AlloCiné : Vous avez tourné votre premier film, "Boxing Helena", en 1993. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de faire "Surveillance" ?
Jennifer Chambers Lynch : En réalité, je n'ai pas attendu. Après Boxing Helena, j'ai tourné quelques clips vidéos avant d'écrire un livre. Ensuite, je suis tombée enceinte et j'ai réalisé que je n'allais pas rester avec le père, mais je voulais garder l'enfant. Je me suis donc totalement focalisée sur l'éducation de ma fille. Puis, j'ai eu un très grave problème au dos à la suite d'un accident de voiture. Quand finalement j'ai été mieux, j'ai su que je voulais refaire un film mais je voulais attendre que ma fille soit assez âgée pour qu'elle puisse toujours m'accompagner sur le plateau. C'est à ce moment que Surveillance est né. Et là, j'ai réalisé : quinze ans ! Et maintenant je suis vieille, j'ai quarante ans ! (rires)
Vous n'êtes pas vraiment tendre avec les personnages de policier dans le film. Quelle est votre opinion sur la police americaine ?
J'aime la police américaine. Je pense qu'elle n'est pas différente des polices allemandeq, anglaises ou françaises. Ils marchent tous sur une ligne très fine entre faire le bien ou le mal. Même pour les meilleurs d'entres eux, si vous leur donnez une arme, que vous leur apportez du pouvoir, vous ajoutez un petit peu de drogue, un petit peu de crime... C'est très délicat. Ces deux policiers sont très jaloux de ceux qui attrapent des tueurs, etc... Ils deviennent l'exemple extrême de ce qui peut arriver si on est toujours seul, au millieu de nulle part, avec du pouvoir. Ce n'est pas vraiment la route à suivre.
"Surveillance" est un film sur le contrôle. Est-ce une réaction envers le fait que les gens sont de plus en plus surveillés, observés... ?
Un petit peu, oui. Je ne pensais pas forcément à Big Brother quand je l'ai fait, mais je pensais à une étude qui a été faite, il y a quelques années. Aujourd'hui, il y a quelque chose de fascinant autour du regard. Les gens sont observés mais ils le savent et, eux-mêmes, observent également. Il n'y a plus de naïveté autour du regard. C'est ainsi que l'idée qu'un enfant ne voit pas plus que, un agent du FBI par exemple, est intéressante. Ca me fascine totalement. Aux Etats Unis, chaque personne est filmée dix-sept fois par jour au minimum ! Dans les réverbères, sur les routes, quand vous vous baladez seulement dans une rue. Il y a tant de caméras partout. C'est dingue ! Mais les gens ne se comportent pas différemment. Ca ne les rend pas meilleurs. Tout le monde s'en fout.
"Surveillance" multiplie les points de vue. Un même incident est montré et raconté de manière différente par chaque personnage. Quelle était votre intention avec une telle structure narrative ?
J'ai une fascination pour la notion de point de vue. Vous savez que deux personnes sortent ensemble. Après leur rupture, on leur demande a quoi ressemblait leur relation. Ils diront des choses totalement différentes. C'est comme si vous aviez un dîner avec dix personnes, chacune aura une opinion différente à son propos. Même si tout le monde est d'accord sur le fait que c'est un bon repas, il est différent pour chacun. C'est ça qui me stupéfait. C'est comme si tout le monde avait sa propre expérience individuelle et c'est amusant de jouer avec ça. Très amusant.
Malgré tous ces points de vue, la vérité semble toujours échapper aux personnages ainsi qu'aux spectateurs. Pourquoi la vérité semble aussi difficile à cerner ?
Parce qu'elle l'est ! (rires) D'expérience, je sais que les choses que nous cachons sont celles qui correspondent à ce que l'on veut le moins être. On pense tous que la pire chose que l'on puisse admettre c'est que l'on est humain. Parfois, nous avons raison et parfois tort. Il arrive que l'on échoue, et on va retenter. Tout ça, c'est cool, mais personne ne veut l'admettre et ne veut dire "Je suis humain". C'est pourquoi c'est si dur.
Vous dites avoir eu l'envie de devenir réalisatrice à douze ans lorsque vous avez vu votre père poser sa caméra à un endroit différent de celui que vous auriez choisi. Avec un pitch de départ assez proche de "Twin Peaks", pourrait-on dire que "Surveillance" est ce que vous auriez fait de "Twin Peaks" ?
Vous pouvez, mais je ne sais pas si vous auriez raison. Ce que les gens voient de similaire, c'est la petite ville, le FBI et les policiers,... Je ne sais pas. Je pense que j'ai été très chanceuse d'être impliquée à ce point dans Twin Peaks... Vous pouvez dire ça, je ne sais pas si je le dirais, mais vous pouvez.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre prochain film, "Nagin" ?
Quelques mots... Musical, comédie, histoire d'amour, action, aventure, romance... film de créatures ! C'est un petit peu d'absolument tout. Je n'ai jamais rien fait avec autant d'action, d'effets spéciaux. C'est un film totalement indépendant et dans une langue étrangère. Cela va être intense !
Y a-t-il une date de sortie de prévue ? Il ne faudra pas attendre encore quinze ans ?
Ce sera en 2009. Je n'en sais pas plus pour l'instant mais il ne faudra pas attendre quinze ans, je le promets ! (rires)
Propos recueillis le 24 juin 2008 par Rémi Labé