Pour la première fois, la série a été tournée en Corse. Quelles sont les raisons de ce changement ?
Fabrice de la Patellière : Pour la toute première saison, étant donné le sujet, on s’était dit : « Ne tentons pas le diable, on ne sait pas comment cela va être accueilli, faisons ça à Marseille ». Et il se trouve que la première saison n’avait pas été bien accueillie en Corse, donc pour la deuxième on ne s’était pas non plus aventuré là bas. Mais en revanche la deuxième saison a été très très bien accueillie, et c’était absolument logique et une volonté d’Eric Rochant (ndlr: le réalisateur de la série) d’aller tourner en Corse. Il l’a vraiment demandé et il avait raison.
Cela apporte plus de réalisme ?
Eric Rochant : Cela apporte une ambiance. Pour moi, en tant que metteur en scène c’était compliqué de tourner à Marseille. Cela appauvrissait la mise en scène. J’aime les séries réalistes et tourner dans la région marseillaise ramenait la Corse à quelque chose d’extrêmement plat. C’était une contrainte pour moi et j’étais convaincu que tourner en Corse allait ramener la série là où elle devait être. Je trouve que les séries réussies, celles que j’aime en général, sont toujours très liées à un lieu : Dexter à Miami, Breaking Bad à Albuquerque, True Blood en Louisiane et évidemment Les Soprano dans le New-Jersey. Exiler la série était donc dommage, je voulais la ramener au lieu d’origine. Cela permettait d’implanter la série là où elle devait être et donc de lui donner une identité.
Avez-vous été bien accueillis ?
Eric Rochant : Au niveau du tournage c’était formidable, parce qu’on a quand même apporté deux mois et demi de travail avec la figuration, les techniciens. C’est vrai qu’on a bénéficié d’un accueil plutôt bienveillant, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si on avait tourné la deuxième saison en Corse.
Avez-vous fait un travail de communication avec les Corses?
Eric Rochant : Non, le travail de communication c’était la deuxième saison qui a quand même plutôt bien marché et permis de rectifier un certain nombre d’éléments, d’images. Il y a toujours des gens qui n’aiment pas, ce n’est pas un problème, mais dans l’ensemble, ça a été bien accueilli.
C’était facile de recruter des acteurs corses ?
Eric Rochant : Il y en a pas mal. Il y a aussi des acteurs que je n’ai malheureusement pas choisi parce que je vais peut-être avoir besoin d’eux pour des rôles plus importants dans la saison 4. On en a en réserve.
Parfois vous mettez le doigt là où ça fait mal, en abordant notamment le sujet des nationalistes. Avez-vous du négocié avec eux ?
Eric Rochant : J’ai fait un film sur le Mossad (ndlr: Les Patriotes) et on m’a toujours demandé si je n’avais pas eu de soucis. Mais non, je n’ai jamais eu de soucis. Je pense que quand on fait un film, on fait une œuvre de fiction. On n’a évidemment rien négocié avec personne. Par contre, le fait que l’on soit en tandem pour écrire la série avec Pierre Leccia qui est corse et qui connaît très bien le milieu fait que l’on a été extrêmement attentifs. On aborde des sujets sensibles, mais c’est une œuvre de fiction et l’on a fait vraiment attention à ne pas caricaturer, ce qui est le pire qui puisse arriver. Je donne un exemple idiot : je ne suis pas corse donc quand je suis rentré sur le travail pour Mafiosa, j’ai tout de suite entendu des choses sur la saison 1, et il y avait un détail en particulier qui revenait très souvent. Il y a une scène de battue dans un épisode où deux voyous poursuivent une jeune femme dans la nature et ce genre de détails caricaturaux et extrêmement violents n’a pas du tout été aimé par les corses. Ce n’est pas la peine d’en faire trop, il y a déjà assez de drames comme ça. Nous devions surtout être sérieux sur ce que l’on disait. Quand j’ai fait le film sur le Mossad, il y a des choses qui n’ont pas plu aux Israeliens ou aux Palestiniens, c’est comme ça.
Vous décrivez des rapports assez compliqués, entre les nationalistes et la Corse…
Eric Rochant : C’est très complexe. Il y aura toujours des gens qui n’aimeront pas l’image que l’on donne d’untel ou d’untel, mais on a fait très attention à ne pas dire de bêtises.
