Les Trois prochains jours, The Tourist,... Le titre ne vous dit rien pourtant l'histoire vous rappelle étrangement quelque chose ? C'est normal : ces films sont les remakes américains des films français Pour elle de Fred Cavayé et d'Anthony Zimmer de Jérôme Salle.
Et là vous vous dites encore des remakes ?? Les remakes c’est mal ! Surtout les remakes de films français !
Et les nombreux forums des articles annonçant un nouveau projet de remake prouvent que les spectateurs continuent de s’indigner devant le manque de prises de risque des studios et le manque d’imagination d’Hollywood. Pourtant le phénomène n’est pas récent puisque les Américains se sont intéressés aux films français dès les années trente. On constate d’ailleurs 3 grandes périodes prolifiques en matières de reconfections cinématographiques.
La première est la période des années 1930 à 1950. Parmi les films refaits on compte notamment Pépé le Moko de Julien Duvivier, devenu, un an plus tard Algiers de John Cromwell, La Chienne de Jean Renoir (1931) transformé en Rue rouge par Fritz Lang (1945) ou encore Le Jour se lève de Marcel Carné (1939), devenu The Long Night d' Anatole Litvak (1947).
Pépé le Moko / Algiers
La seconde période est la décennie 1980 durant laquelle les Américains refaisaient surtout les comédies françaises, telles que Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) traduit par Leonard Nimoy en Trois hommes et un bébé (1987), Le Père Noël est une ordure (1982) devenu Joyeux Noël (1994) ou encore les nombreuses comédies de Francis Veber, quasiment toutes remakées.
Le Père Noël est une ordure / Joyeux Noël
La troisième période est la période contemporaine, celle des années 2000. Mais cette période semble être une période riche en remakes et pas uniquement en remakes US de films français, puisque les studios refont également les succès suédois (Millénium), argentin (Dans ses yeux), espagnol ([Rec]), japonais (Ringu),...
Raisons purement économiques ou manque d'idées originales ? Les remakes ont mauvaise presse, c'est un fait... Mais connaissez-vous rééllement leur histoire ?
Pour elle / Les Trois prochains jours
Une histoire de remake
Depuis le début des années trente, le cinéma américain s’attelle à refaire les films étrangers, surtout français. Si cette pratique était, jusqu’au milieu des années 80, décriée par quelques critiques cinématographiques avisés, elle était ignorée du grand public.
C’est réellement à partir de 1986 que les remakes hollywoodiens de films français sont mis sur le devant de la scène et jetés en pâture aux critiques français et au public. Un public de professionnels et d’amateurs qui se rend du même coup compte que le cinéma français intéresse les Etats-Unis.
En effet, en réalisant une version américaine du film de Coline Serreau, Trois hommes et un couffin, la société de production américaine Touchstone, détentrice des droits de remake du film original, a provoqué la colère des critiques et du public français qui voyait, avec Trois hommes et un bébé de Leonard Nimoy, son cinéma entier mis à mal par l’envahisseur américain.
Trois hommes et un couffin / Trois hommes et un bébé
Certes, le terme « remake » en lui-même a été inventé par l’industrie cinématographique hollywoodienne et répond à une juridiction spéciale, mais le fait de refaire des films n’est pas typiquement américain. Au même titre que le remake n’est d’ailleurs pas l’unique manière de refaire un film, puisqu’avant les remakes existaient les versions multiples.
L'ancêtre du remake...
Dès l’apparition du cinéma parlant (le premier film parlant diffusé en salles fut Le Chanteur de jazz d'Alan Crosland en 1927), des problèmes liés à l’exportation apparurent. Les spectateurs avaient l’habitude des pancartes écrites dans leur langue. Voir un film parlant en langue étrangère les bouleversa. Pour preuve…
Le 15 mai 1929, le premier film parlant de la MGM, The Broadway Melody, fut présenté sur les écrans français ; le public réagit violement et cria au scandale. Il fallut donc trouver des moyens concrets et rapides pour pouvoir exporter les films américains. Les solutions du sous-titrage et du doublage furent donc trouvées…
Extrait de The Broadway Melody d' Harry Beaumont avec Charles King
Mais si, aujourd’hui, il semble que les Américains soient allergiques aux sous-titres, dans les années 30, ce sont les Français qui l’étaient… La revue Variety, publiée le 6 novembre 1929, raconte que « La présentation du court-métrage de la compagnie Tiffany-Stahl, New Orleans, au Clichy palace, cinéma indépendant, a provoqué des troubles dus à la partie anti-américaine du public. Les gendarmes furent appelés à cause des cris « Ça suffit avec l’anglais !». La foule parisienne était indignée par les dialogues en anglais dans ce film. » Le doublage ne remporta guère plus de succès auprès du public. La solution fut donc de retourner les films américains avec des acteurs des pays européens. Par exemple, Buster se marie de Claude Autant-Lara est la version française de Parlor, Bedroom and Bath d'Edward Sedgwick avec Buster Keaton.
