Après avoir tourné 3 documentaires au Brésil, Un conte finlandais est un peu votre retour au pays ?
Mika Kaurismaki : Oui, c’est comme revenir à la maison. Mon dernier film en finnois date de 1981 et cela fait 2 ou 3 ans que je voulais revenir au cinéma finlandais. Du coup, j’ai réalisé deux film en 1 an. J’ai d’abord commencé The House of Branching Love puis un soir j'ai croisé les trois acteurs du film, qui sont également des amis... on a parlé de nos vies, nos familles et de cinéma bien sûr. Finalement, on s'est dit : faisons un film ensemble. C'est comme cela qu'est venu l'idée d'Un conte finlandais. Finalement, c’est ce film qui sort en premier. Vous savez, c’est différent de travailler dans sa langue natale. Certes avec l’anglais on peut toujours communiquer nos idées, parler à son équipe, mais il manque le feeling, les sensations. En plus je voulais un film avec beaucoup de dialogue, je voulais me centrer sur l’acteur.
Un peu selon la méthode de Cassavetes ?
Oui tout à fait. Tout le travail se porte sur le personnage, donc sur l’acteur. Les 3 comédiens ont chacun choisi leur personnage mais ils ont également utilisé leur propre vie. C’est un mixte entre fiction et réalité. Il faut beaucoup d’expérience pour cela. Ils se servaient de leurs expériences pour donner de la profondeur à leur personnage. Aucun dialogue était écrit, ils improvisaient donc constamment. Je n’aurais jamais pu faire un film comme cela avec de jeunes acteurs. Je les dirigeais un peu certes, mais au final je n’avais qu’une idée de l’histoire. Je savais que je voulais faire un film de Noël avec 3 hommes en crise, je pensais à la Bible, aux 3 Rois Mages et à l’enfant Jésus. Mais les acteurs n’en savaient rien. Par exemple, Erkki, le photographe, me demandait pourquoi Matti, le policier, était aussi agressif avec lui. Il ne savait pas qu’au final, il était le père biologique de son nouveau-né. Tout cela donnait quelque chose de très spontané.
En plus comme John Cassavetes, je ne me suis pas soucié du cadre, encore moins de la technique. Je n’ai pas cherché à voir une photo parfaite.
C’est aussi ce qui donne à votre film un effet documentaire…
J’ai fait du documentaire avant et c’est ce qui m’a aidé pour tourner celui-là. J’ai l’habitude de filmer de prés. Comme rien n’était écrit, qu’il fallait être préparé à film les mouvements. Il me fallait 25 min de prise pour faire avancer l’histoire. Je leur disais de recommencer tout en continuant à filmer. Après je me disais, tiens ceci va bien avec cela, et ça pour plus tard… Je construisait le film comme un puzzle. Mais la confiance entre les acteurs et moi était présente, de même qu’entre les acteurs.
Quelles ont été les difficultés d’un telle méthode de travail ?
J’étais très confiant, je savais que mes acteurs seraient très bien mais je devais les pousser vers ma vision. Les acteurs devaient être vraiment alerte et concentré. Vous savez, improviser ce n’est pas comme en musique, ce n’est pas un solo. C’est de l’action et de la réaction, parler et écouter. Les acteurs n’ont pas fait chacun leur show, il y avait beaucoup de respect sur le plateau, ce n’était pas que moi moi moi, ce qui aurait été terrible.
Sur ce film, j’étais très libre, je n’avais pas la pression de la production, j’étais le producteur. Je ne me souciait pas de l’audience, je ne savais même pas si le film allait sortir en salle. On voulais juste le faire, tenter l’expérience de ce genre de réalisation.
Pourquoi avoir choisi le thème de Noël ?
En Finlande, Noël est une fête très traditionnelle. Quand on est petit, on nous lit la Bible, on est bercé par cette tradition. En plus, c’est une célébration très familiale. Les gens seuls ressente cette soirée-là encore leur solitude. C’est très triste. On voulait faire un film sur 3 hommes en crise alors le contexte de Noël, dans un environnement aussi déprimant qu’un bar karaoké désert, c’est ce qu’il y a de plus propice.
Hormis les 3 personnages principaux, l’histoire introduit, Magdaleena, une jeune femme mystérieuse. Comment s’est déroulé l’arrivée de Magdaleena dans le bar ?
Les acteurs ignoraient qu’une autre actrice intervenait dans l’histoire. Quand elle est rentrée, ils ont d’abord pensé que c’était une personne qui était entré en passant que le bar était ouvert. Que c’était pour réellement boire un verre. Je lui avait dit, ils seront à cette table, tu vas te mettre là-bas. Ce qui était bien c’est qu’ils n’ont pas arrêté de jouer pour autant. Ils m’ont regardé et je leur est dis de continuer. Quand ils ont compris qu’elle faisait partie de l’histoire ; ils ont changé d’attitude. Ce sont des hommes, ils se demandaient qui aura la fille. (sourire). En plus, Magdaleena [Madeleine] tient dans la Bible le rôle de la maîtresse, de la prostituée. D’ailleurs, quand j’ai demandé à Irina Bjöklund quel nom elle voulait prendre pour son personnage, elle m’a dit Magdaleena. Ce qui est fou, c’est que j’avais aussi pensé.
Quelle rôle joue la musique dans votre film ?
Elle colle au personnage. Il y a beaucoup de non dit quand on parle. Mais quand on est sur une scène pour chanter, on se met à nu. On est toujours plus honnête que dans une discussion. En plus, comme c’est un film à dialogue, les chansons du karaoké permettent de casser le rythme. Chaque chanson engendre une scène dramatique, un tournant dans l’histoire.
Quant à la dernière chanson, celle du chanteur d’opéra, elle est pleine d’émotion. C’est une vielle chanson bien connu des finlandais. L’histoire d’un petit enfant mort. Elle fait le parallèle entre une journée et une vie. Le matin, l’après midi et la nuit. C’est un peu aussi la même chose avec ce film. L’action se déroule le temps d’une nuit, ce qui équivaut ici à une vie. Les personnages ne sont plus les mêmes après cette fameuse nuit. Au matin, ils ont tous changés, ils sont devenu plus fort. C’est en partie du au pardon qu’ils ont trouvé ou donner pendant cette nuit. Pour l’anecdote, Kari Heiskanen, l’acteur qui joue Erkki le photographe, avait vu ce même chanteur la veille dans la rue. Ce qui était drôle c’est qu’il ne savait pas qu'il le verrait le soir du tournage.
Propos recueillis par Bathilde Tautou