Il fallait bien ça pour nous consoler de cette grisaille d'avril : une exposition consacrée au Monde enchanté de Jacques Demy. On connait peu de cinéastes -surtout français- dont l'oeuvre se prêtait avec une telle évidence à ce type de célébration.
Son cinéma, unique, dialogue avec les autres arts : la musique, évidemment, mais aussi la littérature (des contes de fées aux mangas en passant par Colette, qu'il adapta pour le petit écran), sans oublier la peinture. Venu au 7e art par le dessin (animé), il signa dans les années 80 plusieurs tableaux -qu'on peut découvrir aujourd'hui dans cette exposition (photo ci-dessous), à côté de toiles de Raoul Dufy, Ed Ruscha ou David Hockney, dont le style ou les motifs entrent en résonance avec le Demy-monde. Ce n'est pas un hasard si un des artistes que le cinéaste admirait le plus, Jean Cocteau, était lui-même un grand touche-à-tout. Parmi la multitude de documents rassemblés figure d'ailleurs un télégramme de félicitations envoyé par l'auteur de "La Belle et la bête" à la sortie de son premier long métrage, "Lola".
Si pareille exposition se justifie pleinement, c'est aussi parce que l'admiration du cinéma de Demy passe souvent par un certain fétichisme -bien des demyphiles connaissent par coeur les répliques-chansons de ses films-phares. Au fil du parcours, sobrement chronologique, on découvre les croquis de la guêpière de Lola, l'authentique Peau d'âne (photo ci-dessous), des répliques des robes couleur du temps, de la lune, du soleil (du même film, photo ci-dessous), des maquettes de l'appartement d'Une chambre en ville, les costumes originaux portés par Marie-France Pisier dans Parking et Mathilda May dans Trois places pour le 26 (photo ci-dessous)...
Demy au travail, ce sont aussi nombre de précieux manuscrits, comme l'ébauche du scénario de "Boubou" (qui allait devenir Les Demoiselles de Rochefort) ou d'étonnantes listes d'acteurs établies en vue du casting de certains films : on apprend ainsi que, pour Les Parapluies de Cherbourg, le réalisateur avait songé à Sophie Daumier pour le rôle de Geneviève (ce sera Catherine Deneuve), et à Maria Pacome, Danielle Darrieux ou Juliette Gréco pour celui de sa mère (ce sera Anne Vernon) ; et pour le rôle d'Orphée dans "Parking" (finalement confié à Francis Huster), on trouve les noms de Gérard Depardieu, Alain Souchon, Julien Clerc et même Patrick Juvet !
L'exposition s'intitule donc Le monde enchanté de Jacques Demy. Si l'adjectif est essentiel, le nom qui le précède a son importance, car Demy s'est construit, au fil des films, un véritable univers, fait de couleurs, de chansons, mais non exempt de noirceur. Comme le prouve une citation de Demy à propos des "Parapluies de Cherbourg", reproduite sur un des murs : "un film contre la guerre, contre l'absence, contre tout ce qu'on déteste et qui brise un bonheur". L'exposition rend compte de cet ancrage paradoxal de l'oeuvre du cinéaste dans la réalité sociale de son époque. Et à propos d'ancre, les villes portuaires sont évidemment à l'honneur : des cartographies de Nantes (la ville de son enfance), Cherbourg ou Rochefort sont consultables sur des bornes informatiques.
Commissaire de cette somptueuse exposition, promise à un beau succès (comme celles de Stanley Kubrick ou Tim Burton), Mathieu Orléan a bénéficié du concours des enfants du couple Demy-Varda, Mathieu Demy et Rosalie Varda. En leur compagnie, il a exploré les archives de la maison de production Ciné-Tamaris. "La douleur est passée, et le fait de retourner dans ces archives, c'est une petite musique douce qui nous permet de partager son oeuvre", explique Rosalie Varda, vingt-trois ans après la disparition du réalisateur. Agnès Varda est présente dans cette expo, notamment à travers les photos qu'elle a prises sur les tournages (on peut aussi mentionner les clichés du photographe David Bailey, époux de Deneuve à l'époque des "Demoiselles"). Mais l'auteur des "Plages d'Agnès" est surtout fière que ses deux enfants aient pris le relais dans la course de Demy-fonds. Faisant joliment référence au cake d'amour de "Peau d'âne", elle constate : "Moi je suis un peu comme la cerise sur le gâteau, on me met là pour faire joli. Mais je suis aussi la bague qui est à l'intérieur du gâteau. Et cette bague, c'est mon alliance avec Jacques."
Julien Dokhan
Reportage photo : Thomas Caramelle
Exposition Jacques Demy
du 10 avril au 4 août 2013 à la Cinémathèque Française
Tous les détails ici (avec le programme des rétrospectives et les différents évenements)
VIDEO : la bande-annonce de l'exposition
"Le monde enchanté de Jacques Demy" : bande...