Jan Ole Gerster - Crédit : Thomas Caramelle/AlloCiné
Allociné : Le café est un peu le fil rouge de votre film. Presque un personnage, un élément perturbateur. Pourquoi avez-vous fait le choix du café comme fil conducteur ?
Jan Ole Gerster : Quand j'ai écrit le scénario, j'avais l'impression que l'histoire était un peu à contre-courant. Le personnage principal est assez passif mais il devait avoir quelque chose qu'il voulait vraiment, quelque chose qui le motive. Le café est tellement important pour commencer une journée, moi-même j'en ai besoin pour démarrer. Cette chose toute simple mais tellement dure à trouver dans le film. C'est une métaphore, parce que le café est le symbole du réveil et qu'il n'en boit qu'à la toute fin de l'histoire.
Quel est le problème de Niko, à part le café ?
Le café n'est pas vraiment un problème. Il est juste inquiet, il perd pied avec le monde qui l'entoure et peut-être avec lui-même. Il est à un moment de sa vie où il devient distant avec tout le monde même si son entourage, comme son père ou sa petite amie, lui fait comprendre qu'il ne peut plus vivre comme ça. En même temps j'aime l'idée que Niko ait un problème avec l'alcool mais pas parce qu'il a l'habitude de boire mais parce que les gens le font boire, son voisin, son père qui lui dit "il est trop tard pour un café, viens boire du schnaps"...
Il n'est pas dépressif ?
Non, pas dépressif. Peut-être un peu perturbé.
Pourquoi avoir fait le choix du noir et blanc et de la musique jazz qui donnent ce côté "rétro" à votre film ?
J'ai fait le choix du noir et blanc dès le début de l'écriture du scénario. Ce n'était pas pour faire le portrait d'une génération, mais plus pour installer une certaine distance entre le personnage et moi. J'ai réussi à convaincre tout le monde là dessus car je voulais que cela soit intemporel. La musique jazz, je l'ai découverte quand je montais le film. Je voulais quelque chose de différent, pas de classique. J'aime beaucoup les musiques de Simon & Garfunkel, et ces sortes de ballades... Le film n'est pas mélancolique mais plutôt nostalgique, le personnage est un peu hors du temps et je souhaitait une musique qui le ramène un peu sur terre. J'ai découvert quatre jeunes qui étudiaient le jazz à l'université de Berlin et ils ont mis deux semaines et demie pour composer la musique.
Vous vouliez marquer la différence entre la situation dans le film et la façon dont le spectateur devait la comprendre...
Ma plus grande peur c'est que les gens pensent qu'il s'agit d'un témoignage sur cette génération, celle des jeunes qui vivent à Berlin. J'ai voulu faire quelque chose de beaucoup plus universel. J'ai essayé d'ouvrir les différentes perspectives du personnage pour que ce ne soit pas tout simplement la représentation d'une génération particulière.
Vous avez dit que votre film était une tragi-comédie. Vous abordez des sujets sérieux parfois sensibles mais vous le faites avec humour, presque "so british". Pourquoi ?
Je ne pense pas que cela soit une décision formelle, je dirais juste que c'est ma sensibilté personnelle. Vous mentionnez l'humour anglais, je suis un très grand fan des films sur la classe ouvrière britannique. C'est l'exemple parfait des films qui combinent les deux genres, humour et tragédie. Je n'en ai pas fais un objectif parce que cela me semblait naturel mais je voulais simplement essayer par moi même. C'est aussi plus simple de parler d'un sujet avec humour... Inévitablement l'humour aide à décrire un sujet sérieux. Woody Allen a dit : "une comédie c'est une tragédie plus le temps". Je suis assez d'accord avec ça.
Quels éléments autobiographiques avez-vous intégrés dans votre film ?
D'une certaine manière je décris la solitude du personnage, celle que j'ai un peu vécu à un moment. Mais c'est plus l'atmosphère du film en général qui est la plus représentative pour moi. Je me suis posé les mêmes questions que le personnage, est-ce la bonne voie que j'emprunte ? Est-ce que ce sont les gens qui sont bizarres ou bien est-ce moi ?
Mais vous n'êtes pas exactement comme Niko ?
Plus maintenant ! (rires)
Avez-vous laissé quelques libertés à vos acteurs pendant le tournage ?
Je suis vraiment intéressé par les idées des acteurs. Avant de donner mon opinion j'aime écouter celles des autres. Savoir ce que j'aurais pu manquer, ou des éléments auxquels je n'aurais pas pensé. Je ne suis pas ce genre de réalisateur strict, j'aime être dans un environnement créatif, et comme chacun à lu le scénario, chacun peut donner son avis. Mais ce ne sont pas non plus des idées qui changent le cours de l'histoire, simplement des façons de jouer, des gestes. Par exemple, quand le père de Niko s'en va et qu'il donne un grand coup dans les fleurs, c'est une idée du comédien, ce n'était pas dans le script.
Vous avez tourné plusieurs documentaires, et certains plans de votre film en ont la même construction. Quelles différences faîtes-vous entre le documentaire et la fiction ?
Le documentaire impose obligatoirement plus de responsabilités, moins de manipulation et c'est une grande différence. Vous trouvez que le film se rapproche du documentaire ?
Pas le film en lui-même mais la façon dont vous filmez la ville, les rues, presque comme un reportage...
Peut-être parce que je voulais montrer que mon personnage est tout seul parmi des millions, que ce n'est qu'une histoire parmi des millions. C'est une manière de montrer toute la solitude du personnage dans quelque chose de global.
Pensez-vous appartenir ou avoir intégré la nouvelle vague du cinéma allemand avec Oh Boy, ou ce que l'on appelle la Berliner Schule ("l'Ecole de Berlin") ?
Je suis presque sûr qu'il ne m'accepteraient pas dans leur "club" (rires) et je ne me sens pas faire partie de cette Berliner Schule. J'apprécie beaucoup de films que l'on appelle de la Berliner Schule mais je ne me cnsidère pas moi-même comme un de leur membre, et je pense qu'ils sont d'accord avec moi.
Dans "Oh boy", On suit votre héros pendant seulement 24 heures à Berlin, mais que se passe-t-il après cette journée singulière ?
Je vous laisse imaginer la suite mais pour ma part je pense qu'il commence tout simplement une nouvelle journée. Je suis très optimiste quant à son futur, j'ai confiance en lui parce que c'est quelqu'un d'intelligent et qu'il saura trouver une façon de sortir de son tourment.
Propos recueillis à Paris le 4 juin 2013 par Simon Deculty