Rappel des faits : il y a une semaine, le producteur et distributeur Vincent Maraval (Wild Bunch) publiait une tribune dans le journal Le Monde, qui a fait couler énormément d'encre, et déclenché un débat de très grande ampleur parmi les professionnels du cinéma, sur le salaire des acteurs, le modèle économique français et la fameuse exception culturelle française (retrouvez les liens vers nos différents articles en bas de page).
Dans ce contexte, Gilles Podesta, producteur chez Diabolo Films (Le Magasin des suicides), a créé un groupe de réflexion sur Facebook, qui fédère une centaine de membres. AlloCiné a souhaité en savoir plus.
AlloCiné : Tout d'abord, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel?
Gilles Podesta : J’ai passé 15 ans dans les industries techniques chez Kodak, où j’étais le directeur du marketing et de la communication pour quelques pays en Europe dans l’activité cinéma. Ensuite, j’ai rejoint une société de production en tant que producteur associé pour développer des projets. Et après trois ou quatre années, j’ai créé Diabolo Films pour produire Le Magasin des suicides de Patrice Leconte, qui est à ce jour mon premier long métrage d’animation. Donc j’ai un regard assez neuf sur le métier de la production et très orienté industries techniques encore.
AlloCiné : Pourquoi avez-vous créé cette communauté sur Facebook ?
Gilles Podesta : A l’occasion du "Magasin des suicides", mais aussi des projets que j’ai en développement, j’ai trouvé que la position de Vincent Maraval, -qui est, je pense, plus une alerte qu’autre chose-, avait le mérite d’être exposée publiquement. En tant que producteur indépendant, ce sont des questions que l’on se pose.
C’est une démarche personnelle, je ne suis affilié à aucun syndicat. Je trouve intéressant de poser la question, à travers Facebook, pour recueillir les avis des uns et des autres, partager les points de vue. Il n’y a pas de vocation de dénonciation, ni quoi que ce soit. Je publie des articles de différentes opinions pour que chacun puisse avoir toutes les clés en main pour y réfléchir.
On attaque une nouvelle année. On est sur un système qui a été mis en place après la guerre pour défendre la future exception culturelle. Ça vaut peut-être le coup que les professionnels qui ont des mandats, c’est-à-dire les associations de producteurs, distributeurs, de chaines, d’auteurs, se posent la question. Ils ne peuvent pas en faire l’économie.
Dans un système libéral, plafonner des rémunérations, c’est quelque chose de très curieux. Même les Américains ne le font pas. En revanche, la notion de salaire capé -salary cap- existe dans le sport qui est considéré chez eux comme de l’Entertainment, comme peut l’être le cinéma. Donc, ce n’est pas sûr qu’un jour, cela existe en France, mais en tout cas, de revenir à un marché plus serein par rapport aux montants qui sont demandés actuellement et qui font que pour exister, les films se tirent une balle dans le pied...
Par exemple, pour un film que vous souhaitez grand public et pour lequel vous avez besoin d’une chaine privée, d’une chaine publique en financement, se pose mécaniquement aujourd’hui en France la question du casting. Dès lors que cette question n’est pas levée par une toute petite liste de comédiens masculins et féminins, vous mettez en péril votre projet. Là où je rejoins Vincent Maraval, c’est que l’on sait très bien que pour faire ce genre de films, il faut qu’on ait l’assentiment de cette petite liste de comédiens. Le problème que ça pose, ce n’est pas tant cette liste -car ce sont des talents qui participent à la création-, c’est surtout ce que ça induit. Quand vous avez un comédien qui par exemple représente plus de 10% du budget, sur un film à 8 millions, ça va vite! Ca fait 800 000 euros hors charge. Vous êtes obligés de faire des choix par ailleurs pour boucler votre devis. Ces choix se font sur les comédiens complémentaires que vous ne pouvez pas payer à leur juste valeur, sur vos techniciens à qui vous demandez de faire des efforts pour se rapprocher du minimum syndical, voire en dessous, et aussi -et là, personne n’en parle-, aux industries techniques. Les industries techniques, ce sont les loueurs de matériel, les laboratoires, les effets spéciaux. Et je ne vous parle même pas des salaires producteurs, qui sont aujourd’hui systématiquement mis en participation.
La particularité de notre métier, c’est que c’est un art, et en même temps, une industrie. Et l’industrie, ça veut aussi dire que ceux qui financent ont besoin de s’y retrouver. Donc toute l’ambiguïté du cinéma réside là, c’est-à-dire que les 100 films qui sont préachetés par les télés, qui ont vocation à être diffusés, ont vocation aussi à faire de l’audimat. Donc à ce titre-là, on peut comprendre les exigences des chaines. Maintenant je pense que de revenir à une saine réalité dans les chiffres est quelque chose qui n’est pas impossible.
Ces salaires qui sont rares, mais qui existent, font qu’on est obligé de ne pas pouvoir satisfaire le minimum quant aux autres intervenants du film. D’autant plus que le film est un art collaboratif où la contribution de chacun participe au résultat de l’œuvre. Donc c’est le constat, c’est vraiment ce qu’il se passe aujourd’hui.
AlloCiné : Ce groupe de réflexion pourrait-il donner lieu à des actions concrètes ?
Gilles Podesta : Non, je pense que ce ne peut être que les acteurs majeurs de l’industrie qui peuvent trouver des améliorations au système. Cette communauté Facebook a pour valeur de partager l’information et éventuellement de compter les participants. Elle n’a pas pour vocation d’aller au-delà de ça.
Je pense qu’à un moment les associations syndicales et patronales vont s’emparer du sujet. Vincent Maraval, à la fin de son article avait fait une proposition. Au lieu de la dénoncer, ça vaut le coup d’y réfléchir. La question aujourd’hui mérite d’être posée. Après il faut l’accompagner avec un peu plus de sérénité dans la réflexion.
Je crois que la bonne idée, c’est de renvoyer aujourd’hui les lecteurs à feu le rapport du Club des 13. Je crois en fait qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Pascale Ferran l’avait exprimé de manière très violente et très claire. Ce que demande Maraval est l’une des questions de ce rapport. Leur livre blanc est d’une actualité totale, toutes les questions sont encore pertinentes.
Liens :
Le groupe Facebook "Un Salary Cap pour le cinéma français ?" : www.facebook.com/UnSalaryCapPourLeCinemaFrancais?ref=ts&fref=ts
Nos précédents articles sur le sujet :
Une tribune sur le salaire des acteurs français enflamme la toile !
Tribune de Vincent Maraval sur les salaires des acteurs : les réactions (suite)
Polémique sur les salaires des acteurs : la réaction du CNC
Tribune polémique sur le cinéma français : les réactions de Philippe Lioret et Thomas Langmann
Propos recueillis par Brigitte Baronnet
Le Magasin des suicides