dire exactement ? Insister sur le caractère sérieux d’un jeu vidéo?

    David Cage : J’ai dû faire cette déclaration en anglais, il y a un petit moment, en réponse à une question qui m’était fréquemment posée : "Where’s the fun ?"… Mais qu’est-ce que ça veut dire, être "fun", pour un jeu vidéo ? Car le mot n’a pas exactement le même sens qu’ "amusement" en français. Est-ce qu’on demande à un cinéaste si son film, qui peut être un drame, est fun ? Pendant très longtemps, dans le jeu vidéo, il fallait dire où se trouvait le fun dans un titre. On m’a posé cette question sur Fahrenheit, sur Heavy Rain. Objectivement, on ne peut pas dire qu’Heavy Rain soit un jeu fun. Est-ce qu’on voulait sous-entendre par cette question que c’était un jeu inintéressant ? Je pense qu’il proposait une expérience différente.

    AlloCiné : On a néanmoins l’impression que vous êtes toujours dans une procédure de déconstruction des codes vidéoludiques. Il n’y a pas de Game Over dans votre titre par exemple. Peut-on encore parler de Jeux vidéo ?

    David Cage : Lorsqu’on veut construire quelque chose de nouveau, on peut parfois le faire sur des choses préexistantes. Mais d’autres fois, il faut tout raser au bulldozer. La plupart des autres développeurs de jeu essayent de bâtir autour d’un socle historique, en rajoutant de la narration et de l’émotion. Moi, je n’ai jamais considéré que ce socle était un prérequis déterminant ce que devait être un jeu vidéo. Je ne pense pas qu’un flingue, des voitures, des plateformes, des gens à tuer soient les éléments obligatoires de l’expérience interactive. Ils représentent une forme d’expérience interactive. Moi je ne veux pas de flingues, de vies, de game over, de points, car cela ne correspond pas à l’expérience que je veux créer. Je comprends les autres jeux vidéo, je les apprécie, mais je veux construire ma petite "maison" à côté. Elle sera à mes goûts et pas basée sur des concepts inventés il y a trente ans.

    "On essaie de se placer dans la même optique que Pixar, qui produit des courts métrages entre ses longs, pour essayer de nouvelles idées."

    AlloCiné : Le parc de la PS3 est chiffré à environ 70 millions de machines. Mais n’aviez-vous pas eu envie d’adapter "Beyond" sur PS4 ? Surtout que le jeu sort deux mois avant la nouvelle console de Sony…

    David Cage : Fahrenheit avait été un des tous derniers jeux de la ludothèque PlayStation 2 et cela avait contribué à son succès. On arrive à un moment où on a beaucoup de recul sur la PS3 et où le parc, en effet, est très étendu. Il faudra probablement attendre quatre ou cinq ans avant qu’il y ait autant de PS4 dans le monde. Et puis, il n’y avait pas que la question financière, on avait vraiment l’intention de toucher un maximum de gens.

    AlloCiné : Vous dévoilez régulièrement des courts métrages avant vos jeux. C'était le cas avec "The Casting" avant "Heavy Rain"; "Kara" avant "Beyond", et dernièrement "The Dark Sorcerer"...N’avez-vous jamais eu l’idée de développer en jeux vos courts métrages ?

    David Cage : Non, on se place dans la même optique que Pixar, qui produit des courts métrages entre ses longs, pour essayer de nouvelles idées. J’ai écrit Kara pour tester un nouveau moteur graphique, celui qu’on a utilisé pour Beyond. On voulait également expérimenter la Performance Capture. Je ne voulais pas travailler avec Ellen Page et Willem Dafoe en utilisant une technologie que je ne maîtrisais pas. Ce test me permettait aussi d’imaginer ce que serait la direction d’acteurs. J’ai écrit le synopsis de Kara en deux heures, mais on a tout de même "casté" plusieurs centaines d’actrices pour le rôle-titre, avant de tomber sur le visage androgyne de Valorie Curry, qui a livré une performance incroyable.

    Kara, le court à l'origine de Beyond : Two Souls.

    Le film a eu un énorme impact, au-delà même du grand public et du secteur du jeu vidéo. Je sais que Pixar et Weta Digital, le studio d’effets spéciaux qui travaille avec Peter Jackson, ont été impressionnés. Encore aujourd’hui, un an et demi après la diffusion du short film, je reçois tous les jours des mails d’internautes, joueurs ou pas, qui me disent de sortir un jeu Kara ; certains sont même prêts à cofinancer son développement via Kickstarter ! C’est très touchant et en même temps on ne voudrait pas décevoir les gens. Même chose pour The Dark Sorcerer, il n’y a pas de projet de jeu PS4 derrière.

