AlloCiné Séries : Ce qui est amusant dans "Merci, les enfants vont bien", c'est qu'on a toujours l'impression qu'une multitude d'évènements se passe, même si au final, il n'y en a pas tant que ça...
Bernard Yerlès : Oui, tout à fait. En plus, il y a du background maintenant. Comme cela avance tout le temps vers un but, il y a tout le temps des projets et des problèmes à résoudre. Et cela va tellement vite qu'on est pris par la folie de ces personnages et des situations. Au vu des retours du public, j'ai l'impression qu'on s'attache à eux. D'un panel qui va de la petite fille jusqu'à Jean-Pierre qui vit la crise de la cinquantaine ou Annie Grégorio, qui joue Babeth, tout le monde peut s'identifier. J'ai remarqué ce phénomène en famille et avec des amis... Je voyais que chacun s'identifiait à un personnage différent et je crois que c'est pour cette raison que ça marche. Tout le monde a son préféré !
C'est vrai que ces personnages éveillent quelque chose en nous... mais poussé à l'extrême !
Oui, c'est ça. Ils vivent la folie qu'on aimerait vivre. Ils osent l'assumer, pafois malgré eux (rires) parce que les évènements les poussent à devoir résoudre des choses incroyables. Et aussi parce qu'ils n'ont peur de rien les Blanchet... Ils ont une force en eux qui est leur solidarité familiale, l'idée du clan. Je crois qu'aujourd'hui, tout ce qui se fait sur la famille marche très fort. On est dans un monde de plus en dur, individuel au niveau professionnel et il y a de plus en plus de célibataires. On a du mal à trouver quelqu'un parce que tout le monde est de plus en plus exigeant. La fantasmatique de la famille - en quelque sorte idéale et en même temps hyper nombreuse - on en a tous le souvenir. On sait bien que nos grands-parents, nos arrières grands-parents avaient 7, 8 parfois 10 frères et soeurs ! Cela traîne dans l'inconscient collectif, alors cela plaît aux gens.
Comme un effet de nostalgie ?
Oui, la série touche quelque chose de très nostalgique dans l'inconscient des gens et, en même temps, de rassurant dans le contexte d'aujourd'hui. Dans notre monde - qui est en même temps incroyable, d'un confort absolu en toute matière - mais qui nous isole de plus en plus.
Mais, pour autant, peu de gens souhaitent une si grande famille ?
Oui évidemment (rires). C'est très lourd à assumer. Vous imaginez la vie réelle des Blanchet ? Ce serait n'importe quoi (rires). Mais curieusement - et là je parle de mon expérience personnelle - je le vis par moment ! C'est ce qui arrive avec les familles recomposées d'aujourd'hui... On le voit dans La Crise de Coline Serreau, il y a sept ou huit enfants à emmener en vacances. Mais, comme c'est le temps des vacances, on sait que ça ne durera pas, alors on assume ce côté-là ! Dans mon cas, j'emmène parfois les demi-soeurs de ma fille, issu d'un premier mariage. Aujourd'hui, dans la famille propre, il n'y a que deux enfants mais dans la famille recomposée, il y en a 5, 6 ou 7 parfois plus ! Donc, on recréé ces moments-là, mais à mi-temps ou en ¼ temps... Il ne faut pas non plus qu'il y en ait de trop (rires). En plus, on sait qu'on n'est pas seul, il y a les parents des autres, alors on peut toujours leur confier ses propres enfants à un moment donné et retrouver ce qui est essentiel aujourd'hui : ces moments pour soi, de développement personnel. On sait bien que la femme n'a plus la même disponibilité - et mentale et physique - pour assumer ce qu'elle assumait du temps de nos grands-parents...
Pour le coup, le personnage d'Isabelle échappe à cela : dès qu'un bébé arrive, elle se l'accapare !
Oui... C'est Pascale (Pascale Arbillot) qui a développé ce point. Elle s'est demandée : "comment justifier le fait d'avoir huit enfants ?" Je ne veux pas parler pour elle, mais elle a travaillé sur l'idée qu'Isabelle était une femme qui adorait être enceinte et qui adorait ce moment de la maternité. C'est un moment assez exceptionnel ce moment de la naissance, de la petite enfance où l'on a l'impression d'être en relation fusionnelle avec son enfant... On a joué là-dessus pour justifier le fait qu'ils en aient huit ! (rires)
Vous jouez tous des personnages passionnés. Cela doit être fatigant et mouvementé sur le tournage ?
Il faut une grande organisation. C'est le mérite de Stéphane (Stéphane Clavier) qui parvient à nous mettre en état de disponibilité - parce qu'il y a beaucoup de choses qui doivent se faire dans la spontanéité, parfois dans une forme d'improvisation qu'on trouve naturellement quand on est à 8 ou 10 sur le plateau. Il y a des choses qu'on invente à ces moments-là qu'on ne peut même pas imaginer... Maintenant, on commence à mieux les imaginer parce qu'on les a déjà vécus, on a désormais une mémoire de ce qu'ont été les précédents tournages. Mais, au début, c'était un bordel ! Je pense que l'homme qui souffre le plus sur le plateau, c'est le preneur de son. Un son, cela doit se prendre de manière particulière et par conséquent, ce brouhaha permanent, il est recréé totalement artificiellement. C'est très difficile d'arriver à cette mécanique-là : jouer à faire semblant qu'on est dans le bordel et dans la vie ! Parce qu'il faut en même temps laisser de la vie aux acteurs, parce que parfois, on nous remet en place alors qu' on a envie qu'on nous laisse libre. C'est aussi ça qui nous nourrit avant l'Action et le Coupez !... On se parle, on invente... Mais à un moment donné, c'est fatigant pour les techniciens, ils n'en peuvent plus parce qu'eux, ils sont en train de monter des trucs, d'écouter le chef-opérateur, le preneur de son essaie de faire un niveau et il ne parvient pas à le faire... Mais, nous, on a besoin d'une certaine dose de liberté. Et tout ça, est dans les mains du metteur en scène. Bien que Stéphane n'ait pas de famille nombreuse, il y arrive très bien.