Est-ce que c’était inévitable, ou très tentant, de parler du nationalisme ?
Eric Rochant : En implantant l’histoire en Corse, je vois mal comment on aurait pu échapper à la réalité, qui est qu’à un moment donné, les nationalistes sont dans le coup. On aurait perdu en réalisme si on avait occulté les nationalistes.
Fabrice de la Patellière : On aurait perdu le gain qu’on avait en allant tourner là bas et ça serait devenu complètement surréaliste.
Hélène, êtes-vous satisfaite de l’évolution de votre personnage Sandra Paoli ?
Hélène Fillières : Oui, on a travaillé avec Eric des choses assez précises de gain en sérénité, en calme. Je n’ai plus besoin de porter le masque de l’autorité pour être crédible, et j’ai été aussi servie par le fait de tourner en Corse, d’être proche des corses et de comprendre comment ils fonctionnent. Ce sont des êtres très généreux, très attentionnés, très aimants, donc il n’y a aucune raison d’être sur la défensive pour s’exprimer ou pour justifier d’une décision qu’on prend. J’ai beaucoup gagné à être là bas et à travailler avec des vrais corses. J’avais très peur au début et ensuite j’étais très contente.
Peur de quoi ?
Hélène Fillières : Disons que de me retrouver entourée d’une grande majorité d’acteurs corses pouvait mettre en péril la crédibilité que moi je le sois. Et c’est l’inverse qui s’est passé, je n’avais pas besoin de faire semblant, vu que les autres était réellement sincères dans leurs façons de s’exprimer. Personne ne jouait aucun jeu. Jusqu’à présent j’étais un peu engoncée dans une sorte de masque et tourner avec des corses a déteint sur moi de manière positive.
Cela vous a t-il aidé à devenir une Sandra encore plus dure?
Hélène Fillières : Je ne sais pas si elle est plus dure. Elle est, j’espère, plus crédible et surtout naturelle. Elle est la chef du clan mais il n’y a pas besoin de le prouver à chaque instant. D’ailleurs les scènes ont évolué. Dans la saison précédente il y avait des grandes scènes d’indication, d’ordres, des grandes réunions avec plein de personnages ou je devais donner des ordres, assurer mon autorité de cette manière là. Tout ça est maintenant gommé, ça se fait de manière naturelle, tout est beaucoup plus simple. On est moins dans le fantasme.
Fabrice de la Patellière : Il y avait un cérémonial qui encombrait un peu la série dans la première saison, qui a un peu perduré dans la deuxième et là, on s’en est complètement débarrassé dans la troisième. C’était un choix d’écriture dans la première saison, il n’y avait pas ce souci de réalisme à ce moment là, on était dans une sorte de code de western qui n’a pas grand chose à voir avec ce qu’est devenue la série. Le personnage est né à ce moment là, mais il y a une évolution qui va vers plus de crédibilité.
Votre personnage évolue plus avec des femmes dans la saison 3, c’était quelque chose d’important pour vous ?
Hélène Fillières : En découvrant les scénarios j’étais très contente qu’il y ait ça. Je ne voulais pas qu’on sente que Sandra était complètement enfermée dans sa tour d’ivoire, et c’est vrai que le fait qu’apparaisse sa cousine, interprétée par Emmanuelle Hauck et les enfants lui donne de l’humanité et du naturel. Il y a aussi une forme de mélancolie, il y a la présence d’enfants et en même temps on sent qu’elle n’en a pas. C’est un chemin qui la rend plus humaine, touchante et normale. J’ai adoré tourner avec Emmanuelle et les enfants. C’était très amusant, simple, quotidien et ça déteint sur tout le reste. J’espère que ça permet de casser le côté icône qui était installé, même au niveau des costumes.
C’était un risque de tuer le personnage d’Andréani (Fabrizio Rongione) dans la dernière saison, avez-vous hésité ?
