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    Interview : Sue Vertue sort de l'ombre de "Sherlock"...

    A la ville, elle est l'épouse du scénariste Steven Moffat. Dans les coulisses, elle est la productrice de "Sherlock". Rencontre avec Sue Vertue...

    AlloCine : On a parfois l’image, un peu caricaturale, du producteur tirant sur son cigare, à compter son argent…

    Sue Vertue : ...et à manger (rires) !

    Oui ! Mais bien entendu ce n'est pas ça... Pour vous, dans votre fonction de productrice, quel est l'"instant" le plus gratifiant ?

    Je dois livrer ce que j'ai vendu au diffuseur en premier lieu. Par exemple si je vais voir la BBC et que je leur dis : voici la série que je veux faire, je dois m'assurer que telle est la série qu'ils vont pouvoir diffuser. Pour Sherlock, on a dû construire le look du personnage, trouver le réalisateur adéquat, le feeling de la série, réunir un casting et l'argent pour pouvoir réaliser notre vision.

    Pour "Sherlock" justement, vous avez fait deux pilotes, quelque chose n'a donc pas fonctionné...

    En réalité on a fait un seul pilote.

    Un pilote qui est resté inédit. Vous avez enchaîné avec le premier épisode de la saison 1, c'est cela ?

    Tout à fait.

    Quel était donc le "problème" avec le pilote ?

    Ce n'est pas vraiment une question de problème ou non.

    Ce pilote [ndlr: visible sur l'édition anglaise de la saison 1] éait bon mais diffère du premier épisode, ne serait-ce qu'en terme de durée. On passe du 52 au 90 minutes.

    Je considère qu'il s'agit d'un très bon pilote. A l'origine la première saison devait se composer de 6 épisodes de 52 minutes, et non 3 de 90. En réfléchissant avec la BBC, nous sommes arrivés à la conclusion que nous voulions faire de Sherlock un événement encore plus marquant, et ça passait notamment par le passage au format 90 minutes. Wallander, qui était aussi sur la BBC, avait choisi cette option et cela fonctionnait très bien ainsi. Nous sommes donc tous logiquement arrivés à la conclusion que nous voulions, entre autres, créer un événement d'une telle ampleur. Un tel format permet d'ajouter un peu plus de chair et de consistance. On a fait des tests sur le pilote. Je ne suis pas forcément fan de cette étape, mais cela nous a permis entre autre de révéler nos points de désaccord. Au final cela s'est révélé très utile. Cela nous a notamment permis de vérifier l'alchimie entre les deux acteurs principaux [ndlr : Benedict Cumberbatch dans le rôle de Sherlock et Martin Freeman, alias Watson] et de corriger le ton employé dans les scènes impliquant la police, le public l'ayant trouvé de manière générale stupide lors du premier visionnage. Oui, ils trouvaient Lestrade stupide, alors que ce ne devait surtout pas être le cas. Il n'est pas un mauvais policier. Sherlock est simplement plus brillant. Cette étape a donc permis à Steven et Mark Gatiss de s'attaquer à ce problème et de le régler. Entre le pilote et le premier épisode, il y a également eu quelques changements techniques, notamment au niveau de la caméra utilisée.

    Benedict Cumberbatch (Sherlock) et Martin Freeman (Watson)

    ©BBC (British Broadcasting Corporation)

    Des scènes ont aussi été légèrement changées comme la première rencontre entre Sherlock et Watson. Le fond de la scène est la même mais le look diffère, comme le rythme des dialogues...

    Oui tout à fait. On a également changé de réalisateur, lequel s'est d'abord chargé du 3ème épisode [ndlr: "Le grand jeu"] avant de s'attaquer au premier, que Steven était alors encore en train de réécrire. Cet ordre de tournage nous a d'ailleurs permis d'enrichir l'épisode 1. Je pense notamment aux échanges de textos, qui sont affichés sur l'écran de manière dynamique.

    Et ce procédé fonctionne bien d'ailleurs...

    Très bien même. Tellement bien que lorsque Steven a vu le résultat à l'écran, il a incorporé cette idée au scénario du premier épisode.

    Vous produisez les séries de Steven Moffat...

    Pas toutes ! Et je suis mariée avec lui, comme vous le savez...

