Les pirates maintiennent le cap contre vents et marées. Mais pour combien de temps encore ? En Suède s'ouvre le procès des quatre fondateurs du site "The Pirate Bay", accusés par les autorités du pays de "promouvoir les violations par d'autres personnes des lois protégeant les droits d'auteur" -les fichiers échangés en "peer to peer" ne transitant pas directement via le site- et risquent jusqu'à 2 ans de prison et de lourdes amendes.
Leader mondial du "peer to peer"
Les représentants de l'industrie du cinéma, des jeux vidéo et de la musique leur réclament une ardoise de 115 millions de couronnes (soit plus de 10 millions d'euros) à titre de dommages et intérêts. Le site, qui revendique 22 millions d'utilisateurs à travers le monde et 1 million d'utilisateurs par jour, permet en effet de rediriger ses utilisateurs vers les fichiers qu'ils recherchent sans en abriter aucun dans ses serveurs, ce qui le rend insaisissable tant sur le plan technique que juridique. Aux yeux des accusés, "The Pirate Bay" n'a donc enfreint aucune loi. C'est précisément ce qui complique la tâche de l'accusation : après deux ans d'enquêtes et la saisie par la police de 186 serveurs, le procès ne portera finalement que sur une prise dérisoire compte-tenu de l'enjeu : à peine 35 fichiers. Le verdict est attendu début mars. Mais quel que soit ce dernier, les créateurs du site ont déjà prévenu : "The Pirate Bay" ne disparaîtra pas. Et dans le cas d'une condamnation, d'autres personnes assureront la relève.
Luc Besson monte au créneau
Coïncidence ou pas, Luc Besson est monté au créneau ce week-end, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, avec un titre explicite :"Halte au piratage à grande échelle via internet !". Tout en saluant le principe de la riposte graduée (), le réalisateur appelle à sanctionner l'ensemble de la chaîne économique du piratage sur internet, accusant de "grandes entreprises françaises" d'en retirer des intérêts financiers. Le visionnage "gratuit et illicite" de films s'effectue sur des sites de téléchargement qui payent des "loyers numériques" à des hébergeurs, et se payent en contrats de régies publicitaires "se chargeant de commercialiser leurs espaces près des annonceurs". Loin de s'en tenir là, Luc Besson cite ouvertement le site "Beemotion.fr", la société Illiad via sa marque Free, et même le site PriceMinister, dont la publicité est présente sur le site "BeeMotion".
Quoiqu'il en soit, la volée de bois vert contre le cinéaste n'a pas tardée : les plus avertis lui ont fait remarquer que l'article 6.I.2 de la loi LCEN 2004, également appelée "Loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique", était déjà suffisamment clair pour que réalisateur s'épargne de comparer les hébergeurs à des "dealers de drogues". L'article stipule en effet : "Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible". Dit plus simplement, les hébergeurs ne sont pas tenus d'effectuer un contrôle à priori. Mais s'ils sont avertis, ils se doivent de vérifier la légalité des contenus hébergés, et au besoin les retirer immédiatement, sous peine de voir leur responsabilité engagée.
"Une économie du piratage en toute impunité"
Invité de l'Hebdo cinéma ce week end sur Canal +, Luc Besson a enfoncé un peu plus le clou, citant à plusieurs reprises le site BeeMotion. "Besson dénonce ouvertement beeMotion au grand jour, et a alerté Free sur notre activité, ce dernier ayant immédiatement réagi en nous sommant de stopper notre activité rapidement" explique l'un des administrateurs du site. "Nous ne savons pas encore ce que nous deviendrons, apparemment pas de problème avec la justice, ce qui n'est déjà pas mal !". Quant au PDG de PriceMinister, Pierre Kosciusko-Morizet, il répond au cinéaste dans le magazine PCImpact : "Luc Besson n'est pas sans savoir, car c'est un homme intelligent, que sur internet, on ne maitrise pas sur quel site on fait de la pub. Et s'il croit qu'on maîtrise, c'est qu'il n'a rien compris. [...] Moi, je pourrais aussi lui dire que parfois ses films, quand ils passent à la télévision, ils sont diffusés sur des postes dont les possesseurs n'ont pas payé la redevance, et lui dire qu'il est responsable !".
Pour le bouleversement de la chronologie des médias
Rappelons que Luc Besson s'était déclaré en décembre, au journal des Echos, favorable à un bouleversement de la chronologie des médias, de sorte que les films seraient disponibles juste après leur sortie en salles, dans une offre premium sur internet : les samedis et dimanches qui suivent la sortie du film, cette offre serait commercialisée au tarif de 25 à 35 euros, dégressif avec le temps. Au bout d'un certain temps, le film ne serait plus disponible sur internet, mais rejoindrait un catalogue de 500 à 1000 titres, qui serait disponible via un abonnement. Les détracteurs du cinéaste ne manqueront sans doute pas de lui opposer que le film Taken, produit par EuropaCorp et massivement téléchargé, a pourtant battu des records aux Box-Office US. Le film a en effet rapporté plus de 77 millions de dollars, soit le plus gros succès jamais enregistré pour un film français sur le sol US. C'est loin d'être un cas isolé, si l'on en juge par les cartons de The Dark Knight, Le Chevalier Noir et Bienvenue chez les Ch'tis, tous deux des records absolus au BO et massivement piratés. Ce climat tendu ne semble en tout cas pas entamer le moral du réalisateur, puisqu'il a également annoncé ce week-end qu'il tournerait un nouveau film dans le plus grand secret cet automne, mais n'a rien voulu dévoiler sur son casting ni sur son sujet.
Olivier pallaruelo avec AFP, Libération, Clubic.com, Zdnet et Le Monde