Eric Rochant: Oui c’était un très gros risque. On en a eu conscience à l’écriture et au casting, parce que non seulement le personnage d’Andréani était écrit de telle manière qu’on l’aimait, mais il était aussi joué par Fabrizio Rongione, qui n’est pas n’importe qui et qui a contribué à rendre le personnage extrêmement populaire. On avait donc un défi à relever, qui était de choisir quelqu’un, d’écrire un personnage et de trouver un acteur qui puisse prendre le relai. C’est vrai qu’avec Reda Kateb on ne prenait pas énormément de risques. C’est un acteur qui, dès ses premières interventions, a tout de suité été remarqué. Après il y avait un problème d’écriture de personnage et d’histoire à raconter avec Sandra, qui devait être aussi forte, et croyez-moi, elle le sera. Je suis convaincu que la difficile mission qu’était celle de Reda Kateb est accomplie, grâce à l’écriture et grâce à son jeu. On regrettera toujours Andréani, mais je pense que Nader (ndrl : le personnage joué par Reda Kateb) va prendre le relai de manière honorable. Il y a aussi d’autres personnages que je regrette énormément.
Que pouvez-vous nous dire sur la relation entre Sandra et Nader (Reda Kateb) ?
Hélène Fillières : Ce que j’aime bien dans le rapport Nader/Sandra, par rapport à Andréani, c’est que Nader bouscule une femme, tandis qu’Andréani bousculait surtout une fonction. Nader est très insolent mais très juste. En tant qu’actrice, ça pétille tout de suite.
Est-ce délicat d’aborder l’intimité du personnage de Sandra ?
Eric Rochant : C’est infernal. En termes d’écriture, en termes de mise en scène et je pense en termes de jeu. C’est un triple défi pour Hélène et moi. Chaque jour nous sommes confrontés à cette difficulté absolue qui est que c’est un personnage qui n’existe pas, ou alors dans des situations très particulières, mais en Corse, une femme, chef de gang, cela n’existe pas. Je pense que les gens en Corse aiment bien la série aujourd’hui, malgré cette anomalie totale, qui consiste à mettre une femme à la tête d’une bande de voyous. Et en même temps, c’est l’élément de fantaisie qui permet de révéler beaucoup de choses, de la même manière qu’un caïd de la mafia du New-Jersey qui va voir un psy. C’est difficile à gérer à tous les niveaux et je pense que dans la réalité, aucun homme n’accepterait de se mettre au service d’une femme. Le « caïdat » repose habituellement sur la force, sur l’intimidation, sur le charisme, sur le fait qu’on a tué plein de gens, qu’on est capable d’aller en prison, qu’on est capable d’endurer un certain nombre de choses d’homme. Le « caïdat » de Sandra Paoli est donc plus difficile à asseoir. On hérite donc du problème, et Hélène, en tant qu’actrice hérite de la difficulté de jouer une femme qui n’existe pas dans la réalité. C’est donc compliqué pour elle de trouver des repères, d’autant plus qu’elle n’est pas corse. C’est un double défi qui demande énormément de courage. Beaucoup d’actrices auraient refusé le rôle, ne se sentant pas capables d’assumer la difficulté. On fait tout à l’écriture et à la mise en scène pour l’épauler, mais à chaque scène tournée, elle doit être voyou et corse. C’est un sacré défi et je crois que c’est très intéressant pour une actrice mais aussi extrêmement périlleux. Ce n’est pas un barrage en fiction mais c’est l’élément de fantaisie qui permet de révéler les lignes de fracture. Sans cet élément, on serait dans le déjà-vu, on ferait Les Soprano en Corse. Pourquoi pas, j’adorerai le faire mais ce n’est pas pareil. Cela permet aussi aux personnages de voyous comme Tony (Eric Fraticelli) et Manu (Frédéric Graziani) d’être confrontés à des situations inédites. La différence entre la saison 3 et la saison 2 c’est qu’on aborde le problème de front au niveau du scenario. Cela pose problème que le chef soit une femme.
Le personnage de Sandra utilise aussi des armes très féminines…
Eric Rochant: On utilise en effet ces armes. Il va y avoir des tensions dans l’équipe, c’est ce qui nous intéressait le plus, parce qu’une série joue sur ce qui se passe entre les personnages récurrents. Maintenant que les personnages sont installés, Tony, Manu, Sandra, Jean-Michel (Thierry Neuvic), il va y avoir des tensions à l’intérieur même de l’équipe, ce qui va obliger Sandra à réviser ses bases, et une de ses armes, c’est sa capacité de séduction et sa perversité. Mais pour autant, elle n’est jamais hystérique.
