"Un pet dans une baignoire" : voilà comment Benedict Cumberbatch prouve qu'il ne manque pas d'humour, au moment de décrire la sonorité atypique de son nom. Un nom qu'il a d'ailleurs songé à abandonner à ses débuts sur les planches, avant qu'une rencontre dans le milieu ne le fasse changer d'avis, en lui expliquant qu'il pourrait s'appuyer sur son patronyme pour percer. Il faut dire que pour ce fils d'acteurs, né le 19 juillet 1976 à Londres, le jeu est vite devenu une passion, qu'il a pu exprimer dans les différents établissements qui l'ont vu passer, des écoles publiques à la London Academy of Music and Dramatic Art, en passant par l'Université de Manchester, qu'il intègre au terme d'une année sabbatique passée à enseigner l'anglais dans un monastère tibétain. De là à dire que c'est de là que vient le calme dont il fait souvent preuve à l'écran...
Benedict Cumberbatch (en haut à droite) dans Fortysomething - © Channel 4
Premiers pas
Après des débuts au théâtre, Benedict Cumberbatch s'illustre dans le court métrage Hills Like White Elephants, en 2002, puis débarque sur le petit écran. Mais ni le téléfilm Fields of Gold, ni ses participations aux séries Tipping the Velvet, Affaires non classées ou [MI-5] (où il n'est même pas crédité) ne lui permettent de se démarquer, donc il faudra attendre 2003 et Fortysomething où, aux côtés notamment d'Hugh Laurie, sa voix grave et profonde et son visage étrange commençent à se faire remarquer, le temps des 6 épisodes qu'aura duré le show comique (voir photo ci-dessus). Viennent ensuite un épisode d'Heartbeat (le deuxième auquel il participe, après un premier passage en 2000) et - surtout - Hawking (voir extrait ci-dessous), téléfilm qui marque un premier tournant dans sa carrière, en 2004. Dans la peau du physicien et cosmologiste anglais, qu'une sclérose latérale amyotrophique a considérablement affaibli au fil des ans, Benedict Cumberbatch délivre une performance de haut vol, qui lui vaut une nomination au BAFTA et la Nymphe d'or du Meilleur Acteur dans un Téléfilm au Festival de Monte-Carlo. Une consécration à la hauteur de l'impression qu'avait laissé sur lui le vrai Stephen Hawking, et qu'il ne se sentait pas capable de bien interpréter.
L'histoire lui a donc prouvé le contraire, en même temps qu'elle lui a permis de valider son billet pour le grand écran. Et si la comédie Starter for Ten (2006) n'est importante que pour sa rencontre avec Mark Gatiss (sur qui nous reviendrons plus tard), il en va autrement d'Amazing Grace (2006, mais disponible dans nos bacs à partir du 1er mars), biopic consacré à l'idéaliste William Wilberforce (joué par Ioan Gruffudd) et ses actions contre l'esclavage au XVIIIème siècle, dans lequel il interprète William Pitt (plus jeune Anglais à accéder au poste de premier ministre, en 1783), et gagne une citation au London Film Critics Circle Award du Meilleur Espoir Britannique en 2008, finalement remis à Sam Riley . Outre la révélation de Control, Benedict Cumberbatch était également opposé à Saoirse Ronan, sa partenaire dans Reviens-moi (2008), son film suivant, dans lequel il tient le rôle de Paul Marshall, sur lequel nous ne nous étendrons pas plus, pour laisser la surprise à ceux qui n'ont pas encore vu le drame de Joe Wright (sachez juste que son sourire sur la photo ci-dessous cache bien le fond de son âme). Même marquant, ce personnage ne permet pourtant pas à l'acteur de se faire un nom auprès du public, qui a plus facilement retenu celui de James McAvoy (dont le temps de présence à l'écran était nettement plus conséquent, certes). Benedict Cumberbatch ne lâche pas l'affaire pour autant, et il continue de s'illustrer, au cinéma (Deux soeurs pour un roi, Création, We Are Four Lions) comme à la télé, où il prête notamment ses traits à Vincent Van Gogh, dans un téléfilm consacré au célèbre peintre (2010), après avoir renoncé à passer le casting pour remplacer David Tennant dans Doctor Who, manquant ainsi l'occasion d'être la tête d'affiche d'une série incontournable, dans laquelle son style et son jeu auraient pourtant fait des merveilles.
Benedict Cumberbatch dans Reviens-moi - © Studio Canal
Elémentaire mon cher... Lock Holmes !
