Parmi les cinéastes canadiens, Guy Maddin est certainement le moins connu mais aussi le plus fascinant et dérangeant, à l'image de son oeuvre. Depuis son premier film The Dead Father en 1986 jusqu'à Winnipeg mon amour, il n'a cessé de rendre hommage au cinéma des années 20 et à l'âge d'or du cinéma Hollywoodien. Ses films peuvent être vus comme une constante autobiographie de sa vie, avec des obsesions telles que l'inceste, la famille, le mélodrame, les fantômes et l'humour noir. Rencontre avec un artiste énigmatique:
Vous êtes actuellement en France pour la sortie de votre film "Winnipeg, Mon Amour" et une rétrospective de vos oeuvres organisées par le centre Pompidou. Comment abordez-vous ces deux manifestations ?
Guy Maddin: Je suis extrêmement reconnaissant à la France et au Centre Pompidou d'organiser une rétrospective de mes oeuvres. J'entretiens avec votre pays un lien particulier depuis longtemps. J'y ai écrit mes deux dernières oeuvres et j'ai eu une petite amie parisienne il y a longtemps. Nous passions notre temps au cinéma. De plus, je suis souvent en jetlag ici et ne dors pas beaucoup, ce qui semble ouvrir mon esprit pour inventer de nouvelles histoires. J'écris maintenant mes films à Paris et les tourne à Winnipeg, ma ville natale !
Dans vos deux derniers film, "Winnipeg, Mon Amour" et "Des trous dans la tête", il est beaucoup question de nostalgie, de souvenir, d'envie d'évasion et de votre mère. Qu'avez-vous eu envie d'exprimer ?
J'ai souhaité être habité par elle et ne plus cacher mes sentiments. Ma mère est une force de la nature. Elle est aussi importante que l'Everest avec en plus un volcan rempli d'amour au-dessus de la tête. C'est la première femme qui m'ait aimé et que j'aime de tout mon coeur. J'ai souhaité être honnête en la montrant sous cet aspect. Ann Savage qui m'avait profondément marqué dans Détour en 1945 l'interprète magnifiquement et je lui serai à jamais reconnaissant d'avoir accepté ce rôle.
Vous avez marqué les esprits avec "Careful", qui avait comme sujet l'inceste. Thème que l'on retrouve à nouveau dans "Winnipeg, Mon Amour". Pourquoi revenir à ce sujet 10 ans après ?
Pour Careful, il s'agissait plus d'une obsession de mon coscénariste George Toles. Ce sujet était très en vogue à la fin des années 90 mais je n'en aimais pas vraiment l'idée. Il a pourtant rapidement réussi à me convaincre en évoquant ma mère. En revanche, l'inceste dans Winnipeg mon amour est tout autre. Il résulte d'une incroyable coïncidence. Cela provient d'abord de mon souvenir: ma mère était en effet très proche de mon frère ainé qui s'est suicidé à l'âge de 16 ans. Je garde une image très charnelle d'eux. Puis ma fille a rêvé de cette relation incestueuse et m'en a fait part. C'était une belle façon de terminer le film à mes yeux.
Un genre majeur que l'on retrouve dans toutes vos oeuvres est le mélodrame.
C'est à mes yeux le genre qui permet d'aller au plus près de la vérité. Si de manière générale vous avez un tout petit peu peur de quelqu'un inconsciemment, alors dans le mélodrame vous serez terrifié par cette personne. Le mélo exacerbe les sentiments. La présence de la mère dans un mélodrame est d'ailleurs encore plus puissante qu'ailleurs. On peut le voir dans mes deux films Dracula, pages tirées du journal d'une vierge et Careful. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je vénère autant Josef von Sternberg dont les personnages féminins sont remplis de pouvoir et de douleur, en particulier Marlene Dietrich.
Y-a-t-il une méthode Guy Maddin ?
