Allociné : Aviez-vous dès le départ l’idée de donner une suite à « [Rec] » ?
Jaume Balagueró : Non, c’est arrivé avec le succès du premier [Rec]. On avait jamais pensé à une suite, mais en voyant le succès et la réaction des gens, on a été comme contaminés par l’enthousiasme du public, et on s’est dit : « Tiens, pourquoi pas faire une suite, et continuer avec ce type de divertissement ? ». Et c’est comme ça qu’on a commencé à travailler.
Avec dès le départ l’idée d’alterner différents points de vue ?
Paco Plaza : Oui, et au début, ça devait aller encore plus loin que ça, puisqu’on voulait avoir deux films qui s’appellent tous deux [Rec] 2, et qui sortent simultanément dans les salles. A cause de problèmes de distribution, ça a été compliqué à faire, mais on a miantenu cette idée de faire deux films communiquants qui seraient complémentaires, avec une imbrication des deux histoires. On voulait rester fidèles à l’esprit du premier [Rec], avec la caméra à la première personne, donc on voulait maintenir ça en croisant les points de vue. Ca a donné ce système de vases communiquants, où il y a un flux tout le long du film, mais où on passe d’une histoire à l’autre.
De quelle façon travaillez-vous en duo ?
Jaume Balagueró : On partage tout. On a pas l’habitude de co-réaliser, puisque Paco et moi avons chacun dirigé des films en solo, avant de faire [Rec]. Mais dans ce cas présent, et justement parce que nous n’y sommes pas habitués, on partage tout. Je prends souvent cet exemple de deux enfants qui jouent et qui sont enthousiastes lorsqu’il s’agit de faire peur aux gens autour d’eux. Nous sommes donc comme deux enfants à l’école, qui se provoquent et s’amusent en faisant peur. Je reconnais que c’est un peu anarchique, mais c’est vraiment très amusant.
Avec « [Rec]2 », vous faites encore référence aux films de zombies, mais vous citez également « L’Exorciste » ou « Aliens ». Pourquoi ces films en particulier ?
Paco Plaza : Parce que notre idée a été de rester fidèles à l’esprit du premier [Rec], tout en mettant un pied dans le territtoire du fantastique pur. Du coup, il est possible de voir [Rec] 2 comme un hommage. Pas à un film en particulier, même s’il y a des références à L'Exorciste, The Thing, ou différents classiques du genre, mais plus à une façon de faire, pour s’amuser et faire partager cette expérience collective qu'est [Rec].
Le film renvoie également à l’univers du jeu vidéo, notamment lorsqu’une arme est en amorce du plan. A quel point les jeux vidéo vous ont-ils influencés ?
Jaume Balagueró : En fait c’est un peu un hasard, puisque les personnages ont une petite caméra dans leur casque, et que la présence de leur arme renvoie directement à la vue dans les FPS (Fisrt Person Shooter, jeux de tir à la première personne). Donc c’est un hasard, même si nous connaissons cet univers et que nous avons joué à des jeux. Ceci dit, quand on y réfléchit, on a peut-être inconsciemment organisé les films comme des jeux vidéo, puisque les étages représentent des niveaux, qu’il y a des ennemis et le boss de fin. De manière plus générale, les films nous servent surtout à parler du statut qu’ont les images aujourd’hui, et de l’obsession que les gens ont de tout filmer avec leur portable ou une petite caméra. Il règne une espèce d’anarchie audiovisuelle que nous trouvons fascinante, et sur laquelle nous voulions réfléchir grâce à ces films.
Les deux « [Rec] » font beaucoup penser à la série des « Resident Evil » dans leur structure. Est-ce que ces jeux ont pu vous inspirer, ou est-ce un hasard ?
Jaume Balagueró : Non, non, ce n’est pas forcément un hasard : on connait les jeux et on y a joué – surtout Paco. Dans « Resident Evil 2 », il y avait deux CD, qui permettaient de jouer avec l’un ou l’autre des personnages, sachant qu’ils se croisaient de temps en temps. On peut donc le voir comme une influence, mais de manière inconsciente, dans la mesure où nous y avons joué.
Est-ce que vous accepteriez alors de réaliser une adaptation de jeu vidéo ?
