AlloCiné Séries: Vous connaissiez déjà le milieu des dockers avant de tourner "Le Repenti"?
Aurélien Recoing (Victor Fontanel) : Je ne le connaissais pas du tout. Mais on a pu rencontrer des dockers avant le tournage, on est allé voir un peu tout le monde, dont le patron du port autonome. On l'a visité avec l’équipe, qui fait d'ailleurs de la figuration.
Mais il faut faire attention: ils ne sont pas du tout comme dans cette fiction, il ne faut pas qu’on les assimile à ce que l’on voit. Néanmoins, ils étaient avec nous et ils nous ont évidemment appris le métier. C’était absolument nécessaire, on ne pouvait pas faire autrement. On a donc pris tout ce que l’on pouvait à leur contact.
Bruno Debrandt (Matthias/Alexis Leblanc) : Effectivement, on a fait un ou deux voyages pour aller les rencontrer parce que nous savions que c’était capital d’arriver à les séduire, ou en tout cas d'être accepté, admis dans leur enceinte, qui est très sécurisé. Finalement, cela s'est fait instinctivement et on a tout de suite été bien accueilli ! On a échangé quelques blagues, en essayant de ne pas être trop maladroit.
Que vous ont-ils appris?
Aurélien Recoing : L’idée du travail, du collectif, de la solidarité; Ces gens exercent un métier extrêmement pointu. Vous vous retrouvez sur un territoire, une géographie, un espace hallucinant ! Quand on est là-bas, on ressent une telle force! C’est cette qualité-là que nous avons pu découvrir.
Et est-ce qu’ils vous ont donné des conseils?
Bruno Debrandt : Oui, sans arrêt ! Il y avait trois hommes qui jouaient avec nous en permanence et qui étaient nos guides. Ils nous ont appris leur jargon, leur façon de bouger... La perméabilité des acteurs permet également, dès que l’on est dans un lieu, de capter ces micro-gestes, micro-mouvements. On s’en inspire. Leur monde est à la fois très enfantin et très viril. Il en va de même pour les marins, qui ont quelque chose de très pur et de très brut. C’est un lieu parfait pour des acteurs !
Pourquoi très enfantin?
Bruno Debrandt : Parce qu’il y a quelque chose d’extrêmement naïf. Quand on voit le film, on a un peu l’impression de se retrouver dans un monde de Playmobil ou de Lego, un grand terrain de jeu, où l’on joue à la marchande, on attrape des caisses sur des bateaux, on les range sur les quais, on les reprend avec des grues ! Enfant, on joue comme ça. Eux, ils continuent ! C'est à la fois porteur et jouissif ! On rigole comme des enfants, on se tape dessus, on se lance des blagues… il n’y a pas de retenue, contrairement au destin qui frappe les personnages.
Pouvez-vous nous parler justement de vos personnages ? Celui de Victor d'abord?
Aurélien Recoing : Mon personnage peut être vu comme une sorte de chef de troupe, à la fois père, frère et amant. Il a un côté effectivement assez Shakespearien. C’est à la fois le roi Lear et Richard III.
Toutes les passions sont exposées sur cette scène, sans oublier la trahison originelle qui l’anime. Elle a eu lieu à l'époque d'un âge d’or qui n’existe plus, qu'ils recherchent encore et toujours. En pleine jeunesse, le monde est à vous, il n’y a pas l’ombre d’un souci nulle part, tout va bien. Et puis tout d’un coup, il se passe quelque chose, un drame, un mort... Vous allez vieillir et vous vous rendez compte que le monde n’est pas celui que vous croyiez. C'est assez bien dépeint dans les premières scènes, quand Alexis et Victor font de la moto, qu’ils se bagarrent ! Ils sont profondément heureux, mais après, ils ne le seront plus jamais...
Est-ce jouissif de jouer un méchant?
Aurélien Recoing : Il est méchant Victor ? (Rires) Mon personnage est un homme sans conscience morale, ce qu’il veut c’est l’argent, le bonheur de sa femme (Natacha Lindinger) et puis un enfant, un bébé. Il veut posséder, se perpétuer. Dans son discours à la fin, il parle de cette importance de transmission entre un père et son fils, "Depuis 1926, nous existons. Mon père, mon grand-père…" Dans ce type de métier, il y a aussi cette volonté de transmettre un héritage, tout comme un roi le ferait.
Qu’est-ce qui vous a posé le plus de difficultés dans ce rôle?
Aurélien Recoing : Je ne sais pas s’il y a vraiment eu des difficultés. Il n’y a que de l’incarnation. On fait avec soi, avec le personnage, avec ce qu’il se passe dans le monde et parfois cela peut faire mal, mais aussi beaucoup de bien. Je n’ai donc pas eu le sentiment de me confronter à un problème dans la création du personnage, plutôt le sentiment de tirer les fils avec beaucoup de bonheur, les uns après les autres et de le construire, pas à pas.
Nous avions beaucoup travaillé avant le tournage. Cela n'aurait pas été possible autrement. On s’est rencontré, on a répété, on s’est confronté aux scènes longuement à l’avance. Donc quand nous sommes arrivés sur le plateau, il n’y avait plus qu’à vivre ! Et quand on n’a plus qu’à vivre les choses… Il y avait une évidence pour moi, peut être pas la même que pour Bruno Debrandt, parce que lui représente le héros positif. Et ce type de héros vit toujours dans le malheur, dans le secret, dans la confrontation avec sa propre identité. J’ai tendance à vouloir le rapprocher du romantique, de cette figure que l’on retrouve dans "Hernani", "Monte Cristo"... L’homme face à sa propre identité. Et quand on doit jouer cela, c’est douloureux. Victor, lui, il peut dire qui il est ! (Rires)
On voit effectivement que lui n’éprouve aucun sentiment de culpabilité par rapport à ses crimes?
