AlloCiné : Comment se déroule l'écriture, quelle est la répartition du travail ?
Iris Ducorps : Au début, nous fonctionnons par brainstorming, on se voit quotidiennement pour dégager les grandes lignes de la saison, décider ensemble des personnages et de leur évolution, en faisant des aller-retours avec la production qui valide chaque étape d’avancement de la réflexion. Ensuite, au stade de la rédaction, on se répartit le travail d’écriture. Par exemple, je fais la première version, Marco repasse derrière, ou alors on se répartit les arches et on échange les textes de manière à avoir toujours deux regards sur eux avant qu'ils partent en lecture et après en production.
Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur cette cinquième saison ?
Marco Rivard : Nous avons démarré ensemble au mois de juin, et rendu les arches en octobre 2010. Donc nous avons travaillé pendant environ trois mois ensemble pour rendre un document d’une centaine de pages, où figurait les 28 épisodes de la saison, avec les trajectoires des personnages, découpées par bloc de 4 épisodes. Nous sommes ensuite passé à une phase d’écriture de storyline qui racontait toute la saison en 2 pages, épisodes par épisodes avec tout le suivi et en essayant de mettre, pour chaque épisode, les intrigues principales. A ce moment là nous n’étions que deux, et nous avons ensuite été rejoint par une équipe d’auteurs. On a alors réparti les épisodes et chaque scénariste est parti avec sa storyline et écrivait un épisode séquencé, dialogué, en 15 jours/3 semaines à peu près.
Emmanuel Bezier : L’étape des storylines est asser fondamentale parce que c’est une sorte de résumé de chaque épisode et c’est véritablement le travail qui sert de socle à toute l’écriture. On peut donné la storyline de l'épisode 13 à un auteur par exemple, et il peut écrire l’épisode parce il a tout : le début, toutes les intrigues, et le cliffanger à la fin pour faire le lien avec l’épisode suivant.
Après 5 ans, même si personnages ne sont plus les mêmes qu’au début de la série, n’est-il pas difficile de se renouveler ?
Marco Rivard : En fait c’est une série un peu atypique, car le panel des personnages change d’année en année. Il se trouve que les jeunes comédiens qui jouent dans la série ne sont pas fidelisés par la production et, en fin de saison, ils ne savent pas si ils reviendront l'année suivante ou non. Cependant, nous nous avons besoin de savoir s'ils reviendront ou non avant de commencer l’écriture. Alors s’ils ne savent pas, nous comptons sans eux et nous créons de nouveaux personnages. Coeur Océan c’est les vacances, et certains personnages fars qui sont là d’une saison à l’autre. Mais après on recrée des personnages, des histoires. Dans cette mesure on est reparti un peu à zéro et on a crée quelque chose de nouveau dans un cadre à priori formaté.
Emmanuel Bezier : Dans la saison 5, seul un personnage des saisons précédentes est présent, Lisa. Au début il y a aussi Max, mais il n’est là que quelques épisodes. Tout le reste a été crée par l’équipe de scénaristes.
Iris Ducorps : Nous sommes obligé de beaucoup nous renouveler, et de voir les saisons précédentes, pour savoir ce qui a déjà été traité, comment, pour ainsi éviter les redites. Ensuite il faut se creuser la tête jusqu’à trouver des choses nouvelles. L’équipe a aussi été un peu renouvellé cette année. Marco avait déjà travaillé sur Coeur Océan, mais au stade d’épisode particulier de la saison précédente, mais moi je n'avais jamais travaillé sur la série. Donc il y a aussi une volonté de la production de renouvelé un peu l’équipe parce que 3 ou 4 saisons écrites par un même duo…c’est normal qu'au bout d’un moment les scénaristes s’épuisent un peu. Là on avait ainsi l’avantage de la nouveauté, et nous étions plein d’entrain et plein d’énergie pour trouver de nouvelles choses.
A propos du changement de casting : est-ce que la première fois que le casting a changé c’était par obligation (parce que les acteurs ont voulu partir par exemple) ou dans l'idée de renouveler la série en apportant de nouveau personnage ?
Emmanuel Bezier : C’était un peu les deux. Comme c’est une série soap, les personnages sont un peu essorés à la fin de la saison et ce n’est pas toujours facile de leur redonner un nouvel élan. Donc parfois c’est plus intéressant d’avoir des personnages nouveaux et de retravailler une nouvelle caractérisation, quitte à l’associer avec des personnages qui vont faire le lien entre la saison précedente et la saison suivante. C’est ce qu’on est en train de faire notamment pour la saison 6. Et parfois c’est vrai qu’on n’a pas les acteurs et qu’on est obligé de trouver des palliatifs.
Marco Rivard : Et puis il y a l’alchimie aussi. Certains comédiens ne sont pas forcément à la hauteur de ce qu’on attendait d’eux, de l’envergure qu’on voulait donner au personnage.