Oui, elle semble toujours dans le contrôle…
Eric Rochant: De toute façon, elle a un problème de masculinité. Ce n’est pas possible d’être dans sa situation sans avoir un problème avec sa féminité.
Hélène Fillières : Il a oublié une très grande dimension, c’est que c’est très amusant, excitant, joussif de jouer sur cette petite fantaisie initiale, qui est que c’est une femme et pas un homme qui est à la tête du clan. Et je m’en sers beaucoup. Je n’attaque pas les scènes en me disant de faire appel à ma propre perversité. Ce qui était difficile c’était d’être simple, sereine et pas dans le masque de l’autorité. Cela paraît facile mais comme je peux être assez froide, il suffit de très peu pour que s’installe une dimension assez glaciale que l’on voulait effacer dans la saison 3. On recherchait plus de douceur.
Vous êtes vous inspirés d’autres personnages ?
Hélène Fillières: Oui, mais surtout cette année j’ai fait encore plus confiance à mes partenaires de jeu. Avant j’avais plus de distance, et parfois l’impression d’avoir un mur entre moi et mes partenaires de jeu alors que cette année je l’ai enlevé et c’est surtout ça qui m’a aidé. La scène de séduction avec Nader par exemple était difficile à faire, parce qu’il fallait à la fois garder une autorité, tout en étant séduite par son charme, son insolence, le tout sans tomber dans le cliché. Et je crois que ça marche bien. J’aime être cassante tout en étant puissante.
Vous aimez votre personnage ?
Hélène Fillières : Oui, je suis en plein dedans. Je suis attachée à elle et au projet. J’aime Sandra Paoli parce que j’aime aussi les exigences de la mise en scène, c’est un ensemble. On ne fait pas quelque chose que pour un personnage, on le fait pour un scenario, pour un metteur en scène.
C’est assez rare de voir à la télévision française un personnage féminin fort qui ne soit pas du bon côté de la loi…
Hélène Fillières : Oui, il y a peu de personnages voyous féminins. Tant mieux, j’ai ouvert la voie.
Quelles sont les principales différences entre un tournage pour le cinéma et un tournage pour une série télévisée ?
Hélène Fillières : La principale différence c’est que l’on tourne beaucoup plus de choses en beaucoup moins de temps. On tourne un épisode d’une heure en 17jours, alors qu’un film d’une heure et demi se tourne en minimum 10 semaines. Ca va très vite, c’est plus intense. Après, plus le metteur en scène est exigeant, comme c’est le cas avec Eric Rochant, plus il y a de travail, mais on a pas du tout l’impression de bâcler. Si on a de l’exigence, on peut obtenir en 17 jours ce qu’on obtient en 8 semaines. Tout le mérite d’Eric, c’est de savoir ce qu’il veut, de ne pas hésiter. On tourne à 2 caméras, ce qui permet de gagner du temps et de proposer une mise en scène intéressante. Mais en fait ce qui compte c’est le metteur en scène, qu’il soit de la télé ou du cinéma. Il y a des metteurs en scène au cinéma qui sont très peu exigeants et qui se contente assez facilement de deux prises et de deux axes.
Peut-on imaginer voir « Mafiosa » adapté au cinéma ?
Hélène Fillières : Eric est un metteur en scène qui vient du cinéma. Ce serait bien oui, mais on n’y a jamais pensé. Je pense que chaque saison est réalisée comme un grand long métrage. Mais aujourd’hui, la mode est à la série.
Reda Kateb, pas trop compliqué de rejoindre la série en cours de route ?
Reda Kateb : Non, pour moi c’était un retour aux sources de revenir à Canal+, parce que j’avais commencé dans la saison 2 d’Engrenages. C’est comme un film en fait, dans le sens où l’on fait vraiment un parcours de personnage avec un début et une fin, donc on sait ce que l’on va composer dedans, ce que l’on va y mettre. Rentrer dans un film ce n’est pas facile non plus et heureusement. Si cela commence à être facile, il faut se méfier. Mais dès le départ avec Mafiosa, c’était très encadré. J’ai rencontré Eric Rochant en passant des essais avec lui, j’ai tout de suite senti qu’il était un vrai directeur d’acteurs, que l’on se comprenait, que j’arrivais à retranscrire dans mon langage physique ce qu’il voulait. En même temps, il était ouvert à ce que j’apporte aussi des choses. Au tout début, il m’avait dit que j’étais un peu trop respectueux des dialogues. C’est génial, c’est une liberté encadrée. Il faut toujours ne pas avoir trop conscience des enjeux quand on joue. C’est une série très forte.
