Allociné : "Southland Tales" sort ce mois-ci en France, le premier pays dans lequel il a été projeté il y a 2 ans. Que ressentez-vous à cette occasion ? Est-ce la fin d'un voyage pour vous ?
Richard Kelly : Oui, c'est super que le film sorte, pour que les gens puissent enfin lui donner une chance. Mais le voyage n'est jamais vraiment terminé avec un long métrage, puisqu'on le porte avec nous jusqu'à la fin de nos jours. J'ai l'espoir que l'on continuera à parler de Southland Tales pendant quelques temps, et je suis très content de son transfert en Blu-Ray, ne serait-ce qu'en terme de qualité. Mais je prévois toujours d'en monter une version director's cut, dans laquelle je pourrai remettre une partie de ce qui a été coupé après Cannes. Dans le meilleur des cas, l'histoire de Southland Tales ne fait donc que commencer.
Aviez-vous imaginé que le film puisse avoir un destin aussi chaotique ?
Je me doutais que le film serait difficile à monter et à distribuer, donc je ne suis pas vraiment surpris qu'il ait eu un destin aussi fou et tortueux. C'est ce qui arrive aux longs métrages qui sont aussi ambitieux que le mien. Mais je ne regrette rien, car c'est le genre de film qu'on ne peut faire que lorsqu'on est jeune. Par contre je pense que je ne pourrai jamais plus refaire quelque chose qui soit aussi fou, risqué et ambitieux que Southland Tales, car c'est une opportunité qui n'arrive qu'une fois dans une vie. Je suis content d'y avoir survécu, et j'espère pouvoir continuer à le promouvoir et le faire découvrir aux gens.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui vont découvrir le film, pour qu'ils l'apprécient ?
Il faut vraiment garder l'esprit ouvert, mais aussi essayer de lire le prequel paru sous forme de roman graphique : vu qu'il raconte le début de l'histoire, il permet d'avoir une approche nouvelle du film.
Pouvez-vous nous dire ce que vous avez ressenti lors de la présentation de "Southland Tales" à Cannes ?
Cannes a été une expérience à la fois positive et négative pour moi : d'un côté j'étais honoré d'y être invité, et d'être nommé pour la Palme d'Or (ce dont je serais éternellement reconnaissant envers les organisateurs). Et de l'autre, le film a reçu un accueil houleux, puisqu'il s'est fait attaquer par beaucoup de gens. Mais, retrospectivement, ça reste l'une des meilleures expériences de ma carrière et de ma vie, car nous sommes venus présenter le film à Cannes et que, même s'il a été attaqué et qu'il a fallu le remonter, c'est la vie. Il faut parfois passer par des moments difficiles.
Peut-on dire que Cannes aurait tué votre film ?
C'est sûr que ça a grandement réduit ses chances de rapporter de l'argent. Mais j'ai quand même pu y trouver de quoi finir le film, et notamment ses effets spéciaux. Donc peut-être que si je n'étais pas allé à Cannes, je n'aurai pas pu finir mon film proprement. Cannes a donc compromis sa sortie en salles, mais je l'ai pris aussi mal que bien, et je suis content que les gens continuent encore à en parler, et qu'il sorte, même si c'est juste en DVD.
Comprenez-vous les critiques qui ont été faites au film ?
Bien sûr ! Je suis au courant de tout ce qui a été dit dessus, mais je sais aussi à quel point la perception de chacun a pu changer en l'espace de deux ans. Cela peut même varier d'un festival à l'autre. J'espère donc seulement que les gens vont continuer à découvrir le film, et qu'ils l'apprécieront, car ça compte beaucoup pour moi.
La plupart des gens qui ont vu le film ont dit n'y avoir rien compris. Pensez-vous qu'il soit possible d'aimer un film qu'on ne comprend pas ?
Peut-être. C'est pour cela que j'espère que les gens garderont l'esprit grand ouvert, et qu'ils continueront à discuter du film, pour parvenir à le comprendre. Il s'était produit la même chose avec Donnie Darko : les premiers à l'avoir vu n'y ont rien compris, mais il y avait quelque chose dans l'histoire qui les a poussés à y revenir. Donnie Darko et Southland Tales sont un peu comme des puzzles, dans lesquels il faut s'investir pour tenter d'y voir plus clair. J'aimerai que les gens continuent de faire cela pour donner une chance au film.
Pourriez-vous faire votre auto-critique du film ?
C'est difficile pour moi de le faire, vu que c'est moi qui ai écrit et réalisé le film. Pour moi, il faut voir en Southland Tales un côté religieux lié à une espèce de seconde venue du Christ sur Terre, une critique de George W. Bush, mais aussi une sorte de comédie populaire. Ecrire un roman graphique m'a beaucoup aidé, puisque cela m'a permis d'élargir les histoires que je racontais dans le film. C'est aussi pour ça que j'espère que les gens les liront, pour commencer à comprendre de quoi il en retourne.