Emmanuel Bezier : Tout à fait et il y a le feedback aussi, à savoir le retour, ce qui a plu aux téléspectateurs. Si tel personnage a été assez mal appréhendé, soit on va l’utiliser mais le réhabilité, soit c’est plus intéressant de l’enlever et d’en créer un autre, en prenant justement dans ce personnage qui a été évincé, les caractérisations qui étaient intéressantes et qui ont plu aux gens. Nous essayions de tenir compte de tous ces paramètres pour ne pas refaire les mêmes erreurs et pour pouvoir se renouveler.
Iris Ducorps : Je pense aussi qu’il y a un code tacite qui s’est établit entre les téléspectateurs et Coeur Océan. Les gens ont maintenant l’habitude de ce délai d’un an d'attente, qui permet un peu au spectateur d’imaginer ce qu’il veut au sujet des personnages, qu’ils reviennent ou non. Donc les spectateurs peuvent être déçu de ne pas en revoir mais en même temps, ça ne les empêchera pas de revenir non plus parce que depuis le début il y a quand même un assez gros turnover au niveau des personnages et des comédiens.
Emmanuel Bezier : C’est vrai que finalement ça fait parti du concept de Coeur Océan, puisque c’est les vacances. Vous avez beau prendre vos vacances au même endroit tous les ans, vous n’allez pas forcément retrouver les mêmes personnes. Alors vous arrivez dans un endroit, il y a de nouvelles personnes et vous faites connaissance avec eux. C’est un peu ce qu’on propose au spectateur. Pour nous ça reste un cahier des charges, en fait on fait avec ce qu’on a mais c’est assez justifié par rapport à la récurrence qui est assez limite dans Coeur Océan.
La série prend de l’âge avec les personnages. Est-ce que vous avez la volonté de faire évoluer la série vers des thématiques plus sérieuses ? Ou est-ce simplement pour conserver les spectateurs d’origines en faisant grandir les personnages en même temps qu’eux ?
Emmanuel Bezier : Avec les chiffres et l’évolution des comportements des téléspectateurs, on s’est aperçu qu’il y a de plus en plus de porosité entre les générations qui regardent les séries. On s’aperçoit que les très jeunes regardent un certain type de série qui sont les mêmes celles que suivent les jeunes, qui regardent les mêmes séries que les adultes... Et c’est ce qui arrive un peu à Coeur Océan, on a finalement une audience qui est plus large donc on a aussi besoin de s’adresser à des femmes de 40 ans, de 20 ans, et à des jeunes de 15 ans, donc c’est pour cela qu’on élargit beaucoup plus les thématiques. On reste toujours sur les vacances, mais c’est vrai que les thèmes qui sont abordés sont traités à différents niveaux.
Iris Ducorps : Quand vous regardez la saison 5, il y a toujours le petit couple d’adolescents qui est là pour que les plus jeunes puissent fantasmer sur les histoires d’amour, le premier grand amour de vacances. Et puis à côté de ça, il y a des personnages d’adultes qui portent la thématiques de la famille recomposée et puis enfin des personnages entre 20-25 ans qui commencent à être des adultes avec des problématiques d’adultes. L’idée c’est un peu de plaire à tout le monde.
Même si les histoires de cœur sont toujours la toile de fond de l’histoire, avec des questions d’avortement, de prison et autres, on s’éloigne de plus en plus du simple concept d’amourettes de vacances, non ?
Emmanuel Bezier : Les histoires d'amour sont peut-être aussi de plus en plus compliqués donc nous sommes obligé de traiter de cette complexité. Et puis il y a aussi une culture de la série qu’on doit de prendre en compte et qui n’était pas la même il y a 6 ans quand Coeur Océan a commencé. Maintenant il y a des exigences des téléspectateurs qui demandent des histoires un peu plus fouillés, avec des personnages plus complexes, pas trop manichéens, donc ça implique forcément des thématiques un peu plus fortes.
Marco Rivard : Et puis avec une tension qui est plus importante que ce qu’elle était au départ, un feuilletonant plus présent, des cliffhangers, alors qu’avant nous écrivions au jour le jour, un épisode puis le deuxième et on savait grosso modo où on allait. Là ce n'est plus possible, nous devons vraiment penser toute la saison avant de l’écrire et c’est compliqué en terme d’organisation. On ne doit pas commettre d'erreur, il faut que ça soit bon du permier coup, parce qu’après une fois que c’est distribué c’est trop tard pour se rendre compte de ce qui ne colle pas dans l’histoire.
Est-ce que le fait que l’action des saisons se déroule toujours sur la courte période des vacances d’été est une contrainte scénaristique ?