    AlloCiné : J’ai été un peu surpris par les propos d’Ellen Page, dans un des modules vidéo qu’on a pu voir : l’univers du jeu vidéo ne lui était pas familier. Ça m’étonne un peu, vu son âge. À contrario, un acteur quinquagénaire comme Willem Dafoe a accepté de participer à l’aventure. Comment les avez-vous convaincus ?

    David Cage : Ils ont eu des démarches très différentes. Ellen a découvert les jeux vidéo dans son enfance, mais elle a dû quitter très tôt le foyer familial pour aller sur les tournages. Ce média continue cependant de la fasciner. Elle était très attirée par le personnage de Jodie Holmes. Elle m’a dit plusieurs fois que c’était un rôle qu’on ne lui proposait pas à Hollywood. Elle y a trouvé un vrai challenge d’actrice : jouer un même personnage à différents stades de sa vie. D’autant que Jodie lui ressemblait sur bien des points, d’après ce qu’elle m’a dit.

    Willem, lui, est un acteur polyvalent, oscarisé pour Platoon, qui a tourné avec les plus grands réalisateurs de cinéma… Mais il a également une magnifique carrière sur les planches. Il a eu une compagnie de théâtre pendant près de trente ans et cette année, il jouait tout seul, sur scène, dans une pièce avant-gardiste et risquée. Il était en quête de nouvelles expériences. Je pense qu’il a été séduit par la passion que l’on affichait pour ce projet. Il a senti que l’on ne voulait pas se faire de l’argent sur son nom, mais qu’au contraire on le voulait pour ses qualités d’acteur.

    AlloCiné : Comment dirige-t-on justement un comédien comme Willem Dafoe ? Ne faisait-il pas des suggestions de mise en scène ?

    David Cage : Je crois que les gens très talentueux sont respectueux du travail d’autrui. J’avais déjà pu le vérifier avec David Bowie [NDLR : sur The Nomad Soul, 1999]. Ils n’ont plus rien à prouver. Ils ne veulent pas collaborer à un projet pour satisfaire leur ego, mais pour mettre leur talent au service de ce projet. C’est vraiment ce que j’ai ressenti sur le plateau. À aucun moment Ellen, Willem ou Bowie il y a quinze ans, ne sont venus me dire ce que je devais faire. Jamais. Ils se sont spontanément mis au service de ma vision et ont essayé de la servir le mieux possible. Par conséquent, la direction de ces acteurs a été très facile. Ils savaient nous fournir de l’émotion, du drame, et comprenaient tout très vite. Ils font plus que jouer un rôle, ils deviennent leur personnage.

    AlloCiné : c'est curieux mais en préparant notre entretien et pour rebondir sur ce que vous venez de dire, j’ai lu des propos du scénariste Jeffrey Yohalem [NDR : dans "IG Magazine" n°27], qui a travaillé notamment sur "Far Cry 3". Il allait dans le même sens que vous; "Jouer à un jeu, c’est comme vivre le jeu d’acteur d’un film" disait-il. Vous êtes d’accord avec cette phrase ?

    David Cage : Oui, jouer, c’est comme une simulation de la vie, en quelque sorte. C’est se retrouver dans des situations, réalistes ou pas, que l’on doit résoudre et qui nous impliquent émotionnellement. La plupart d’entre nous ne vivrons pas les mêmes choses que les protagonistes d’Heavy Rain. Heureusement. Mais jouer à une telle aventure permet de se demander ce qu’on aurait fait dans pareille situation. Dans le cas de Beyond : Two Souls, le voyage est différent : il s’agit clairement de vivre la vie de quelqu’un d’autre sur quinze ans.

    AlloCiné : les jeux vidéo ne devraient-ils pas mieux s'approprier les techniques cinématographiques, comme le Slow-Motion par exemple ? C'est très souvent utilisé de la même manière dans des cinématiques ou Cut-Scene, alors que le ralentissement du temps pourrait permettre de montrer des sentiments / de l'émotion dans un jeu ?