    Oui, bien entendu ! Donc, vous produisez "certaines" de ses séries. Quel genre de scénariste est-il ? Est-ce difficile de travailler avec le showrunner Moffat ?

    C'est surtout difficile s'il travaille le week-end (rires) ! Dans ces cas-là je suis confrontée à une double question : "Tu vas travailler tout le week-end ?" et  "Où en est le scénario que je t'ai demandé ?". Et si je me mets à lire ce qu'il me remet, je dois bien m'assurer de ne pas être à côté de lui, ou plutôt faire en sorte qu'il ne soit pas à mes côtés, autrement il m'épie et me demande tout le temps "Pourquoi tu n'as pas ri à cette page ?" (rires) Plus sérieusement, c'est particulièrement difficile de le voir en panne d'inspiration. Si vous ne vivez pas avec un scénariste, vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c'est réellement. Dans le passé je me souviens m'être retrouvée au téléphone avec des scénaristes qui me disaient "Je suis en panne-là" et je ne pouvais m'empêcher d'avoir un doute ou de prendre ça à la légère... Moi, je sais lorsqu'il est vraiment en panne. Et je sais ce que cela provoque et implique. Mais lorsqu'un scénario de Steven Moffat [ndlr : Photo ci-contre] arrive sur votre bureau, il est prêt à être tourné. Généralement les scénaristes vous rendent d'abord un document de travail, qui reste à peaufiner et à retravailler, avec des pages et des pages de notes. La version que me remet Steven est généralement prête à être tournée le lendemain.

    Quelles séries regardiez-vous étant plus jeune ? On apprend généralement beaucoup d'un artiste avec ses influences de jeunesse...

    Vous dire ce que je regardais vous donnera un indice sur mon âge (rires) ! Je pense instantanément à Ma Sorcière bien-aimée et L'Hôtel en folie. Je n'ai jamais suivi de soaps dans ma jeunesse. Et aujourd'hui je n'aurais plus le temps. Je regardais davantage de comédies mais bizarrement je ne me souviens plus vraiment lesquelles. En fait je vivais à la campagne, donc je passais plus de temps à faire du cheval (rires) !

    Qu'avez-vous vu en Benedict Cumberbatch qui vous a fait penser qu'il était votre "Sherlock" ?

    Alors que je n'avais pas encore vraiment lu ce que Steven était en train de préparer, je lui ai demandé ce quel type de comédien il recherchait pour le rôle. Il a d'abord évoqué le physique : grand, le visage anguleux, un long nez... et Benedict Cumberbatch [ndlr: Photo ci-contre] n'a pas vraiment un grand nez (rires) ! Il me faisait une description à la fois précise et vague puis nous avons rencontré Benedict ! Il est bel homme et en même temps il dégage quelque chose d'étrange, d'inhabituel. Il y a de la bizarrerie dans son regard. Dès notre rencontre, nous avons su que c'était lui. C'est ainsi.

    Les deux comédiens principaux, Benedict Cumberbatch et Martin Freeman, ont énormément de succès aujourd'hui et enchainent les films. "Sherlock" a grandement contribué à ce succès. Vous devez en ressentir une certaine fierté. Mais cela complique aussi votre tâche...

    Oui ils sont très pris ! Mais aussi occupés que les gens peuvent l'être, s'ils veulent participer à un projet, ils trouvent toujours le temps. Et notre job est de faire en sorte que ça puisse se faire. Je me rappelle qu'à l'époque de Six sexy [ndlr : série créée par Steven Moffat et produite par Sue Vertue], nous avions six comédiens principaux ! Les réunir tous était compliqué... mais on réussissait à le faire parce que tout le monde voulait que ça se fasse. D'autant qu'en Angleterre, le système des contrats est très différent de celui en place aux Etats-Unis où on a un comédien sous contrat pour X années.

    En parlant de "Six Sexy", il y a eu un remake américain, "Coupling". Avez-vous collaboré activement avec les producteurs de ce remake ? Avez-vous participé à son développement ?

    Non. Nous avons essayé de rester impliqués mais... (silence)

    Vous connaissez la série "Episodes" ? Elle raconte comment des scénaristes anglais s'envolent pour Hollywood pour superviser l'adaptation de leur série. Cela ressemble de près ou de loin à votre expérience ?

