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    "Berberian Sound Studio" : le réalisateur au micro !

    Moins de quatre ans après "Katalin Varga", le Britannique Peter Strickland nous présente son deuxième long métrage : "Berberian Sound Studio". Un film d'horreur qui n'en est pas vraiment un. Explications avec son metteur en scène...

    Prix du Jury et de la Critique Internationale au dernier Festival de Gérardmer, Berberian Sound Studio est aussi LE film qui a divisé le public, qui s'attendait sans doute à autre chose. Mais le réalisateur s'en défend et s'explique. "Ecoutez la peur", nous dit l'affiche. Commençons par Peter Strickland...

    Allociné : Qu'avez-vous ressenti en apprenant que "Berberian Sound Studio" avait remporté deux prix au Festival de Gérardmer ?

    Peter Strickland : J'étais très content. Ce qui est étrange quand vous faites un film, et surtout quand vous le montez, c'est que vous êtes dans l'isolation la plus complète, sur le plan psychologique notamment. Du coup vous n'avez pas la moindre idée de la façon dont ce sera reçu. Après l'avoir terminé, nous avons d'ailleurs essuyé des refus de la part de festivals, donc nous pensions que personne ne l'aimerait, ce qui fait que j'étais d'autant plus content de remporter ces prix.

    Sur place, "Berberian Sound Studio" a vraiment divisé le public. Vous attendiez-vous à ce qu'il produise un tel effet ?

    Oui, je m'en doutais, mais je ne l'ai pas fait ainsi dans ce but. J'ai quand même réalisé que certains membres de mon équipe étaient derrière, et d'autres un peu moins convaincus. Je pense que tout ce que vous faites de personnel divisera forcément les gens. Ça n'a rien de volontaire. C'est lié à la nature de ce genre de choses. Et puis je ne sais pas ce qu'il en est au niveau de la France, mais dans d'autres pays, il est considéré comme un film d'horreur et a été projeté dans des festivals centrés sur ce genre. Moi ça me va, mais je pense que les spectateurs s'attendent à un autre type de long métrage, donc il y en a qui sont agréablement surpris, et d'autres qui en sortent énervés et demandent à ce qu'on les rembourse. C'est un peu comme avec l'histoire du boeuf remplacé par de la viande de cheval : Berberian Sound Studio est la viande de cheval du genre horrifique (rires)

    C'est vrai que le film n'est pas un film d'horreur à proprement parler. Comme le décririez-vous ?

    Un drame, je dirais. En plus "drame" est un terme neutre, qui peut cacher n'importe quoi au final. Et pour moi, plus on est neutre en décrivant quelque chose, mieux c'est. Mais nous nous sommes longuement demandés comment vendre le film. J'aime l'horreur, et ça ne m'ennuie pas que Berberian Sound Studio soit rangé dans cette catégorie, mais le public a toujours besoin de savoir ce à quoi il doit s'attendre. Ou ne pas s'attendre, car il n'y a ni sang, ni meurtre ici.

    C'est justement l'un des aspects les plus marquants du film : on ne voit jamais ce sur quoi Gilderoy (Toby Jones) travaille. Etait-ce prévu dès le début, pour faire fonctionner l'imagination des spectateurs ?

    Oui, et d'autant plus que le générique de début de The Equestrian Vortex, le film en question, ne devait pas apparaître à la base. L'idée ne m'a été suggérée que pendant le tournage. Mais je voulais vraiment voir ce qui allait se passer si les spectateurs n'avaient pas l'image, mais seulement les descriptions et le son, en espérant que les sens nécessaires compensent cette absence. Tout le monde vous dira que si vous voyez une photo de votre ex, ça passe. Mais si vous sentez son parfum sur quelqu'un d'autre, dans la rue par exemple, ça vous frappera plus qu'une image, car votre esprit va compenser ce que vous ne voyez pas. Et ça me permettait de ne pas entrer dans cette compétition lancée par le cinéma d'horreur ces dernières années, avec des films extrêmes dont le but était juste de faire pire que les autres. Je n'en vois pas l'intérêt.

    C'est aussi une façon, pour vous, de prouver que le son est au moins aussi important que les images au cinéma.

    Oui, le son peut mieux nous plonger dans un état d'esprit, un monde, une atmosphère. Certains réalisateurs l'utilisent de façon très expressive, mais ils sont trop peu nombreux à mon goût. De plus, j'ai toujours été aussi passionné de musique que de cinéma, et mon expérience vient de ma fascination pour le bruit, les guitares ou des groupes tels que Jesus and Mary Chain. Leur premier album ("Pyschocandy", ndlr) est juste... Bon, si on l'écoute aujourd'hui, il paraît presque normal. Mais en 1985, à sa sortie, on aurait dit que c'était bourré d'erreurs avec tout ces Larsen. Je trouve ça inspirant un groupe qui utilise le bruit, le sifflement ou l'effet Larsen - toutes ces choses qu'on nous demande de ne pas faire - comme forme d'expression. La musique est l'une de mes sources d'inspiration principales.

    Voudriez-vous faire un film musical, histoire de combiner ces deux passions ?

    Pas Les Misérables en tout cas (rires) Il ne faut jamais dire "jamais", mais l'occasion ne s'est encore jamais présentée, et je trouve ça vraiment compliqué à faire. Je suis sûr que j'en connais des bons, mais là comme ça, ça ne me revient pas.

    En attendant, revenons aux films d'horreur et plus particulièrement aux giallos, qui sont au coeur de "Berberian Sound Studio" : qu'est-ce qui vous plaît tant dedans ?

    Je le trouve poétiques, incroyablement lyriques et étranges. Je n'aime pas la violence pour la violence, et ce n'est pas la raison qui m'a amené vers ces films. Ce sont plus la musique ou la lumière, qui leur confèrent cette beauté éthérée. C'est aussi ce que j'ai aimé dans Les Yeux sans visage de Franju : ces éléments merveilleux, fantastiques, poétiques et gothiques à la fois, qui vous plongent dans un autre monde. Et vous trouvez dans l'horreur ce qu'il n'y a pas dans le socio-réalisme ou un film de Mike Leigh. Ni même dans les contes de fées de votre enfance. Ah et j'aime aussi ce côté psychédélique des giallos : si vous regardez Suspiria, c'est sauvage et rock'n'roll. Pas besoin de comprendre, il suffit juste d'expérimenter le film.

    Ce film est le premier que vous tournez entièrement en studio. Vous êtes-vous parfois senti oppressé, comme Gilderoy ?

    Oui, nous sommes tous passés par-là, mais c'était un peu moins dur dans mon cas, puisque nous avons tourné à Londres. En revanche, l'acteur qui joue Santini (Antonio Mancino, ndlr) était nettement plus comme Gilderoy : il venait juste d'arriver à Londres, apprenait encore l'anglais... L'équipe de tournage était anglaise, mais il y avait d'autres acteurs italiens autour de lui en général. Sauf pendant une scène entre lui et Toby Jones. Là il y a eu comme un inversement par rapport à leurs personnages respectifs, et j'étais vraiment désolé pour lui car je sentais à quel point il était effrayé (rires)

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 28 février 2013

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