Généralement, il n'y a aucune ressemblance entre ce que j'écris et le résultat final. Vous savez, dès que vous écrivez une idée sur une page blanche, elle devient déjà quelque chose d'autre. Donc une fois le casting établi, les décors construits et le film tourné, vous vous rendez compte que le résultat est tout autre que ce que vous aviez imaginé. Je pourrais toujours essayer de faire le même film, j'obtiendrais 10 films complètement différents. Le seul film qui m'ait vraiment convaincu et qui ressemble le plus à l'idée que j'avais à l'origine est très certainement The Heart of the World. Je ne sais pas comment cela s'est produit et j'espère d'ailleurs que cela ne se reproduira jamais.
Comment voyez-vous vos films dans le futur ?
Je ne sais pas vraiment. Je ressens le besoin d'évoluer. Un de mes prochains projets aura pour cadre Internet. Ce nouveau média ressemble pour moi à un gigantesque labyrinthe. Dans ce film, le personnage principal n'agira pas en fonction de l'histoire mais la créera de toute pièce. Je souhaite par ailleurs créer de plus en plus d'installations scéniques comme j'ai pu le faire récemment avec mon film Des trous dans la tête en faisant participer le spectateur. J'ai surtout envie de plus d'interactivité avec le public.
Peter Greenaway a affirmé que le Cinéma courait à sa fin. Vous avez pourtant prouvé que l'on pouvait faire du neuf avec du vieux. Que pensez-vous de ces propos ?
J'espère qu'il a tort. Le cinéma va changer, c'est certain. Il va évoluer mais je ne pense pas qu'il soit amené à disparaître. C'est un art qui fait tout de même partie du quotidien de chacun et qui semble même vital pour l'être humain. Ce dernier a constamment besoin de s'évader et le cinéma est heureusement là pour cela. Et puis j'aime trop le cinéma pour le voir disparaitre.
L'art est pour vous une source d'inspiration majeure. J'ai donc pensé illustrer notre rencontre en vous présentant quatre oeuvres de quatre peintres différents : Anne- Louis Girodet, Caspar David Friedrich, Gustave Moreau et Edvard Munch :
La peinture d'Anne-Louis Girodet, Le Déluge, est splendide. J'aime l'idée de ce père qui porte son fils avec sa famille qui le retient. Dans mon premier film, The Dead Father, le père du héros revient à la vie pour hanter son fils. C'est un de mes thèmes récurrents. Quand un père meurt, je pense qu'il abandonne en fait toute sa famille. Mon père me manque terriblement aujourd'hui Dans mes rêves, je le vois très souvent arriver chez moi... puis disparaître par la suite.
La peinture de Caspar David Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages, fait bien entendu écho au le film le plus romantique que j'ai réalisé, Careful. L'anecdote est amusante car j'avais constamment sur ma table de travail un livre de ce peintre. J'ai même demandé à mon acteur principal Kyle McCulloch de prendre la même position, dos à la caméra en haut d'une montagne brumeuse, comme le personnage sur cette magnifique peinture.
Je suis un fan absolu de Gustave Moreau. Avant même d'avoir vu ses oeuvres, je savais déjà que j'allais l'adorer en ayant lu un livre l'évoquant. Je suis d'ailleurs allé plusieurs fois à son musée à Paris. Je me suis en fait inspiré de cette peinture, Le Triomphe d'Alexandre Legrand, pour construire le château du Comte Dracula dans Dracula, pages tirées du journal d'une vierge. Une autre peinture, Les Prétendants, , a aussi été utilisée pour la réalisation de The Saddest music in the world.
Quant à Edvard Munch, il est pour moi une très grande source d'inspiration. Il y a quelque chose de si effrayant dans ses peintures. Il arrive si bien à peindre le chagrin. Je me suis d'ailleurs inspiré de cette oeuvre, La mort dans la chambre de la malade, pour mes deux derniers films. En y réfléchissant, je pense être plus proche de l'expressionisme que du symbolisme. Je pense d'ailleurs me définir comme un mélodramatiste expressionniste ! J'aime avant tout, comme Munch, être honnête dans mes oeuvres.
Propos receuillis par Edouard Brane à Paris le 16 octobre 2009