Qui est Nader, votre personnage ?
Reda Kateb : Il est complexe, comme chaque être humain. C’est un gangster qui maîtrise les codes du milieu, et en même temps c’est quelqu’un qui aurait pu faire un autre boulot. Il n’est pas forcément fait pour ce milieu là, il a quelque chose de chevaleresque, une loyauté, un code de bravoure des anciens gangsters par rapport à la nouvelle génération du banditisme. Il s’est construit un mythe autour de ça. C’est quelqu’un qui agit avant de réfléchir. Il n’y a pas de manipulations, pas d’arrière pensée et c’est une forme de pureté pour moi. Le fait qu’il soit un gangster n’est pas si important. C’est sa position sociale, son métier. Mais il est bien plus droit que plein de flics. Au début on a l’impression qu’il arrive comme un kamikaze, et en le jouant, il m’a donné l’impression d’être un samouraï. C’est quelque part un guerrier japonais. Même dans son rapport à la séduction, il est minimaliste.
Après Un Prophète, vous voilà de nouveau confronté à la mafia corse, la coïncidence vous-a t-elle amusé ?
Reda Kateb : Ca a plus amusé les autres. Moi ça m’a surtout fait plaisir de tourner au grand air. Après deux films autour de la prison, aller tourner en Corse c’était appréciable.
Les policiers semblent moins présents dans cette troisième saison…
Pierre Leccia: C’est vrai qu’en Corse, ils brillent par leur absence! Plus sérieusement, c’est vrai qu’on ne les voit pas trop dans la saison 3, alors que ce sera le contraire dans la saison 4. Mafiosa n’est pas un polar, ou alors un polar sans policiers. Mais c’est vrai que l’enquête du flic, proprement dite, on en voit tellement ! Ou alors il faut faire comme dans The Wire et ne faire que ça.
Vous êtes co-scénariste, jouer un des personnages de la série, c’était important pour vous ?
Pierre Leccia : Jouer, ça s’est fait par hasard. Eric a fait des essais avec des comédiens pour le personnage de Grimaldi, et à un moment on s’est dit que c’était inconcevable que ce personnage ne soit pas corse. C’est un nationaliste qui habite en Corse, il fallait qu’il parle corse, qu’il ait un phrasé, l’accent. Et comme je faisais un avocat corse dans Un prophète, il y a eu un concours de circonstances. J’ai fait un essai et ça s’est mis en place comme ça.
Vous jouez en quelque sorte le méchant de la saison 3…
Pierre Leccia : Oui, mais mon personnage n’est pas uniquement intéréssé par les affaires, il a aussi un idéal politique qu’il veut préserver. Mais s’il peut combiner ça avec un peu de business, il le fait. S’opposer à Sandra Paoli, c’est aussi un moyen pour lui de défendre ses idéaux.
Il y a quand même pas mal de collusions entre nationalistes et voyous…
Pierre Leccia: Oui, mais en général il y a pas mal de collusion entre corses. Quand on vit dans un petit endroit, il y a un côté village et tout le monde connaît tout le monde. Dès qu’on est dans un microcosme, on sait qui fait quoi. Dans le passé, il y a eu collusion entre les voyous et les nationalistes mais aussi entre les voyous et les hommes politiques.
Vous puisez dans les histoires locales ?
Pierre Leccia: Oui, de la même manière que The Wire puise dans les histoires de Baltimore. C’est ce qui rend le truc réaliste, fort. Il faut être extrêmement vigilant pour que les histoires qu’on tricote soient un peu noyées. Avec Eric Rochant, on a pris le parti de ne pas raconter l’histoire de quelqu’un. On s’arrange toujours pour brouiller les pistes. Le fait que le personnage soit une femme est aussi le marqueur indélébile montrant que c’est une fiction. Il n’y a pas de mafia en Corse. Le titre ce n’est pas nous qui l’avons choisi, même s’il est beau.
