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C’est une question que le public dit "normal" se pose rarement. Ou jamais. Existe t-il des cinéphiles parmi la population malvoyante ? Et si oui, quel accès à la culture audiovisuelle lui offre t-on ? Le 20e anniversaire français de l’audiovision (ou audiodescription) était l’occasion pour l'Association Valentin Haüy de dresser un bilan.
L’audiovision, c'est quoi ?
Egalement connue sous le nom d’audiodescription, l’audiovision consiste "à rendre accessibles des films, des spectacles ou des expositions aux personnes non-voyantes ou malvoyantes, grâce à un texte en voix-off qui décrit les éléments visuels de l’œuvre. La voix de la description est placée entre les dialogues ou les éléments sonores importants afin de ne pas nuire à l’œuvre originale. L’audiovision s’applique à de multiples supports : cinéma, théâtre (grâce à une description en direct ou enregistrée et envoyée en fonction du rythme du spectacle par un technicien du théâtre, NDLR), télévision, danse, expositions et toute expression artistique comportant des images inaccessibles à un public déficient visuel sans aide extérieure. Pour la projection du film, en salle de cinéma ou au théâtre, la personne aveugle ou malvoyante est équipée d’un casque sans fil lui permettant de suivre en toute autonomie, le film ou la représentation en compagnie de spectateurs voyants. Dans le cadre de projection privée devant un téléviseur ou de diffusion par une chaîne de télévision, l’Audiovision peut être écoutée directement sur les hauts-parleurs du téléviseur ou sur le système home-cinéma". (source Communiqué de l’AVH)
L’audiovision et le cinéma
Elaborée aux Etats-Unis à partir de 1975 par Gregory Frazier au sein de l’Université de San Francisco, l’audiovision touche au départ le milieu du cinéma, via Auguste Coppola, doyen de l’établissement et frère de Francis Ford Coppola. Dès lors, c’est logiquement Tucker (de Coppola) qui sera le premier film en audiodescription à voir le jour. Dès 1989, l’associaion Valentin Haüy obtient l’exclusivité du développement de l’audiovision pour la France, et dévoile le projet dans le cadre du Festival de Cannes 2009. Peu de temps après, le premier film en audiovision est proposé au public hexagonal : Indiana Jones et la Dernière Croisade. De beaux débuts donc… Mais depuis 1989, l’audiovision reste méconnue du grand public, et peu développée du côté des professionnels. Ainsi, en 2009, seule une dizaine de cinémas propose des salles équipées en audiovision. Pour 65 000 personnes aveugles et 1 200 000 malvoyants. Des efforts de sensibilisation et d'action restent donc à entreprendre. Etat des lieux à travers trois regards...
Rencontre avec Gilbert Lecurieux, chargé de mission au C.N.C.
AlloCiné : quel bilan peut-on faire de l'audiodescription en France ?
L’audiodescription est un concept relativement récent. C’est une technique relativement récente également. Pour ce qui est du cinéma, c’est quelque chose de relativement innovant, en phase expérimentale. Le MK2 Quai de loire organise des projections en audiodescription et en sous-titrage, ce que le Président du groupe MK2 qualifie d’action citoyenne. Le sous-titrage d’un film français en français, pour un public qui ne serait pas mal-voyant ou mal-entendant, pose quelques petites difficultés de sensibilisation dans la mesure où le public dit « normal » explique que le sous-titrage les déconcentre au niveau du suivi du film, et qu’il y a donc un incovénient pour eux à suivre un film audio-sous-titré ou audio-décrit. Encore que l’audiodescription se fasse par le casque, donc au final ça ne gêne pas grand monde. La fréquentation en salles de ces différents public doit faire appel chez les uns et les autres à une forme de tolérance. Un concept civique. Il faut que nous apprenions à accepter l’autre dans sa différence car comme dit Saint-Exupéry, "Loin de nous appauvrir, il nous enrichit".
Au-delà de la sensibilisation, du grand public, il faut aussi faire avancer l'idée chez les professionnels...
Il faut prévoir un modèle économique car il faut équiper la salle pour ça, ce qui n’est pas simple. Dans le cinéma, il y a essentiellement trois groupes de professionnels : le producteur, le distributeur et l’exploitant. Il faut convaincre ces trois partenaires, mais au final, c’est surtout l’exploitant qui prend la décision de projeter (ou pas) le film sur ses écrans, puisque c’est un opérateur économique indépendant. Il faut donc que les exploitants acceptent les films audio-décrits. Mais chacun sait que les exploitants ont parallèlement d’énormes difficultés économiques actuellement, avec le piratage, la modernisation des salles, le passage au numérique, etc… Tout ça a donc un coût. C’est au CNC d’accompagner ces professionnels dans la mise en place de ce matériel.
Quelle forme va prendre cet accompagnement ?
En trois ou quatre ans, nous avons fait plus d’efforts qu’en un siècle. Pourquoi ? Parce que le numérique a considérablement simplifié l’audio-description et le sous-titrage. Plus la technologie va s’améliorer, mieux nous parviendrons à satisfaire ces publics fragilisés.
