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    « Où va le cinéma ? » Cinq réalisateurs livrent leur vision sur l’avenir du septième art

    Cinq grands réalisateurs parmis lesquels Win Wenders et Jaco von Dormael se sont retrouvés vendredi au Max Linder à Paris pour répondre à la question : « Où va le cinéma ? » Un événement organisé dans le cadre du 10ème festival de L’industrie du Rêve.

    Imaginez : Michel Hazanavicius, Nicolas Saada, Rithy Panh, Jaco van Dormael et Wim Wenders autour de la même table pour répondre à la question "Où va le cinéma ?" Modéré par notre confrère du journal Ecran Total, Serge Siritzky, la question n'était pas simple et les metteurs en scène se sont par moments sentis mal placés pour y répondre. Et pourtant, le débat était vif, percutant et fascinant.

    Michel Hazanavicius:

    "Je suis optimiste pour l'avenir du cinéma. Le cinéma est un dur métier où il y a parfois beaucoup d'inconscience. Internet est en grande mutation. Je ne sais pas encore où va le cinéma, ni ce que peut véritablement apporter ce nouveau média. Nous assistons de plus en plus à des rediffusions et je me demande s'il ne commence pas à trop y en avoir. Il y aura toujours des films formatés et il sera donc de plus en plus dur de faire des petits films. Par définition, tous les films sont fragiles. Nous sommes privilégiés en France, nous le savons et il n'y a qu'à voir le nombre d'affiches dans la rue. Je ne souhaite pas faire un discours alarmant, mais je pense qu'il faut accepter le changement. Il ne faut pas oublier non plus qu'il n'y a pas de Cinéma, mais plusieurs cinémas dans le monde. Concernant la chronologie des médias, personnellement, je remercie le téléchargement car grâce à cela, mon film-détournement La Classe américaine a pu être redécouvert par tous. Après, bien sûr que cela pose problème et je pense que la meilleure solution serait qu'un système contrôle ces abus."

    Jaco van Dormael, qui sort prochainement son film Mr. Nobody, s'est posé en tant que vrai artiste, préférant laisser cette question aux acteurs de l'industrie cinématographique:

    "Avec Mr. Nobody, j'ai avant tout essayé de faire un film beau plutôt qu'un film cher comme j'ai pu l'entendre. Avec Internet, il y a un nouveau langage qui est en train de se créer. Auparavant, je préférais tout ce qui était esthétiquement beau, mais avec les différentes évolutions qui s'opèrent, je commence à aimer les sons dysonnants que l'on peut entendre sur des films amateurs présentés sur des plates-formes comme You Tube. Il s'agit de langages radicalement différents. Je pense que le cinéma est davantage à un début plutôt qu'à une fin. Il y a aujourd'hui de nouvelles façons de raconter des histoires. Je suis assez optimiste pour le futur du cinéma. Je me fous, si vous voulez, de l'industrie du cinéma, et je pense d'ailleurs qu'il existe un schisme entre les deux. Quand je fais un film, c'est comme si je lançais une bouteille à la mer et que des gens la récupéraient sans qu'ils sachent ce qu'elle contient et qu'ils en découvrent le contenu. Par ailleurs, pour revenir à la question des téléchargements : tant que mon film est vu par le plus de personnes possibles, cela ne me dérange pas et je suis donc heureux que les gens téléchargent mon film. Mais ce n'est pas le plus important car ce qui compte, c'est que le spectateur garde le film en mémoire. »

    Rithy Panh, réalisateur du film Un barrage contre le Pacifique, a conquis l'assistance par ses propos simples et "universels" :

    "Je regarde l'affiche de la conférence et je vois que cette route ne mène plus nulle part. Il n'y a plus de cinémas, de restaurants, de maisons. J'ai l'impression que le paysage cinématographique est pareil : un cinéma où finalement il n'y a pas de Cinéma… Pour moi, il y a trop de blabla et jamais rien de concret. Il y a de plus en plus de contraintes sur les raisons qui permettent de recevoir des financements et cela se ressent essentiellement dans les pays en voie de développement. L'industrie du cinéma est aujourd'hui une grosse machine qui écrase tout. Je souhaite par exemple faire un film sur l’écologie et je ne trouve aucun financement, alors qu’un type qui est dans son hélico et qui ne touche même pas le sol reçoit des millions pour faire le sien. Enfin, je trouve que le numérique permet d’aller partout mais il entraîne une surdose d’images qui ne sont pas assez diffusé à travers le monde."

