Alain Carrazé, directeur de l'agence 8 Art City / Gerry Anderson, créateur des "Sentinelles de l'air", disparu ce mercredi 26 décembre
© 8 Art City / ITV
AlloCine : A quelle occasion avez-vous rencontré Gerry Anderson ?
Alain Carrazé : Je l'avais rencontré pour un reportage pour Temps X [ndlr : émission diffusée sur TF1 à la fin des années 70 / début 80]. Je voulais faire découvrir Gerry Anderson aux téléspectateurs et les faire entrer dans son univers. C'était en 1984. A cette époque, il était beaucoup moins connu en France qu'en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Pour l'émission, j'étais en charge des reportages et des extraits, dans le domaine du fantastique pour le cinéma et les séries, sur les effets spéciaux ou les créateurs, les artistes... Un peu avant 84, Gerry Anderson lançait une nouvelle série Terrahawks, toujours avec des marionnettes, comme ce qu'il faisait dans les années 60, mais avec un nouveau procédé. Cette série était en quelque sorte son retour au genre après des séries avec des acteurs bien réels. J'ai sauté sur l'occasion pour proposer de le rencontrer et de faire un reportage sur lui et son travail. Je voulais aussi montrer le processus de production, avec ces marionnettes, les maquettes, les effets spéciaux, tout en abordant sa carrière, à travers un sujet de 15 minutes, avec des extraits, dans lequel on pourrait passer en revue sa carrière pour montrer justement qu'il n'avait pas fait que Les Sentinelles de l'air et Cosmos 1999. J'ai donc pris contact avec la société de production. Terrahawks était alors inédite en France, et l'est d'ailleurs encore. J'ai réussi à les convaincre... et je suis allé aux studios de Bray [ndlr: dans le Sud de l'Angleterre]. Pendant plusieurs jours, on a donc réalisé un reportage non seulement sur le tournage, mais aussi sur les effets spéciaux, les marionnettes, qui étaient donc différentes de celles utilisées pour Thunderbirds [ndlr : titre original des "Sentinelles de l'air"]. J'ai également pu faire une interview pendant à peu près une heure. On a passé en revue sa carrière, les grandes séries qu'il a produites. Je me souviens également que pour compléter ce reportage, on s'était rendus dans une exposition qui lui était consacrée, non loin de là, qui était montée dans un parc d'attractions, Alton Towers si je me souviens bien. Dans un coin de ce parc donc, il y avait un musée Gerry Anderson, réunissant des maquettes originales de Thunderbirds, Capitaine Scarlet, des modèles originaux de Cosmos 1999... un peu comme à Las Vegas où il y a eu une exposition Star Trek pendant des années.
Quels souvenirs gardez-vous de l'homme Gerry Anderson ?
C'est toujours compliqué de parler de quelqu'un que tu déifies et que tu rencontres pour la première fois. J'ai été frappé par son calme, son détachement. C'était quelqu'un de très british, comme on l'entend généralement. J'ai été presque déçu. Autant j'adorais son travail, autant j'ai trouvé le personnage très en retrait, presque mécanique. Il n'exprimait aucune amertume, bien entendu, mais je ne me suis pas retrouvé face à quelqu'un d'enthousiaste, un type qui te parle pendant des heures et des heures, à la différence de sa femme de l'époque Sylvia [ndlr : également partenaire artistique, associée... et voix de Lady Penelope !], laquelle était particulièrement volubile. Gerry, lui, me racontait que tout ce qui lui était arrivé était dû au hasard, ou presque, que ce n'était pas forcément ce à quoi il se destinait. Par opiniâtreté, il avait persévéré et se trouvait désormais dans une situation où il était connu et célébré pour cela. Bien entendu il ne regrettait rien, d'ailleurs son bureau, tapissé d'affiches et d'autres signes de son succès, était là pour en témoigner, mais il était en quelque sorte distant avec sa propre carrière. Pas vraiment froid... mais presque. Très "british" encore une fois. Avec beaucoup de recul sur les choses et sans extérioriser ses sentiments. Tous les Anglais ne sont pas ainsi, Steven Moffat et Russell T. Davies par exemple sont à l'opposé. Pour moi, Gerry Anderson était un dieu vivant, mais aussi un homme très en retrait par rapport à son travail. Il cherchait sans cesse à améliorer les choses, et ne voulait pas être simplement "celui qui fait des séries avec des poupées".
"J'ai pu rencontrer mon Dieu vivant, mon Disney à moi."
Alain Carrazé, à propos de Gerry Anderson.
Paris, 27 Décembre 2012
"Les sentinelles de l'air" et "Cosmos 1999" sont les deux séries les plus connues de ce côté-ci de la Manche...
