Pour son premier long métrage Benoît Jacquot réalise "L'Assassin musicien" en 1975, d'après Dostoievski
Benoît Jacquot : Je connaissais bien l'écrivain russe Dostoievski : j'avais lu un bon nombre de ses ouvrages, j'aimais beaucoup, et ce depuis très longtemps. Je ne connaissais pas ce roman-là en particulier, et je l'ai découvert à peu près au même moment où je me disais qu'il était temps que je fasse moi-même un premier film. Jusque là j'avais eu des idées, mais que je n'avais pas menées à leur terme. Ce roman me semblait très bien venu pour faire mon premier film. Au final, il a été très remarqué et très soutenu par la critique, ce qui m'a permis d'être identifié en tant que réalisateur.
L'influence de Robert Bresson dans les premiers longs métrages de Benoît Jacquot
Robert Bresson, ça m'a beaucoup embarrassé au moment de mes premiers films. Car la critique en France, à l'époque et encore maintenant, est très curieuse des nouveaux films et des nouveaux cinéastes. Mais, en même temps, les gens, les commentateurs, les spécialistes, ont toujours besoin lorsqu'ils découvrent un film pour la première fois, fait par un metteur en scène qui réalise son premier film, de l'identifier en lui collant une étiquette, de le rapprocher à un grand nom, à un grand maitre ou à quelqu'un de connu. Pour moi ce fut Robert Bresson. Alors, j'aime beaucoup Bresson, j'ai une grande admiration pour ses films, qui ont sûrement eu une influence réelle sur mon envie et mon désir de faire des films. Mais je ne pense pas, pour autant, être un fils spirituel ou un imitateur de Robert Bresson. Donc quelque part cela m'a plus embarrassé qu'autre chose. Même si, je l'avoue, c'était très flatteur qu'on m'identifie à lui.
"Les Ailes de la colombe" (1981) d'après un ouvrage d'Henry James, marque la première collaboration du réalisateur avec Isabelle Huppert
Les Ailes de la colombe a touché un plus grand public que mes deux premiers films (L'Assassin musicien, Les Enfants du placard). Par contre, il n'a pas eu le soutien de la critique, contrairement à eux, sachant que l'aval de la critique était très très important pour ceux-ci. Pour moi cela a toujours été un peu comme ça : soit le public de mes films s'élargit et la critique énonce une déception ou une certaine réserve; soit à l'inverse, la critique soutient beaucoup le film, mais le public se fait plus rare. Je connaissais Isabelle Huppert depuis un certains temps déjà avant de faire Les Ailes de la colombe, elle avait vu mes premiers films. On se connaissait, on parlait de faire un premier film un jour ou l'autre. C'est venu presque naturellement et c'est donc le premier film que j'ai fait avec elle. Avant même d'écrire le scénario je pensais que ce serait avec elle. D'ailleurs quasiment tous les films que j'ai faits avec elle, je les ai entrepris en sachant que ce serait avec elle et pour elle.
Reconnaissance internationale avec "La fille seule" (1995)
La Fille seule est un film important parce qu'il a été montré partout, vu partout, et a fait parler de lui partout. Il a eu une reconnaissance internationale très importante. C'est à partir de ce moment là qu'on a commencé à faire des rétrospectives de mes films et où j'ai commencé à beaucoup circuler avec eux.
Une part importante laissée aux personnages féminins
La Désenchantée avec Judith Godrèche, La Fille seule avec Virginie Ledoyen ou encore Le Septième ciel avec Sandrine Kiberlain sont des films entièrement bâtis autour d'un seul personnage féminin, et donc de l'actrice qui interprète ces personnages. Ces films ont eu du succès, du coup pas mal d'actrices, dont certaines très connues comme Isabelle Huppert, Isabelle Adjani, ou encore Catherine Deneuve ont très gentiment exprimé le voeu que j'en fasse autant avec elle. Ce que j'ai fait avec plaisir.
"Sade" (2000) et "Tosca" (2001), des films économiquement importants...
Sade et Tosca sont des gros films, économiquement parlant, parce que ce sont des films qu'on m'a demandé de faire. Ce n'est pas moi qui en ait eu l'idée. Pour Sade, c'est le producteur Patrick Godeau et Daniel Auteuil qui m'ont demandé de le faire. Ça m'intéressait beaucoup donc je l'ai fait. Pour Tosca c'est le grand producteur Daniel Toscan du Plantier, décédé maintenant, qui m'a demandé de faire un film à partir de l'opéra Tosca. D'ailleurs, dans le même sens, le film Adolphe, c'est Isabelle Adjani qui m'a demandé de le faire. Cela arrive, et j'aime beaucoup faire des films qu'on me demande de faire surtout quand ça me paraît convaincant. Et, surtout quand c'est une actrice qui me le demande ! D'ordinaire, cela ne se fait pas trop. Les actrices attendent qu'on les choisissent, donc si elles le demandent, c'est qu'elles ont vraiment envie et besoin de le faire. C'est comme les rapports amoureux, il y a des hommes qui n'aiment pas draguer, ils attendent d'avoir un signe. Moi je suis plutôt de ceux là.
Parfois les films c'est aussi l'occasion de voyager...
C'est le cas des films tel que À tout de suite, L'Intouchable ou encore Villa Amalia. Quelques fois, on fait des films pour voyager avec quelqu'un qu'on aime bien, des fois cela fait des beaux films, c'est une raison suffisante.
"Villa Amalia" : l'origine
Par hasard, Pascal Quignard m'a envoyé son livre Villa Amalia, au moment où, avec Isabelle Huppert, on cherchait à refaire, au plus vite, un film ensemble. Dès les premières pages, au lieu de mettre un visage vague ou abstrait sur le personnage d'Ann à mesure que je lisais, c'est Isabelle Huppert qui m'apparaissait. Donc le film se faisait pendant que je lisais en quelque sorte. Je me suis dit que cela pourrait être le film qu'on cherchait à faire. Et on est donc allé se promené en Italie avec 60 personnes derrière nous.
Un voyage initiatique
Dans Villa Amalia, il y a quelque chose d'un peu initiatique, c'est-à-dire que c'est un personnage à qui quelque chose d'assez violent arrive, mais qui après tout est assez anecdotique. En effet, voir l'homme avec qui on vit embrasser une autre fille, cela peut être grave mais on peut s'en remettre. Pour elle, cela déclenche quelque chose qui probablement était déjà là, et qu'à cette occasion elle met réellement en oeuvre. Ce n'est pas commun de mettre en oeuvre le désir de changer de vie. C'est comme si c'était une vie imposée, et qu'il fallait la déposer pour se poser réellement.
Un film pour Isabelle Huppert
C'est le premier film où Isabelle Huppert occupe le centre à elle seule. Peut être parce qu'il fallait attendre qu'on ait fait quelques films avant pour être à ce point disponibles l'un pour l'autre, pour avoir un rapport de confiance et de complicité tel qu'on puisse le faire justement, et qu'on puisse le faire vraiment, efficacement et solidement. Et, là on avait le sentiment, tout du long, que ce qu'on faisait, on le faisait comme il fallait le faire. On avait ce sentiment instantanément. Mais, on ne savait pas où cela allait nous mener. On a découvert le film quand il a été terminé. Quand on l'a vu pour la première fois on était tous les deux, et on a été extrêmement et heureusement surpris de ce qu'on avait fait.
Propos recueillis par Flora Zaghini à Paris le 30 mars 2009
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