    Nicolas Saada :

    "J’ai l’impression qu’il y a un discours récurrent depuis la création du cinéma mais que l’on oublie le plus important qui reste la mémoire. Les technologies ne servent à rien si nous n’avons pas de mémoire. Le rapport que nous avons face aux films a changé, dû aux différents écrans qui ont fait leur apparition. Je ne pense pas, par exemple, que YouTube offre de vraies narrations, il s’agit plutôt de l’inverse. Il n'y a qu'un écran qui vaille réellement et c'est la salle de cinéma. Un autre point important et majeur est que les jeunes ne peuvent aller au cinéma car il trouvent le cinéma trop cher et ils ont raison. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils téléchargent, par défaut. En somme, il est difficile de répondre à la question: "Où va le cinéma ?" car il y a trop d’hypothèses à l'heure d'aujourd'hui. »

    Wim Wenders, qui est en train de préparer un documentaire 3D sur la chorégraphe récemment décédé Pina Bausch, a souhaité répondre à cette question point par point :

    Sur le nouveaux outils cinématographiques:

    "Les outils ne racontent rien, ce sont les gens qui racontent avant tout des histoires. Il y a eu l'image, puis le son et on a raconté l'essentiel à l'époque. Au début, j'ai trouvé que le numérique représentait un nouveau type de liberté jusqu'à ce que je découvre que l'on montrait tout et n'importe quoi dans les salles obscures. On a utilisé beaucoup d'argent pour parfois ne rien raconter. Le gros problème se trouve au niveau de la distribution. Grâce au numérique, on a pu trouver des nouveaux films formidables avec de jeunes talents incroyables mais la distribution reste une porte étroite. Ce que j'appelle le prolétariat des cinéastes sont obligés d'attendre dehors sans qu'aucune porte ne leur soit ouverte. »

    Sur les mutations:

    « J'ai l'impression qu'à chaque avancée, nous faisons 2 pas en avant… et 3 pas en arrière. A chaque fois, on trouve des contre-arguments qui empêchent le plus souvent d'avancer. Le numérique a permis de sauver le documentaire mais personne ne les montre malheureusement! De même, des platformes comme You Tube sont bien mais pour 99,9999% de contenus, ce n'est pas ce que j'appelle du Cinéma. Il s'agit ni plus ni moins d'un outil sans langage. Cela ressemble parfois même à une cacophonie. »

    Sur les phénomènes de mode:

    « Je viens de découvrir la 3D grâce au tournage que nous venons de terminer sur la grande chorégraphe Pina Bausch. Quand nous tournions et que je regardais le résultat, j'ai été immédiatement fasciné par le rendu 3D. Pour moi, ce nouveau phénomène de mode est sans conteste l'avenir du documentaire. La 3D est une nouvelle forme de poésie. Maintenant qui j'y ai touché, il va certainement être difficile de s'en détacher. Concernant le reste de la production 3D, je suis complètement effaré par les films qui sortent sur les écrans. Il n'y a aucune histoire et ces films ne racontent absolument rien. C'est surtout cela qui m'effraie le plus. On peut donc parler d'une industrie du rêve oui, mais bloqué par une industrie de m…. »

    Sur la direction d’acteur :

    "Il y a eu beaucoup de changements dans la relation acteur-réalisateur. Avant, le réalisateur était en contact permanent avec l'acteur, puis il y a eu ce que l'on appelle les combos et nous nous sommes éloignés de lui. L'arrivé des effets spéciaux n'a pas amélioré la situation car jouer devant un fond bleu ou vert reste extrêmement difficile pour un acteur qui doit redoubler d'efforts pour rentrer dans son rôle. Il y a de moins en moins de réalité dans les studios, et l'acteur est aujourd'hui devenu très seul. Heureusement, grâce à la 3D, j'ai trouvé une nouvelle relation avec l'acteur. Certes, il faut regarder le résultat sur vidéo mais notre relation est différente. Le seul inconvénient est qu'il s'agit encore d'une lourde technologie."

    Quel bilan?

    Au final, les réalisateurs restent tous dubitatifs. Leur débat a permis d'aborder le pour et le contre sans trouver réellement de solutions. Fausses inquiétudes ou situations alarmantes, les cinéastes sont tous partagés. Cependant, plusieurs points sortent du lot. Tous sont d'accord pour dire que le cinéma coûte de plus en plus cher et que l'utilisation des nouvelles technologies est mal orchestré, et propose des contenus parfois aberrants. Se posant avant tout comme des artistes, tous ont affirmé qu'il existait une grande scission entre eux et les industriels, et que cette situation empirait. Wim Wenders a ainsi affirmé que "les gens qui contrôlent les normes contrôlent de plus en plus les contenus, ce qui provoque la disparition du vrai cinéma".

    Cette rencontre s'est terminée par un discours du philosophe Régis Debray, qui est resté dans l'ensemble optimiste: "Le cinéma va continuer à être l'art majeur car il accueille le plus de technologies et l'esprit du temps va se déposer précisément ici. (…) Nous vivons l'époque des hybrides et le numérique pousse, au final, à une enfantisation. (…) Il ne faut pas oublier qu'un film reste un prototype. Les technologies nouvelles font ressurgir le côté primitif de l'homme. La vraie question des supports se pose au niveau des stocks. Où va passer la mémoire du cinéma ? (…) Mais je vous rassure tout de même, nous avons encore un bon siècle devant nous et nous pouvons donc partir tranquille."

    Edouard Brane

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