Doillon : "Je lâche pas l'affaire !"

A partir de photos de ses films, l'auteur têtu du "Premier venu" revient sur son oeuvre, et parle de son travail avec les comédiens, de Gérald Thomassin à Judith Godrèche en passant par Juliette Binoche.

Les Doigts dans la tête (1974) / Olivier Bousquet et Christophe Soto

Ah, on passe au noir et blanc... C'est mon premier vrai film. Je ne veux pas dire que L'An 01 n'était pas un vrai film, mais il n'y avait pas vraiment de mise en scène ni de travail avec les acteurs. Là, c'est la première fois que j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec les acteurs. Sans école de cinéma, sans méthode, j'étais directement avec ces quatre-là : Christophe était musicien, Olivier Bousquet tentait d'être acteur tout comme Roselyne Vuillaume. La petite Suédoise, Ann Zacharias, n'avait jamais joué. Un drôle de mélange... Je me suis beaucoup amusé avec eux, et j'ai commencé à être un peu exigeant. Sur les acteurs, il y a quelque chose qui existe vraiment à l'écran il me semble. Je me souviens avoir rencontré Pialat sur un trottoir. Il me dit : "J'ai vu votre film. Les comédiens sont formidables". J'étais flatté, même s'il n'avait pas sa stature d'aujourd'hui. Et il ajoute : "Mais je vais aller le revoir. Je vais sans doute trouver les petits défauts." Ca m'a fait beaucoup rire, cette idée d'aller revoir un film pour y voir des faiblesses.

Sans école, sans méthode... Quelque chose existe à l'écran

Dans mes films, la société est souvent de l'autre côté du mur, mais elle est là, il suffit d'entendre les personnages. Pour jouer la mère du Petit criminel, pas mal alcoolisée, dans la misère, avec son vocabulaire à elle -mille détails qui sont de la plus haute importance pour moi- je n'aurais pas eu l'idée d'aller chercher un comédien professionnel. Idem pour le père de Costa dans Le Premier venu. Ce que fait Jany dans le film, quel comédien peut le faire ? Cette réalité-là, cette misère-là, ce corps en souffrance... On peut trouver des corps en souffrance (on parlait de Philippe Léotard), mais la souffrance qui tient à cette classe sociale-là... D'ailleurs, je ne peux pas voir certains films, qui utilisent des acteurs professionnels. Je pense à des films belges de gens connus... Là, je décroche. Moi, j'ai besoin de croire fortement. Il ne faut pas qu'on fasse "comme si" c'était un vrai prolo. Ces conventions-là, je ne les gobe pas du tout.

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