Iris Ducorps : Non, le genre fait que tout peut être exacerbé et cela reste crédible parce que c’est du soap et que le soap repose vraiment sur des ressorts sentimentaux et psychologiques. En plus c’est cette période de l’été, un moment où on met sa vie entre parenthèse et de ce fait les histoires d’amour peuvent démarrer très vite et très fort sans qu’il y ait des problèmes de crédibilité et d’adhésion du spectateur. Dans l'ensemble, les personnages ne sont là que pour aimer. Et puis ce qui arrive aussi souvent c’est le coup de foudre quand les personnages se rencontrent. Le spectateur connait également ce code là, il sait que ces deux-là ils va leur arriver tout de suite beaucoup de choses, donc nous avons cette attitude pour entrer très vite dans les histoires et les pousser asser loin même si ce n’est diffusé que sur l’équivalent d’un mois.
Qu’est-ce qui fait selon vous le succès de la série malgré le fait qu'elle soit justement diffusée l’été ?
Emmanuel Bezier : Les gens regardent à cette heure là parce qu’ils sont en vacances. Je pense que c’est un peu en adéquation avec ce qu’ils vivent. Quand on est en vacances on est ouvert à ce qui peut nous arriver, que ce soit des histoires d’amours ou des déchirements, d'un côté on a envie de voir ça mais pas forcément envie de le vivre. Je ne suis pas certain que si c’était diffusé en prime time le soir dans l’année ça aurait le même succès. En tout cas je pense qu’il y a une véritable adéquation entre le moment où les gens le regarde et ce qui est diffusé, ça c’est sur.
Iris Ducorps : Je pense que la dimension feuilletonante joue aussi. Ces dernières années, c’est vraiment rentré dans les habitudes fictionnels des téléspectateurs de retrouver des personnages épisodes après épisodes, donc la dessus Coeur Océan a pris le train en marche du feuilletonant il y a 5 ou 6 ans, et depuis ce style ne fait qu’exploser à travers toutes les séries qui nous sont arrivées des Etats-unis, etc… Du coup, c’est ce qui fait aussi que les gens sont revenus année après année: l’envie qu’on leur raconte une grosse histoire, un gros feuilleton. Et esthétiquement parlant c’est assez joli, ça se passe dans un beau cadre, les comédiens sont beau, bien habillés, bien maquillés, donc c’est un peu comme une bonne crème glacé en été !
Quelle fin possible pour ce genre de série ?
Marco Rivard : Tout le monde dans une voiture, une falaise…(rires)
Iris Ducorps : Ou un tsunami, la montée des eaux et l’île disparait ! (rires)
Marco Rivard : Il n’y a pas de raisons qu’il y ait de fin à Coeur Océan puisque chaque nouvelle saison redémarre sur de nouvelles bases.
Iris Ducorps : La série ne s’arrêtera que par décision de la chaîne.
Emmanuel Bezier : Pour l’instant il y a l’adhésion entre ce qui est écrit, filmé, montré et ce que le gens regardent alors tant qu’on est en phase avec ça, il n’y a pas de soucis à se faire. On essaye à la fois de répondre à une attente, et en même temps de surprendre un peu. Pour la saison 5 par exemple on a essayé de crée pas mal de mystères et on espère que ça va plaire au téléspectateur.
Où trouvez-vous l’inspiration ?
Iris Ducorps : comme tous les auteurs, à travers ce qu’on lit, ce qu’on a vécu, ce qu’on regarde, ce qu’on nous raconte… ce qu’on aurait envie de voir aussi nous en tant que spectateur, ce qui nous ennuie dans d’autres séries on s’en sert pour justement ne pas le faire.
Marco Rivard : Et puis il y a des codes, une espcèce de mécanique d’entraînement qui se fait, on regarde énormément de séries, donc on se nourri de ça aussi, surtout dans la construction.
Emmanuel Bezier : C’est vrai qu’il y a l’imagination, ça c’est une chose, mais il y a aussi la façon dont les choses sont racontés, c'est-à-dire que c’est extrêmement structuré le travail des séries, alors ça l’était peut-être pas il y a une 10aine d’année, la dramaturgie n’était peut-être pas aussi présente dans les séries françaises, et aujourd’hui on est très conscient à la fois du cahier des charges et de la manière et de la manière dont il faut le répartir dans l’écriture. Donc après ça reste aussi de l’entrainement, du professionnalisme, parce que l’imagination ça se travaille aussi, et plus vous écrivez, plus vous avez des idées, alors quand ça fait 15 ans que vous écrivez des idées vous en avez forcément sinon vous ne tenez pas.
Iris Ducorps : et puis après on prend des références aussi, pour la saison 5 on a bcp pensé à Rebecca de Daphné Du Maurier, avec cette idée d’une rivale fantôme qui est là, après au final ça n’est pas Rebecca, mais voilà on a aussi des références littéraires, et ça peut être aussi des thématiques qu’on nous suggère et qui nous inspire. Par exemple, la religion c’ était une demande de la prod, et puis on s’est dit pquoi pas et on a fait une petite tambouille avec tout ça.