Paco Plaza : Ca dépend du jeu, car s’il n’y a rien de plus drôle que de jouer soi-même à un jeu, il n’y a rien de plus ennuyeux que de regarder quelqu’un d’autre jouer. Et très souvent, une adaptation ne se concentre que sur le développement de l’histoire, et ça n’est pas très intéressant. Dans une certaine mesure, je pense que [Rec] et - surtout - [Rec] 2 sont en quelque sorte des adaptations de jeux vidéo dans leur mode de fonctionnement, vu que le but est d’impliquer réellement le spectateur au lieu d’en faire quelqu’un de passif qui ne fait que suivre une histoire. Du coup on peut presque dire qu’on l'a déjà fait, et nous pourrions très bien adapter un jeu qui nous intéresse, en restant dans le même esprit.
Votre film s’inscrit dans la vague récente des films de genre présentés comme des faux documentaires. A quoi pensez-vous que cette mode tient ?
Jaume Balagueró : Je pense que ça tient au fait que les spectateurs d’aujourd’hui sont conscients qu’ils peuvent réaliser leurs propres films et les diffuser grâce à YouTube. Ils savent de mieux en mieux de quelle façon un film est fait, et, en même temps, les films leur demandent une participation de plus en plus importante. C’est donc pour ça que les films commençent à offrir une interaction, pour chercher de plus en plus à impliquer le spectateur. Maintenant, ce n’est qu’une des lectures possibles, parce que ça pourrait aussi venir du fait qu’un film fonctionne, et que d’autres suivent la même voie. Ici, la vague a commencé avec Le Projet Blair Witch, même s’il était un peu isolé. Puis [Rec] et Cloverfield sont arrivés en même temps, et ça a généré une sorte de mimétisme au sein de l’industrie cinématographique, à cause de leurs succès.
On note aussi un gros retour en force du film de zombies.
Paco Plaza : Il y a eu beaucoup d’écrits dans lesquels il était question des différentes vagues du cinéma d’horreur, et de leur lien avec le contexte. Personnellement, je n’y crois pas vraiment, même si j’ai lu beaucoup d’analyses sur la charge métaphorique et parabolique de ces films. Il m’a d’ailleurs semblé lire, à propos des films des zombies, que l’idée du mort-vivant et de ce virus venu de l’extérieur, mais qui finit par vous infecter de l’intérieur, pouvait être vue comme une parabole sur les conséquences du 11 septembre, et cette psychose autour du terrorisme islamiste. Je ne sais pas si c’est vrai, mais je suis surtout là pour vivre les choses de l’intérieur, et pas porter un regarde extérieur, même si je sais qu’on cherche toujours à établir des parallèles entre les évolutions d’une forme artistique et le contexte politico-sociologique, afin d’établir s’il y a une dimension parabolique dans l’art.
Vous parliez des grandes vagues du cinéma, et il y en a une qui est très prononcée en ce moment : celle du cinéma fantastique et d’horreur espagnol, qui est quasiment au sommet du genre. Le fantastique fait-il partie d’une tradition en Espagne ?
Jaume Balagueró : Je ne crois pas. Je pense plutôt que, si des gens font des films fantastiques aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont grandi avec la culture de la vidéo, qui leur a permis de voir et de consommer le cinéma qu’ils aiment, et qu’ils ont ensuite décidé de le faire eux-mêmes. Et le phénomène est le même en Espagne, en France ou en Italie. Il est global, et cette génération n’a plus honte de faire des films de genre. Je ne pense donc pas qu’il y ait chez nous une explication liée à notre culture, ni que le fantastique soit plus présent dans notre pays qu’en France. Quoique… Il y a peut-être un lien avec la religion, mais je ne crois pas que ce soit très important pour qu’on puisse dire que ça a marqué notre génération. Cette dernière est surtout influencée par ses propres goûts en matière de cinéma.
Pour terminer, pouvez-nous donner votre recette pour un bon film d’horreur ?
Paco Plaza : Je pense que la recette est la même que pour n’importe quel film, puisqu’il s’agit d’arriver à construire des personnages qui soient crédibles et suffisament solides, suffisament humains et attachants, pour qu’il y ait une empathie entre le spectateur et eux, et que vous ressentiez, en tant que spectatetur, les mêmes émotions que les personnages.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 27 novembre 2009.