    David Cage : Je suis d’accord, on a d’ailleurs fait quelques scènes au ralenti sur Heavy Rain, notamment dans le cimetière. Mais s’approprier la grammaire du cinéma prend beaucoup de temps. Sur Heavy Rain, on était encore fascinés par la facilité avec laquelle on pouvait faire les choses, entre autres avec les caméras qui étaient faciles à utiliser pour zoomer, bouger dans tous les sens. Donc on en a parfois abusé. Sur Beyond, on a fait en sorte que tout mouvement de caméra soit justifié. Résultat, le jeu est mieux réalisé du point de vue de la mise en scène, car on a su intégrer ces fameux codes du 7e Art.

    " quand j’entends le scepticisme de Steven Spielberg ou George Lucas quant à la possibilité de raconter une histoire dont le joueur est le héros, je suis effondré."

    AlloCiné : Il y a trois ans, vous me disiez que le cinéma regardait le monde du jeu vidéo avec un mélange de curiosité teintée de snobisme. C’est toujours votre sentiment ?

    David Cage : Oui, toujours. D’ailleurs, on peut souvent lire dans une critique de film négative qu’il souffre d’une esthétique de jeu vidéo. C’est un des pires jugements de la part d’un critique voulant descendre un film. Je comprends pourquoi. Un certain nombre de jeux vidéo fonctionnement sur du mauvais goût, de la violence gratuite, des éléments sans queue ni tête. Maintenant, quand j’entends le scepticisme de Steven Spielberg ou George Lucas quant à la possibilité de raconter une histoire dont le joueur est le héros, je suis effondré. Ils méconnaissent le sujet. C’est dommage, car aujourd’hui les choses excitantes d’un point de vue narratif émergent du jeu vidéo.

    AlloCiné : Vous trouvez donc qu’il y a un manque de sens dans le monde du jeu vidéo ?

    David Cage : Personnellement, j’ai bataillé pendant des années, depuis Fahrenheit, pour parler d’émotion dans les jeux vidéo. Tout le monde me prenait pour un alien. Aujourd’hui, les choses ont évolué. Les développeurs ont la volonté de placer de l’émotion dans leur soft et le revendiquent. Même les Shooters aujourd’hui veulent de la profondeur et de la narration. La prochaine bataille, c’est le sens. Beaucoup de jeux vidéo actuels paraissent vides de sens. Leurs développeurs ont peut-être su créer un moment avec de l’émotion, mais n’ont pas su raconter quelque chose de fort. Cela va certainement mettre des années à changer, même si les choses sont déjà sur la bonne voie : il y a désormais de vrais auteurs derrière les jeux, et non plus des équipes marketing se mettant à raconter l’histoire qui a le plus de chance de séduire les 15-25 ans. Il faudrait que ces auteurs travaillent plus librement, sans censure et trouvent le moyen de raconter une histoire forte à travers un média interactif.

    On ne parle pas beaucoup de la censure dans le jeu vidéo, mais on est au même niveau que le cinéma dans les années 50. Avoir deux personnages qui s’embrassent, une scène un peu sensuelle, une goutte de sang, ça pose problème. Surtout pour tout ce qui concerne le sexe. Il faudrait qu’un jour on puisse avoir un jeu qui parle de politique, d’homosexualité, de handicap… On peut parler de n’importe quoi dans un jeu dès lors que c’est fait avec sensibilité, avec intelligence et avec goût. Dans Beyond, il y a un moment où Jodie vit dans la rue. On a essayé de mettre le joueur dans la peau de quelqu’un qui vit dehors, qui a besoin de manger et qui a froid. On se dit que cette expérience pourrait changer à un petit niveau le regard des gens sur les SDF. Le jeu vidéo permet aussi ce genre de démarche et pour moi c’est la plus intéressante qui soit.

    AlloCiné : Fait rarissime, Beyond Two Souls a été présenté au dernier Festival du film de Tribeca. Comment cela s’est-il passé ?