Il faut donc être précis et spontané à la fois ?
Exactement. C'est vraiment spécifique à la comédie. C'est une musique. Parfois, il suffit d'une intonation, d'une invention... Avec Pascale, on la trouve maintenant assez naturellement. A deux, c'est plus facile à mettre en place. Mais quand on est huit, c'est plus difficile. C'est pour ça que, même chez les petites actrices, il fallait des filles qui soient capables de gérer cette musique. Elles ont bien été castées. Mais, il faut dire que Stéphane les a cherchées...
Cette saison, Jean-Pierre traverse une crise... Est-ce que cela va l'amener à tromper sa femme ?
Jean-Pierre est un fidèle de nature, il lui faudra beaucoup pour tromper sa femme. Et moins on le fait plus ça devient difficile (rires). C'est des habitudes qu'il faut prendre très tôt et si on perd un peu la main : ça devient presque angoissant ! (rires) Ce qui était intéressant dans cette crise, c'est que dans tout ce qui a eu lieu jusqu'à présent, il prenait énormément sur lui. C'est un homme de grande tempérence et de tolérance dans le cercle familial, qui a accepté à un moment donné des choses de ses filles, c'est souvent lui qui se prend un peu tout dans la tête, il y a eu aussi les écarts d'Isabelle... Bref, là on s'est dit qu'il fallait qu'il arrive quelque chose à Jean-Pierre, et qu'il ait envie de dire :"Bon, j'envoie tout balader les gars, ça va là !". On le voit dans le premier épisode, lorsque tout le monde lui reproche d'être égoïste et qu'il dit : "J'ai travaillé pendant plus de vingt ans, je pense toujours un peu à tout le monde, à tout gérer... alors maintenant, qu'on me laisse faire un peu de plongée et regarder les poissons ! J'ai quand même le droit de prendre ce temps-là !" Mais le clan ne lui permet pas ça, on ne le comprend pas... J'ai trouvé ça très chouette de lui donner cette chance-là. Et cela donne lieu en plus à des situations assez comiques. Rencontrer des professeurs de yoga improbables qui donnent des cours de natation, de plongée... et voir Jean-Pierre se dire :"Ben moi aussi j'ai envie de faire le poulpe et le flamant rose" (rires)... Il revient à ses anciens amours. Il a dû faire du Taï Chï quand il était jeune. Et il a dû arrêter parce que, justement, il avait d'autres choses à faire. Avec ses enfants, il ne devait plus avoir le temps. En fait, Isabelle le retrouve un peu comme elle l'a aimé au début...
Il n'y a d'ailleurs qu'Isis qui le soutient... Mais, en même temps, on sent que ce n'est qu'un alibi pour éviter d'avoir à s'occuper de ses propres problèmes ?
Oui, c'est tout à fait ça. C'est ce que j'aime aussi dans cette série. Les scénaristes parviennent toujours à inventer des choses qui, "psychanalytiquement", tiennent le coup, si on peut dire. Les choses sont toujours reliées et ce n'est pas par hasard. Elles sont très attentives à trouver les comportements justes de tous ces personnages. Ces scénaristes n'étaient pas là lors de la première saison, mais elles sont arrivées en cours de deuxième saison... Et ce qui est vraiment bien, c'est qu'elles nous connaissent bien et qu'elles aiment ces personnages.
Cela apporte t-il une touche différente de n'avoir que des femmes au scénario ?
Sûrement... Cela fait un contrepoint à Stéphane qui suit, de toute façon, l'écriture des scénarios. Cela fait une bonne dynamique... Je pense qu'il faut faire plus confiance à cette génération-là de jeunes scénaristes. Elles sont nourries de Friends, de toutes ces séries qui nous viennent de l'autre côté de l'Atlantique et donc, inévitablement, on va devoir s'inspirer puisque c'est devenu nos référents à nous. Ce serait un peu dommage de faire semblant que cela n'a jamais existé... Le tout, c'est de garder en même temps notre touche. Et Merci, les enfants vont bien ! le fait bien... On reconnaît vraiment la famille française et en même temps, il y a de la modernité. Il y a le ton, il y a la répartie, ça va vite...
Vous avez d'autres projets ?
En juin (Cette interview s'est déroulée en février 2008), je commence le tournage d'une série en Belgique qui s'appelle A tort ou à raison. C'est le pilote d'une série pleine d'ambition et de modernité. Et là, ça avance, ça commence à se décanter un peu. Et en Belgique, comme il n'y a aucune pression de quoi que ce soit, c'est une série très libre qui va gérer des affaires judiciaires qui ont existé, avec des éléments de fiction, qui mettent en jeu des politiciens, des hauts fonctionnaires, des policiers, des journalistes. Il y a une liberté de ton et je suis ravi que cela se fasse. Cela pourrait même s'exporter...
Interview réalisée par Raphaëlle Raux-Moreau au 10ème Festival de Luchon, en février 2008