Quel est votre personnage préféré ?
Iris Ducorps : Je pense qu’il y a des personnages avec lesquels on a plus ou moins d’accointance, parce qu’ils nous parlent peut-être plus ? mais ce qui est bien quand on travaille en équipe c’est que tous les personnages peuvent être traité de la même manière parce que par exemple moi je suis moins à l’aise avec tel personnage, Marco lui au contraire ça va l’inspiré, et puis comme de toute manière on échange des idées, au final ils reçoivent tous la mm dose de travail et d’intention.
Marco Rivard: et puis après ça dépend du stade de travail. Par exemple écrire les dialogues de Lisa c’est un bonheur (rires), c’est tellement barré, on peut vraiment tout se permettre avec elle donc c’est qd mm plus sympa qu’avec d’autres personnages qui sont un peu plus rigoureux.
Si vous pouviez travailler sur n’importe quelle série, passée ou présente, laquelle ça serait ?
Emmanuel Bezier : Coeur Océan (rires) !
Iris Ducorps : nip/tuck, ça a été une des séries que j’ai préféré ces dernière années.
Marco Rivard : moi je viens de voir The Shadow Line et je suis en admiration devant l’écriture, la réalisation, la production. C’est une mini-série anglaise de la BBC qui doit faire 6 épisodes, c’est un polar et c’est bluffant.
Emmanuel Bézier: alors moi j’aime beaucoup The Wire, qui est maintenant une vieille série on va dire, ça passe tellement vite. Je trouve ça brillant au niveau de l’écriture, et je ne parle mm pas de la production qui est absolument extraordinaire, il n’y a rien à dire les acteurs sont sublimes, mais l’écriture de The Wire est magnifique.
En parlant des séries amériaines et de leurs influances, comme vous l’avez évoqués le feuilletonant est omniprésent maintenant, pensez-vous que c’est une influence qui va continuer?
Emmanuel Bézier : Les séries françaises elles étaient super avant, il y avait des séries française où il y avait énormément de feuilletonant, ce qui a tué le feuilletonant en France c’est la diffusion, la manière dont s’est diffusé. On ne peut plus faire de feuilletonant en France et ça depuis 15 facile, parce qu’en terme de diffusion on rediffuse les épisodes qui ont marchés, et ceux qui n’ont pas marché on ne les diffuse pas. Alors si vous avez sur une série l’épisode 2 qui a bien marché on va vous le rediffusé 4 fois, et puis l’épisode 5 qui n’a pas marché on va pas le diffusé. Quand vous regardé une rediff vous n’avez pas ses épisodes la c’est pour ça qu’on nous demande de ne pas faire de feuilletonant et c’est dramatique. Alors qu’il y a 20 ou 30 ans il y avait des supers séries feuilletonantes en France, les américains n’ont rien inventé la dessus.
Marco Rivard : oui et puis il y a eu l’époque navarro ou julie lescaut où on s’est focalisé sur un personnage.
Iris Ducorps : de toute façon il y aussi une nouvelle génération d’auteurs qui arrive et qui ont été autrement que les générations précédentes, par des écoles comme le conservatoire européen d’écriture audiovisuel et la Femis, qui depuis quelques temps s’intéresse vraiment à l’écriture audiovisuel. Donc je pense que les auteurs qui arrivent aussi ils ont biberonné à la série américaine, anglo-saxonne etc, et du coup ça va…cmt dire, je ne dirais pas tirer les choses vers le haut parce qu’on est de bons auteurs aussi mais on est tjr un peu plombé par ce modèle, par ses séries américaines. Surtout que le système de production n’est pas le même aussi, il y a une différence énorme de ce côté là.
Emmanuel Bézier : il faut reconnaître que le feuilletonant c’est génial, mais regardez au US ils ont le mm problèmes, leurs séries sont extraordinaires mais leurs films sont insipides. Parce que sur une série vous avez le temps de creuser vos personnages, le tps de leur faire arriver pleins de trucs, alors que sur un film en 1h30 il faut que ça soit terminé. Donc les films maintenant sont pleins d’effets spéciaux, mais il n’y a plus de scénario. Alors que les séries elles sont extraordinaires parce que tout repose sur les personnages, on suit leur évolution et ça c’est fabuleux. Donc je pense qu’en France c’est ce qu’il se passe aujourd’hui et le feuilletonant c’est inévitable, et ça c’est bien pour nous, pour les spectateurs et pour l’histoire en elle-même parce que c’est passionnant.
Propos recueillis par Marine Pérot à Paris le 25 juillet 2011