Parlor, Bedroom and Bath et sa multiversion française Buster se marie
Dans son ouvrage « Des films français made in Hollywood », Martin Barnier explique le déroulement du tournage d’une multiversion : « On procédait de la façon suivante : une équipe américaine ayant bouclé un film, le décor était conservé. L’équipe des acteurs français (ou d’un autre pays, mais la communauté française fut la plus importante à Hollywood de 1929 à 1932) prenait possession du plateau sous la direction d’un réalisateur français. Ce dernier devait se contenter, la plupart du temps, de reproduire à l’identique les plans tournés dans la version américaine. » Les versions multiples fonctionnèrent un certain temps et furent abandonnées en 1934. Si celles-ci ne furent pas réellement un succès, elles permirent de pallier pendant cinq années les problèmes liés à l’exportation des films américains.
L'idée qu’un film soit refait par un autre réalisateur et d’autres acteurs est donc apparu à cette époque, et ce pour satisfaire le public français. Les Majors ne pouvaient en effet pas se permettre de perdre le marché européen, puisque les ventes à l’étranger représentaient 30% des bénéfices.
Soulignons que, dans les faits, le remake est l'exact contraire de la version multiple, puisque les remakes sont, le plus souvent, des reconfections de films européens pour des spectateurs américains alors que les versions multiples étaient des versions identiques de films américains destinées au public européen. Le remake hollywoodien adapte l'histoire à la société américaine tandis que les multiversions imposent le point de vue américain aux Européens. La différence entre les remakes et les versions mulitples est donc assez flagrante pour affirmer que le remake est l'exact contraire d'une version multiple. Mais bien qu'elle soit son contraire, la version multiple n'en est pas moins, dans son fondement, l'ancêtre du remake, puisque les deux s'appuient sur le principe de refaire, "to remake" en anglais...
Les remakes ne datent donc pas d'aujourd'hui et leur histoire remonte aussi loin que l'arrivée du cinéma parlant. Les cinéastes refaisaient leurs précédentes œuvres. C’est le cas de Cecil B. DeMille qui refait en 1918, Le Mari de l’Indienne, diffusé une première fois en 1914. Mais ces premiers « remakes » étaient refaits par les cinéastes originaux, non par un autre. Le fait qu’un cinéaste refasse le film d’un autre est apparu à la naissance des versions multiples, qui peuvent donc être considérées comme l’ancêtre des remakes.
Paradoxalement, aujourd’hui, les Français se plaignent des remakes alors que c’est en grande partie pour leur plaire que les Américains ont commencé à refaire des films… Alors, certes le terme « remake » a été créé par les Américains, mais il semble important de préciser que les remakes ne sont pas uniquement américains…
Preuve en est : les Français refont des films américains (De battre, mon coeur s'est arrêtée de Jacques Audiard), italiens (Nos 18 ans de Frédéric Berthe) , espagnols (On va s'aimer d'Ivan Calbérac), les Italiens refont des films français (Benvenuti al Sud de Luca Miniero, Totò le Moko de Carlo Ludovico Bragaglia), japonais (Les Sept Gladiateurs de Pedro Lazaga), …
Extrait de Mélodie pour un tueur de James Toback
Extrait du remake français De battre, mon coeur s'est arrêté de Jacques Audiard
Mais avouons-le, les grands spécialistes des remakes restent les Etats-Unis, qui préférent reprendre une histoire qui a marché dans son pays d'origine et a d'ailleurs fait ses preuves, plutôt que prendre le risque de créer une nouvelle histoire sans être certain du retour sur investissement. Les remakes constituent donc une prise de risque minimum pour les studios américains. D'autant plus que le second film s'exportera mieux à l'international que le film français original. Par ailleurs, les studios reprennant bien souvent des films français à succès, les remakes enregistrent, en général en France, moins d'audience que les films originaux. La seule exception à ce jour est True Lies de James Cameron, remake US du film français La Totale ! de Claude Zidi. En sera-t-il de même pour The Tourist dont le film original, Anthony Zimmer, avait enregistré 802 988 spectateurs ? Rien n'est moins sûr, même pour un film emmené par Angelina Jolie & Johnny Depp.
Bande-annonce d'Anthony Zimmer de Jérôme Salle (2005)
Bande-annonce de The Tourist de Florian Henckel von Donnersmarck (2010)
Laëtitia Forhan
Article écrit à partir du mémoire de "Master 2 de Politiques et Industries de la Communication, de l'Information, de la Culture et des Arts de Laëtitia Forhan dirigé par Gilles Delavaud - Octobre 2007"