En terme de production tourner en Corse, cela change quoi ?
Nicole Collet: C’est effectivement assez coûteux, parce que la Corse est un pays coûteux. Il faut amener beaucoup de produits du continent, et surtout, il n’y a pas une grande tradition de tournages, donc on a du faire venir énormément de techniciens du continent. Il faut aussi souligner qu’on a une aide de la communauté territoriale corse de 200 000 euros, ce qui n’est pas rien et qui soulage un peu. Et de toute façon on ne le regrette vraiment pas, parce que ça a vraiment irrigué l’image. Les extérieurs sont tournés en Corse et les intérieurs à Paris.
Comment décririez-vous la saison 3 ? Plus lumineuse ?
Nicole Collet: Oui elle est plus lumineuse, grâce à la Corse. On est aussi plus près des personnages, c’est plus authentique, plus réaliste. Il y a aussi un humour qui désormais prend toute sa place. Eric a rejoint Mafiosa lors de la saison 2, il a écrit toute la saison 3 avec Pierre Leccia, avec un acquis, notamment sur les personnages et les comédiens. Le fait de les avoir fréquenté pendant une saison cela les aide au niveau de l’écriture. Les personnages révèlent quelque chose des comédiens mais cela fonctionne aussi dans l’autre sens.
Ou en êtes-vous dans le développement de la saison 4 ?
Pierre Leccia : Nous sommes rendus à l’écriture de l’épisode 6 de la saison 4. Il nous en reste 2 à faire. Le temps est un luxe pour le tournage, pour l’écriture.
Nicole Collet :Le tournage de la saison 4 commencera en avril, pour une diffusion en janvier 2012. On est partagé car les scénaristes aimeraient un peu plus de recul et en même temps l’antenne a besoin qu’il y ait une fidélisation et que les séries reviennent assez vite. Les saisons sont rediffusées, c’est aussi une façon de retrouver les spectateurs.
Quelle est l’influence de Canal+ sur la série ?
Nicole Collet : C’est vraiment un travail conjoint. Autant pour un unitaire le producteur peut être beaucoup plus libre, autant une série se fait avec un diffuseur. Quand en plus on a la chance d’avoir un diffuseur comme Canal +, avec des gens d’une qualité exceptionnelle, attentionnés, attentifs, les choses se font en partennariat absolu. Il y a une vraie cohésion. Quand on lance une série, on la lance de l’écriture à la diffusion. Globalement on est très accompagnés. Et je trouve normal qu’entre deux saisons on pose la question des audiences. Il y a eu une étude qualitative de faite qui permet ensuite de voir ce qu’on peut améliorer. Il ne s’agit pas d’être dans la démagogie, mais par exemple dans les critiques de la saison 2 revenait souvent la lenteur. On a donc décidé avec Eric que la saison 3 serait plus dynamique. Il a monté les choses autrement, il y a deux fois plus de plans par épisode et c’est en partie lié à une demande de l’antenne. Je pense que quand les chaînes investissent autant, il est normal qu’on fasse les choses ensemble. Une fois que l’on est d’accord sur les grandes lignes, il y a un respect merveilleux. On a de la qualité, car il y a un respect absolu de l’artistique.
Avez-vous vendu la série à l’étranger ?
Nicole Collet: On l’a vendu dans 62 pays, ce qui nous a valu le prix de l’export l’an dernier. C’est bien mais il nous manque ce que j’appelle les gros pays, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Canada. Mais on va essayer de vendre le format aux Etats-Unis. Ils préfèrent souvent racheter le format et le réadapter plutôt que d’acheter les épisodes. Les dvd sont pas mal vendus aussi.
Savez-vous combien de saisons aura la série ?
Nicole Collet : On ne s’est pas mis de limites. La limite c’est un peu Hélène, c’est un peu le public. Pour la saison 4, on avait mis en place un atelier d’écriture qui a tenu 3 mois. Chez nous, avec la culture de l’auteur-réalisateur, ce n’est pas encore vraiment faisable. Aux Etats-Unis ça se fait, mais nous n’y sommes pas encore.
Propos recueillis par Maud Lorgeray