    David Cage : C’était la première fois qu’un jeu vidéo était dans la sélection officielle de Tribeca [NDR : il y a bien eu une présentation du jeu L.A. Noire par Rockstar en 2011, mais c'était dans le cadre d'un atelier de rencontre] Traditionnellement, l’éditeur paye pour un partenariat avec ce genre de manifestation. Là, on a été invités par les organisateurs du festival. On était curieux de voir la réaction du public, qui n’était pas composé que de gamers. On a présenté 45 minutes du jeu, la scène où Jodie est sans domicile, avec l’acteur américain David Coburn, qui vit à Paris et qu’on a pu voir dans la série TV Platane. Les gens ne savaient pas à quoi s’attendre. Ils ont été totalement pris de court par la dimension sociale, le propos et le jeu d’acteur. Leur réaction a été très positive. Les organisateurs de Tribeca, qui organisent également le Festival de Sundance, ont voulu sélectionner le jeu après avoir vu cette scène. Ils se sont dits : "Ça, c’est le futur de la narration ! Il faut parler du jeu vidéo si c’est là que se joue cet avenir."

    David Cage et Ellen Page sur le Red Carpet du Festival du film de Tribeca.

    C-dessous, la bande-annonce montée spécialement pour la présentation du jeu au Festival de Tribeca :

    AlloCiné : J'imagine que ca a a dû vous conforter dans votre approche ?

    David Cage : Bien sûr, cette réaction est encourageante. Mais il ne faut pas perdre de vue que cela est relativement marginal et que l’industrie vidéoludique reste massivement productrice de jeux de tir et de voitures. Il suffit de regarder les sorties de Noël pour s’en convaincre.

    AlloCiné : Robert de Niro, qui est le père du Festival de Tribeca, a une jolie formule : "Il faut s’intéresser au jeu vidéo et l’aider, parce que c’est un enfant du cinéma"…

    David Cage : Belle formule en effet. Robert, bravo ! Faisons un jeu ensemble ! (rires) Il a raison. D’ailleurs, en travaillant avec Ellen, Willem ou le compositeur Hans Zimmer, on a essayé d’établir des passerelles entre les deux secteurs. On respecte le cinéma, il faut que le cinéma nous respecte comme jeune média, un petit frère qu’il faut encourager. On ne va pas du tout se concurrencer, juste coexister et s’influencer mutuellement.

    AlloCiné : vous parlez de Hans Zimmer. Pourquoi l'avoir choisi pour signer la BO de "Beyond" ?

    David Cage : Au départ, on devait travailler avec Normand Corbeil, qui avait collaboré à Heavy Rain mais qui est malheureusement décédé au début de ce projet. J’avais beaucoup aimé le travail de Hans avec Lorne Balfe sur Inception, au niveau de la texture musicale. Je trouvais qu’ils avaient su créer une vraie identité sonore. On les a rencontrés en leur précisant qu’on ne voulait pas une musique typique de jeu vidéo, qui sonne comme du John Williams en moins bien. On avait envie d’un travail cinéma, sur les thèmes, les mélodies. On a prévenu Hans et Lorne que le volume exigé par Beyond serait important : 15 heures de contenus, et non 90 minutes.

    Lorne Balfe et Hans Zimmer à la BO du jeu "Beyond : Two Souls".

    Ils nous ont rapidement envoyé des thèmes satisfaisants et la collaboration s’est déroulée très simplement. On avait l’impression de parler le même langage. Ils ont tout de suite compris ce qu’on voulait dire à travers cette histoire, et ils ont très vite su comment traduire nos intentions en notes de musique. L’enregistrement s’est déroulé à Londres avec un orchestre symphonique. Mais ils ont également utilisé des textures synthétiques pour évoquer le mélange entre deux mondes, le monde organique réel de Jodie et celui plus étrange et intrigant d’Aiden, l’entité.

    AlloCiné : Dernière question : En 2011, on avait appris qu’ "Heavy Rain" allait être adapté au cinéma par David Milch, créateur de la série "Deadwood". Où en est le projet ?

    David Cage : Je n’ai pas de grande révélation à faire. Effectivement, Milch a écrit un script assez étonnant. Les droits du jeu ont été optionnés par la Warner. On n’en sait pas tellement plus, d’autant qu’on a été absorbés par le développement de notre dernier jeu. D’ailleurs, Beyond a également séduit des studios, puisqu’ils viennent nous démarcher pour signer les droits. On regarde ça avec beaucoup d’intérêt mais en se tenant à distance. Pour s’investir réellement dans ces projets, il faudrait s’installer à Los Angeles et courir après des agents toute la journée. Si ça se concrétise, tant mieux. Mais ça ne fait pas partie de mes priorités et de mon travail actuel.

    Bande-annonce de "Beyond : Two Souls" :

    Propos recueillis par Olivier Pallaruelo le 5 septembre 2013.

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