Aurélien Recoing : Il n’a aucune culpabilité, puisqu'il fait tout au profit de la famille et de ses intérêts. Il peut en souffrir, en pleurer, mais le lendemain tout est oublié.
Même la trahison, il l’oublie vite… il a une grande capacité à passer à autre chose.
Aurélien Recoing : Oui, mais par contre tant qu’il est bloqué sur la page, cela peut être terrible (Rires).
Bruno Debrandt, comment avez-vous construit votre personnage de Matthias?
Bruno Debrandt : Tout repose sur une œuvre. Quand on reçoit le scénario, il nous tombe des mains, parce qu’on se dit que c’est rare à la télévision de réussir à proposer cela. On s’appuie beaucoup sur l’écriture, mais aussi sur le casting, rare, précieux : Carlo Brandt, Aurélien Recoing, Artus de Penguern… tous ces acteurs ont chacun une singularité, une identité très forte.
Avec cette écriture et ces acteurs, nous allions pouvoir créer une famille. Durant les répétitions et dans l’approche des personnages, du travail, on n’a pas du tout parlé de psychologie. On s'est dirigé vers une création collective, on s’est parlé de crocs, d’odeurs… Comment allait-on réussir à résister au jeu ? Comment allait-on faire pour ne pas jouer des cow-boys, des mafieux ? Comment allait-on au final danser sur ces choses-là ? Et quand il y a une vraie famille d’acteurs, dirigée par un vrai chef d’orchestre, qu’est Olivier Guignard, cela crée une vraie approche du jeu, de la mise en scène. On a pu échanger tous ces secrets et on peut les faire vivre sur le plateau, malgré l’économie de la télévision, malgré la rapidité dans laquelle on travaille. Pour moi, ça a été un grand bonheur de découvrir que c’était possible. On aimera ou pas, mais je suis convaincu que ce film est très beau et une grande réussite, dans le format qui est propre à la fiction française. C’est rare. En réalité, c’est souvent ça la fiction pour les acteurs: travailler dans la contrainte ? Et pour les réalisateurs aussi.
Pour "Le Repenti", vous aviez plus de temps pour préparer votre rôle que pour les autres fictions?
Bruno Debrandt : Ce n’est pas que l’on a eu plus de temps, mais le casting a été tellement long ! Il ne voulait pas de moi ! (Rires) Il y a eu tellement de résistance au départ, parce qu’on ne voulait pas confier le rôle à un inconnu... Ça a donc duré cinq mois et demi ! Cela constitue déjà un temps de préparation et de réflexion. Ensuite, grâce à la grande qualité du producteur Patrick Benedek et la hargne d’Olivier Guignard, ils ont investi eux-mêmes du temps, une fois le casting validé et hors production, pour nous trouver des salles de répétition. On s’est donc retrouvé pendant deux semaines ensemble pour dégrossir le projet. Une des questions principales pour nous c’était de savoir comment on allait faire pour ne pas, dès le premier jour, partir dans de mauvaises directions, parce que c’est souvent comme ça!
On se retrouve sur le plateau, on ne connait pas ses partenaires, on a appris chacun le texte de son côté et donc on ne sait pas ce qu’on va faire ! On tourne quatre prises et c’est terminé ! C’est à la fin du film, au bout des 22 jours de tournage, qu’on se dit "Ah ! mais en fait, mon personnage était comme ça !" Mais les trois, quatre premiers jours, on peut s’être totalement trompé de direction. Les contraintes de la télévision passent par là aussi, c’est à chaque fois un hasard et c’est ce qui fait aussi la magie de la chose. On danse tout de même sur un fil, c’est pour cela que les personnages ne sont pas toujours réussis. Par contre pour Le Repenti, on savait qu’il y avait un écueil évident à éviter: comment faire pour ne pas jouer des cow-boys ? Pour donner une très grande humanité, une crédibilité à ces personnages ? Les semaines de répétitions nous ont permis de répondre à tout cela, d’échanger avec les acteurs, de voir à quel endroit cela résonnait pour l’un et l’autre. Cela a également permis au réalisateur de prendre confiance et de se dire qu’il ne s’était pas trompé sur son casting, qu’il pouvait nous dire les choses, sans nous blesser, sans risques. En fin de compte, c’est comme une histoire d’amour, on fait forcément mieux l’amour au bout de trois ou quatre mois de relation ! Pour moi c’est ça la télévision: il y a des coups de foudre et ça marche très bien et parfois… Quoiqu’il en soit, je suis très fier d’avoir pu participer à ce projet, parce qu’il est réussi, parce qu’on l'a amené aussi loin qu’on pouvait.
Le personnage de Matthias aussi n’a pas l’air de ressentir de la culpabilité par rapport à ses actes?
Bruno Debrandt : Il évolue masqué, totalement désincarné parce que ce n’est plus lui. Cela aussi c’est un enjeu intéressant pour un acteur et pour un personnage : comment jouer quelqu’un qui n’est pas soi ? Comment évoluer sans son visage ? Les sentiments sont enfouis. Nous avons essayé de travailler sur la mise en place d'une espèce de transparence.
Il est tout de même dans le refoulement?
Bruno Debrandt : Oui, totalement ! Dans la rétention, la culpabilité, le refoulement. Il y a une très grande douleur, une très grande mélancolie mais aussi une très grande difficulté à respirer parce qu’il y a un écrasement très fort, un destin qui s'abat sur lui. Il peut apparaitre froid parfois, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un carnassier.
Propos recueillis par Céline Chahinian, le 28 Avril 2010 à Paris