Rencontre avec Patrick Saonit de l’Association Valentin Haüy
AlloCiné : quel bilan peut-on faire de l'audiodescription en France ?
En vingt ans, on a réussi à faire plusieurs choses que souhaitait l’administrateur : faire connaître l’audiovision chez les professionnels, permettre d’aller voir quelques films au cinéma, pouvoir en regarder à la télévision, et emprunter ou acheter des DVD avec de l’audiodescription. Nous sommes parvenus à ça assez rapidement, il faut désormais monter en volume : la première année nous avons traité un film, la deuxième année deux films, la troisième quatre films et ainsi de suite… Actuellement, notre association traite de 40 à 50 films en audiovision par an. Le plus souvent pour la télévision, alors que pour le cinéma nous n’avons pu traiter que trois films diffusés en salles cette année, dont Le Ruban blanc. Alors qu’on pourrait traiter ces 40 à 50 productions pour le cinéma, avant qu’elles ne soient redistribuées aux télévisions et aux DVD.
Combien coûte l'audiodescription d'un film ?
L’audiovision c’est 5 000 euros pour l’écriture du texte, l’enregistrement par des speakers professionnels, le montage, le mixage et la réalisation des fichiers nécéssaires à la diffusion en salle ou en DVD. 5 000 euros, si c’est pris en compte par les films qui ont des budgets conséquents, ce n’est pas grand chose. D’autant qu’ils peuvent être redivisés au niveau de la prise en charge entre le distributeur cinéma, la télévision et le DVD. Chacun n’a plus qu’un tiers de cette somme à débourser.
Comment mieux sensibiliser autour de cette question ?
Pendant un moment, c’était un peu un cercle vicieux : des exploitants étaient intéressés, mais nous manquions de films ou de matériel. Nous avons désormais réussi à rompre ce cercle : certains exploitants se sont mis à l’audiovision comme au cinéma L’Arlequin, certains producteurs et réalisateurs intègrent cette dimension comme Jean-Pierre Jeunet, et certains diffuseurs DVD également. Il faut désormais parvenir à lancer une régularité dans le traitement des films en audiovision, dire aux gérants de salles que ce sera disponible assez facilement à partir du moment où ils seront équipés en numérique, et surtout qu’il y a des moyens d’information pour avertir le public aveugle et malvoyant que des séances sont organisées dans leur cinéma. Notre association peut informer les gens là-dessus, pour ce qui concerne le cinéma ou le théâtre. Le site audiodescription.fr donne également beaucoup d’informations sur les films en audiodescription disponibles à la télévision, en DVD ou au cinéma.
Rencontre avec Jean-Marc Plumauzille, audiodescripteur
Comment présenteriez-vous votre métier d’audiodescripteur, finalement peu connu ?
Un autre vocable est utilisé : traducteur d’images. On traduit vraiment des images en mots (et en son), ces images que les personnes malvoyantes ne voient pas afin qu’ils puissent appréhender ce qui est du ressort du visuel. Les décors, les personnages, l’action… Le plus difficile dans ce métier, c’est le problème du choix. Quelles informations sont essentielles pour le spectateur, afin qu’elles soient délivrées en très peu de temps et en respectant la bande-son du film ? La bande-son est généralement très présente sur un film, et non seulement il faut la respecter, mais également éviter les redites ou expliquer ce qui est évident à l’écoute comme le fait qu’un personnage est énervé par exemple. Il faut aussi respecter l’ambiance de cette bande-son, car elle participe de l’ambiance du film. Dans certains cas, on va donc faire l’impasse sur des costumes ou des décors. Sur Le Ruban blanc par exemple, qui se passe au début du XXe siècle, on a compris que la période traitée se situait avant la Première Guerre mondiale : les gens ont donc un ensemble de données qui leur vient automatiquement à l’esprit, données qu’on n’a donc pas besoin de redétailler au cours du film. Les gens vont aussi se fabriquer leur propre film, comme quand on lit un livre dont l’imaginaire dépend du lecteur. L’aveugle, on ne va pas pouvoir lui dire exactement "Voilà le film que je vois". On va lui donner les éléments essentiels qui lui permettent de refabriquer un film qui sera en quelque sorte son film personnel. Mais il faut évidemment éviter de l’induire en erreur, de l’orienter vers de mauvaises pistes, et lui donner des informations qui vont lui permettre de comprendre parfaitement l’action.
Comment se répartissent les rôles entre écriture et enregistrement ?
Personnellement, je n’enregistre pas car c’est à mes yeux un métier à part entière. Mais il arrive que certains audiodescripteurs enregistrent eux-mêmes leurs textes… le fait de ne pas enregistrer ses textes permet une nouvelle lecture au moment du passage devant le micro à tarvers la vision du speaker, et ça offre donc une sorte de correction. On a aussi un autre système de contrôle, qui est de travailler à deux sur un texte : en général on divise le film en deux et on échange nos parties pour qu’il y ait une relecture croisée. Ca évite des erreurs flagrantes, car il arrive que des choses nous échappent. Il arrive enfin souvent que les audiodescripteurs soient présents lors de l’enregistrement pour pouvoir réécrire certains textes quand certains effets sont trop longs par rapport aux prévisions, ou ne passent pas.