Ce sont effectivement ses deux séries les plus connues en France. En Grande-Bretagne, il est un mythe. Il a créé un genre, un univers... et pleins d'autres séries. Paradoxalement là-bas, UFO est peut-être plus connue que Cosmos 1999. C'est peut-être étonnant dans le sens où elle est davantage marquée "Années 70" avec des designs très kitschs... et c'est tout de même une série qui raconte une attaque extraterrestre sur la Terre, une histoire déjà vue 50 000 fois. Space 1999 [ndlr : en V.O.] est plus ambitieuse, a plus d'ampleur et une importante dimension philosophique. Dans le secteur des séries avec des marionnettes, c'est un peu le même phénomène que pour Doctor Who : tous les Anglais ont été baignés par une série de Gerry Anderson. Il y en a quasiment eu une tous les deux ans. Fireball. Stingray était la première série pour les jeunes en couleurs de la télévision anglaise. Les sentinelles de l'air était tellement réussie qu'elle est passée du format 30 minutes à une heure alors même que le tournage était encore en cours. Capitaine Scarlet se voulait plus réaliste, mais peut-être justement trop et c'est sans doute pour cette raison que les téléspectateurs n'ont pas adhéré. Mais je la considère comme une de ses meilleures séries. Joe 90 était peut-être plus enfantin. Secret Service était nettement moins réussie, avec là encore cette volonté de faire plus réaliste... Le point commun est ce génie créatif. Mais il est vrai qu'en France, ses deux séries les plus populaires sont d'une part Cosmos 1999 et de l'autre Les Sentinelles de l'air. D'ailleurs pour la petite histoire il ne s'agit pas de son "premier" titre. "Les sentinelles..." a été choisi à l'époque de son doublage au Canada, pour être plus tard rebaptisé "Lady Penelope", titre sous lequel Guy Lux l'a installé le dimanche après-midi sur France 2. Chez nous on a d'ailleurs découvert ces deux séries, "Space 1999" et "Thunderbirds", en même temps, ou presque, en 1975. Et c'est grâce à Guy Lux, qui avait en charge le samedi après-midi sur la première chaîne, le fameux programme "La Une est à vous", et le dimanche après-midi de la deuxième chaîne une émission d'accompagnement animée par Jean-Pierre Foucault [ndlr: Ring Parade]. En France donc, le samedi on regardait Cosmos 1999, en simultané ou presque avec la Grande-Bretagne, et le dimanche Les Sentinelles de l'air, qui datait d'une bonne dizaine d'années. Pour les enfants de l'époque, l'univers de Thunderbirds n'était pas complètement inconnu. La super voiture de Lady Penelope était déjà en vente en France, une Rolls rose avec une fusée à l'avant et tous les gamins la voulaient. Le film Thunderbirds et l'odyssée du cosmos était en outre déjà sorti au cinéma.
La photo de la rencontre entre Alain Carrazé et Gerry Anderson en 1984 :
© Alain Carrazé
Cette pré-existence avec son débarquement au cinéma a donc aidé son arrivée à la télévision...
C'est ça. Le film est sorti au cinéma, il a également été relayé par des émissions comme La séquence du spectateur, qui diffusait alors de larges extraits de films... Quand tu es enfant dans les années 60, à travers ce film dont on entend parler, des extraits à la télévision, un jouet, une bande dessinée que tu découvres dans un magazine... tu es forcément marqué. Mais il ne faut pas oublier le réel choc provoqué par Les sentinelles de l'air : c'est tout de même une série avec des marionnettes ! C'est insensé ! Et les bouches étaient synchrones avec les voix. C'était fou ce truc, les décors étaient fabuleux... et les effets spéciaux ! Gerry Anderson m'avait d'ailleurs expliqué que le fait que les fils soient visibles dans les séquences avec les marionnettes était voulu. Il y recherchait justement une distanciation avec la réalité. Par contre, dès qu'on basculait sur des plans larges, avec des effets spéciaux, des maquettes, des explosions, il fallait que ce soit ultra-réaliste.
Quelle trace va laisser Gerry Anderson ?
Spontanément je dirais que son héritage est son univers. Un style dans lequel se côtoient des sous-marins futuristes, une organisation de sécurité internationale avec des vaisseaux fascinants, une base lunaire, des personnages avec des uniformes sanglés, un futur improbable... C'est un univers quasi cohérent. Ce qu'il faut garder de Gerry Anderson c'est une vision du futur, peut-être plastique et bande-dessinée, mais bon est vraiment dans le royaume de l'imagination. Personnellement, ce qui me fascinait, c'est que les jouets prenaient vie.
Ci-dessous le générique des "Sentinelles de l'air" :
Les Sentinelles de l'air
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Alain Carrazé est Directeur de 8 Art City, Journaliste & Auteur de nombreux ouvrages et articles sur les séries (Le Prisonnier, chef-d'oeuvre télévisionnaire - Editions Néo, Les séries télé - Hachette Pratique, Chapeau Melon & Bottes de Cuir - Editions Huitième Art)
Propos recueillis par Thomas Destouches le 27 décembre 2012 à Paris