Mais ce n'est que partie remise, car le showrunner de Doctor Who, Steven Moffat, a déjà un oeil sur lui depuis sa prestation dans Reviens-moi. Et au moment de faire revivre Sherlock avec Mark Gatiss, c'est sur Benedict Cumberbatch que le choix des deux hommes se portent, pour incarner le détective né sous la plume d'Arthur Conan Doyle, ce qui s'appelle un coup de maître. Car si le scénario et la mise en scène concourrent bien à la réussite de chaque épisode, difficile d'imaginer le show sans le comédien : qu'il débite un monolgue à vitesse grand V, se terre dans un mutisme tel un enfant gâté ou lance une vanne bien sentie à l'un des membres de son entourage, il fait preuve d'un magnétisme incroyable, que son visage pâlé surmonté d'yeux d'un bleu profond et sa voix de baryton viennent indéniablement renforcer, à tel point que Sherlock pourrait passer une heure à détailler le ticket de caisse des courses faites par Watson qu'on serait tout aussi captivés (c'est au moins le cas lorsqu'il raconte ce qu'il sait sur lui, dans l'extrait ci-dessous). Lancée pendant l'été 2010, la série s'est vite avérée être un succès public (8 millions de téléspectateurs en moyenne) et critique, et lui a valu de nombreux prix et nominations, même s'il voit (encore) le BAFTA du Meilleur Acteur lui échapper. Gageons que la très réussie saison 2, diffusée en janvier sur la BBC, devrait lui permettre de l'obtenir, tant il y élève son niveau de jeu (et sa complicité avec Martin Freeman) de plusieurs crans, notamment lorsque son personnage est confronté à des événements qui le touchent personnellement, ou font vaciller ses certitudes.
Un acteur au Taupe !
S'il s'est passé un an et demi entre la première et la deuxième saison de Sherlock, Benedict Cumberbatch n'est pas resté à attendre que son téléphone sonne pour autant, et il s'est même retrouvé sur quelques projets aussi excitants que peut l'être l'adaptation scénique de Frankenstein par Danny Boyle, dans lequel le comédien jouait, un soir sur deux, le docteur ou la créature, accentuant un peu plus la proximité quasi-schizophrénique entre les deux protagonistes. Projetée sur grand écran dans plusieurs cinémas d'Europe, la pièce n'est malheureusement pas passée chez nous, mais sa bande-annonce ci-dessous nous donnait un aperçu assez clair de la performance de l'acteur dans cette version hors du commun.
C'est ensuite sur les plateaux de cinéma que Benedict Cumberbatch s'est illustré, et plus particulièrement ceux de La Taupe et Cheval de guerre, deux des films les plus attendus de ce début d'année 2012, où il nous fait découvrir sa nouvelle spécialité : le vol de scènes. Face à des acteurs de la trempe de Gary Oldman, John Hurt, Colin Firth, Mark Strong ou Tom Hardy, beaucoup se seraient sans doute laissés impressionner (pour ne pas dire bouffer), mais pas lui, qui sait rendre mémorable chacune des apparitions dans le thriller de Tomas Alfredson, sans jamais faire baisser l'ambiguïté qui entoure Peter Guillam. Même chose chez Steven Spielberg : s'il n'est que l'un des nombreux personnage secondaires que croise le canasson Joey au cours de son voyage, et que sa présence à l'écran n'excède pas les 10 minutes, difficile de ne pas se souvenir du Major Stewart. Dans un cas comme dans l'autre, sa carrure et son visage sont les premiers à attirer l'attention, avant que sa voix grave et son phrasé n'enfonçent le clou et ne fassent changer d'avis à tous ceux qui ont qualifié son jeu de monolithique au premier abord.
Benedict Cumberbatch dans La Taupe & Cheval de guerre - © Studio Canal & The Walt Disney Company France
Sa voix sera d'ailleurs plus à l'oeuvre que son physique dans le non moins attendu Bilbo le Hobbit (où il retrouvera son Watson Martin Freeman), puisqu'il y double le dragon Smaug, rôle pour lequel Ron Perlman fut pressenti lorsque Guillermo del Toro était encore aux commandes du projet (il y a très longtemps donc), ce qui donne un aperçu du coffre nécessaire. De là à dire que l'acteur a été recommandé à Peter Jackson par Steven Spielberg, il n'y a qu'un pas que l'on peut allègrement franchir pour prouver à quel point Benedict Cumberbatch est en train d'exploser. Et ce n'est pas J.J. Abrams qui nous fera dire le contraire, vu qu'il l'a choisi pour être le grand méchant de Star Trek 2, dont le tournage se tient en ce moment. Du XVIIIème siècle au futur, du 221b Baker Street à l'Enterprise, Benedict Cumberbatch aura donc mis une petite dizaine d'années à décoller, mais il réalise, depuis moins de deux ans, une ascension fulgurante qui devrait vite l'emmener tout en haut de l'affiche et lui permettre de "cumberbatcher" le public mondial, comme il s'amuse de l'avoir fait avec les Anglais, avant d'ajouter : "Je vais peut-être aussi devenir un gros mot !" Bizarrement on a du mal à y croire...
Maximilien Pierrette