Le travail sur un film prend combien de temps concrètement ?
Ca dépend du film, évidemment. Mais pour un demi-film, je compte cinq jours de travail. Ensuite, une demi-journée de relecture de l’autre moitié et ensuite une journée de relecture commune. Donc une semaine intense pour faire un film. Mais après, tout dépend du film ; Des collègues ont traité Les Vacances de Monsieur Hulot, et c’était terrible à faire car ce n’est que du visuel, des gags, etc… C’est un travail énorme dans ce cas-là. L’importance du travail va se mesurer ou nombre de pages de description : un film de 1h30 ou 2h00, ça tourne entre 30 et 40 pages. Et certains films atteignent 50 pages. Dans le cas du Ruban blanc, on aurait pu croire que le film serait très dur à traiter, mais l’ambiance est tellement pregnante dans le film et le narrateur intervient tellement que moins de pages ont été finalement nécessaires. Là, on devrait tourner sur une trentaine de pages pour un film de 2h20, alors qu’on est plus sur une grosse qurantaine de pages pour un film de cette durée. Notamment, pour revenir sur ce que j’évoquais plus tôt, qu’il faut éviter les redites et respecter la bande-son où les voix mais aussi les silences sont très importants. Dans le cas d’un film comme celui-là, le silence doit exister.
Vous parliez de la difficulté de décrire un gag ou un film trop visuel. Est-ce que certains genres ne se prêtent pas à l’audiovision ?
La comédie, c’est très difficile. Parfois on va décrire le gag, mais cette description n’a rien de drôle. Donc on va essayer de trouver dans des mots ou un ton de voix le moyen de faire passer l’humour. Des fois ça ne fonctionne pas, et des fois ça marche comme sur Micmacs à tire-larigot où il y a beaucoup de choses visuelles et rapides qu’on arrive à faire passer dans la description. Pour en revenir à votre question, c’est vraiment la comédie et le gag qui sont les plus difficiles. Et l’audiodescription d’art abstrait également, car le texte doit du coup presque devenir une œuvre d’art lui-même. Là, on touche une vraie limite de notre métier. Mais pour le reste, même les documentaires, tout peut être traduit : la beauté des décors, le souffle épique d’un film, els paysages… Par le choix des mots, par la poésie, on arrive à le rendre car il y a toujours quelque chose à dire qui peut être utile pour une personne malvoyante.
Quelles relations avez-vous avec les réalisateurs et les créateurs qui pourraient penser que votre subjectivité donne une mauvaise vision de leur film ?
La subjectivité, c’est une question intéressante. Il y a vingt ans, on demandait d’être objectifs mais je ne comprenais pas trop car à partir du moment où il y a création et écriture, il y a forcément un point de vue subjectif. On a lors réalisé qu’il fallait accepter le fait que nous sommes des êtres humains, que ce sont deux personnes qui signent l’audiodescription, et donc que c’est leur vision du film qui est donnée dans la description. Sans avis ni jugement de leur part, mais avec leur propre ressenti des images. Mais on fait évidemment en sorte de ne pas trahir le réalisateur, de comprendre ce qu’il a voulu dire et de respecter son œuvre. Le tout en prenant en compte nos contraintes et notre subjectivité.
Pour faciliter cette relation, faut-il englober l’audiodescription dès la préproduction du film ?
Il y a des démarches qui sont faites dans ce sens là. Sur Micmacs à tire-larigot, par exemple, il y a eu un travail fait en direct avec Jean-Pierre Jeunet. Et c’était intéressant car lui-même a dû comprendre qu’il devait laisser une vraie liberté à l’audiodescripteur qui connaît son métier et qui connaît les besoins des personnes malvoyante, alors que lui voulait expliquer ses intentions comme dans un commentaire audio de DVD. Mais il a très vite compris les contraintes de cette technique et surtout que le public de l’audiovision ne recherche pas un commentaire trop riche mais juste les petites touches qui vont lui permettre de bien saisir l’action. Sandrine Bonnaire également, sur Elle s'appelle Sabine, a compris qu’elle devait se détacher de son rôle de réalisatrice et qu’elle accepte que les audiodescripteurs puissent faire une relecture de son film.
On fête les 20 ans de l’audiovision en France. Quel regard portez-vous sur l’évolution de cette approche ?
C’est devenu plus "professionnel" : des règles se sont mises en place, une charte a été développée afin de fixer les grandes lignes du métier. Ce sont des choses qui tatonnaient il y a vingt ans, et aujourd’hui on essaye de mettre en place une vraie déontologie, une vraie approche professionnelle de ce métier et une vraie formation.
Propos recueillis par Yoann Sardet
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