    J'aime bien cette série (rires) ! Et oui, cela y ressemble. Steven et moi trouvons cette comédie particulièrement drôle et nous retrouverons ici ou là des petites choses que nous avons connues à l'époque de l'adaptation de Six sexy... Au final, on pourrait dire que cela n'a pas été une expérience très heureuse.

    Le cast de Six sexy : Gina Bellman, Kate Isitt, Richard Coyle, Ben Miles, Sarah Alexander & Jack Davenport

    ©BBC (British Broadcasting Corporation)

    Quelle est la première chose qui vous revient à l'esprit quand vous pensez à "Six Sexy" ?

    C'est très étrange parce qu'à travers cette série nous avons engagé des acteurs pour jouer notre propre rôle d'une certaine manière (rires) ! Et bien entendu nous avons fait de notre mieux pour choisir des comédiens jeunes et particulièrement séduisants ! J'en garde un souvenir émouvant. Cela raconte une partie de notre vie, même la naissance de notre premier fils y est abordée...

    Vous avez mis beaucoup de vous-même dans "Coupling", vous êtes mariée au scénariste que vous produisez... N'est-ce pas parfois un peu étrange d'avoir votre vie personnelle aussi liée à votre vie professionnelle ? Les souvenirs sont toujours liés à un univers et à l'autre...

    Il est vrai que notre vie sociale est en partie occupée par notre vie professionnelle. Mais on peut voir cela différemment: lorsqu'un époux rentre à la maison en disant avoir passé une mauvaise journée, l'autre époux n'a aucune idée de ce dont il s'agit "réellement" et n'a pas "profondément" conscience de ce que cela implique. Je prends pour exemple des amies qui ne comprennent pas toujours exactement, ou plutôt dans les moindres détails, ce que leurs maris font tous les jours. Et pourtant ces détails comptent beaucoup. Personnellement, je sais exactement si Steven passe une mauvaise journée, pourquoi et ce que cela signifie (rires) ! Mais l'avantage de notre couple, c'est que nous aimons chacun profondément ce que nous faisons et que nous respectons le travail de l'autre.

    Vous avez été la première à offrir à Steven Moffat la possibilité de travailler sur "Doctor Who". Il s'agissait de l'épisode spécial pour le "Comic Relief" [ndr : "un" Téléthon anglais], intitulé "Doctor Who and the Curse of Fatal Death". A cette époque, la série n'était plus à l'antenne et la nouvelle version n'était pas encore en développement. Il aurait pu s'agir de son premier ET dernier épisode de "Doctor Who" ! Qu'est-ce que cet épisode un peu étrange, avec des Daleks dans tous les sens, vous inspire ?

    C'était étrange puisque Doctor Who était absent de l'antenne depuis 10 ans lorsque nous avons fait cet épisode. Pour l'anecdote, ma mère était l'agent de Terry Nation [ndlr : scénariste pour la première série Doctor Who, il a créé les "Daleks"] et lorsque nous développions l'épisode "Doctor Who and the Curse of Fatal DeathDoctor Who and the Curse of Fatal Death", il était justement très compliqué d'obtenir des Daleks et la permission de les utiliser. Je me suis donc tournée vers une personne que je connaissais bien, ma mère, pour lui faire part de mes difficultés (rires) ! C'était à la fois compliqué et fun de faire cet épisode. A cette époque Doctor Who n'était pas encore revenu à la mode et je sais que tout le monde n'était pas vraiment convaincu que Steven pouvait faire du bon boulot avec le personnage...

    Cet épisode est une déclaration d'amour au personnage et une parodie. Un épisode à part entière et une parenthèse comique...

    C'est gentil. Je vous remercie. Pour ma part, cela fait des années que je ne l'ai pas revu (rires) !

    Propos recueillis par Thomas Destouches le 15 février 2012 à Paris

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    Le 3ème et dernier épisode de la saison 2 de Sherlock, intitulé "La chute du Reichenbach", est diffusé ce mercredi 4 avril à 20h35 sur France 4.

    Et pour en savoir plus sur Sherlock, Doctor Who et le travail de Steven Moffat, (re)découvrez notre interview du créateur/showrunner/scénariste ci dessous :

    Sherlock

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