Jeph Loeb : Nous ne sommes pas bloqués sur l'idée qu'un volume de la série doit nécessairement être composé de 23 épisodes. Le volume 2 pourrait très bien comprendre 10 épisodes. Nous mettons à l'épreuve la narration et la réaction du public, tout comme peut le faire une série comme Les Soprano. Chaque volume de Heroes comprendra autant d'épisodes qu'il le faudra pour raconter une histoire, un volume pourra donc être composé de 18, de 10 ou même de 3 épisodes. Là encore le network nous a permis d'explorer cette voie, même si c'est déstabilisant pour eux. Après le pilote, les scénaristes se sont réunis autour de Tim pour parler de ce qui allait se passer ensuite, dans l'épisode 2. Dans la plupart des cas, nous aurions discuté de ce qui se serait passé quelques jours ou quelques mois plus tard, souvent la notion de temps est abstraite en télévision, mais Tim a posé une question provocatrice : "Que se passe-t-il ensuite, dans les 5 minutes suivantes ?" Avec cet angle de narration, cela rendait plus évident la manière de faire avancer l'histoire. D'autre part, cela permet d'aborder différemment les cliffhangers. Quand vous savez que vous n'avez comme marge qu'une ou deux heures, cela laisse la possibilité de suspendre l'intrigue soudainement, de vraiment donner de l'ampleur au concept "A suivre..." et de faire en sorte que le public ait réellement envie de poursuivre.
La figure du père est un thème central de la série. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tim Kring : C'est le thème idéal pour le drame. La plupart d'entre nous avons des problèmes avec notre père ou notre mère. C'est le schéma classique : se définir à travers ses parents.
Jeph Loeb : Quand vous regardez attentivement les contes et les mythes classiques, vous vous apercevez que ce sont avant tout des quêtes d'identité. Qui nous sommes-nous ? Que sommes-nous appelés à devenir ? ? Qui est notre modèle ? Tout naturellement, la personne la plus proche servant d'exemple est notre père ou notre mère, les gens qui nous ont élevés. Trouver son identité passe par là et c'est un thème dans lequel le public se reconnaît et qu'il peut comprendre. Tous autant que nous sommes, à un moment donné, nous nous sommes posés ces questions. Pour en revenir plus précisément à Heroes, l'une des questions centrales est : est-ce que je suis défini par mes pouvoirs ? Les scénaristes ont d'abord essayé de comprendre et de connaître les personnages et de voir comment leurs pouvoirs allaient les bouleverser. Nous discutons beaucoup de leur identité, de leurs origines, de leurs problèmes, de leurs familles afin de définir, de trouver leur pouvoir. C'est bizarre parce qu'ils ressemblent parfois plus à des handicaps qu'à des pouvoirs ! Si vous deviez vous réveiller aveugle, vous passeriez par tous les états que les personnages ont vécu : le déni, puis la volonté de trouver un traitement, ensuite l'acceptation et enfin la prise de conscience des nouvelles possibilités. Voler ou être capable de lire les pensées est de l'ordre du fantasme. Mais quand vous y réfléchissez un peu, si vous deviez vous réveiller demain matin avec la capacité d'entendre les pensées des gens, vous penseriez à coup sûr que vous êtes fou, tout simplement parce que dans le monde réel la télépathie est impossible. Hiro, qui connaît l'univers des comics, de Star Trek et La Guerre des étoiles, est le plus disposé à accepter ses pouvoirs parce qu'il connaît et comprend ces codes. A l'inverse, le personnage de Parkman (ndlr : joué par Greg Grunberg) est complètement étranger à cet univers. Lorsqu'il commence à entendre des voix dans sa tête, il n'a qu'une seule explication : la folie.
Tim Kring : La relation entre Claire et son père est essentielle pour nous. Beaucoup d'adolescents s'imaginent que leurs parents ne sont pas ce qu'ils prétendent être ou que ces derniers leur mentent, ou que la planète entière leur ment. Dans le cas de Claire, c'est effectivement le cas. En outre, parce que nous n'avons pas eu d'histoire d'amour courant sur toute la saison, cette relation a en quelque sorte rempli ce vide. Lorsque vous analysez leur relation, vous remarquez qu'elle en a tous les éléments : deux personnes ne pouvant être ensemble trouvent un moyen d'y parvenir en s'acceptant. Pour nous, cette relation père-fille a été très complexe.
Y aura-t-il justement des histoires d'amour durant la saison 2 ?
Tim Kring : Oui nous sommes déterminés à ce qu'il y en ait dans la saison 2.
Jeph Loeb : Oui, ça sera le nouveau pouvoir secret !
Tim Kring : En analysant la saison 1, nous avons compris qu'il y manquait un peu de romance.
Comme vous l'avez dit, Hiro est le personnage le mieux préparé pour devenir l'un des "Heroes" et c'est un "geek". Pensez-vous que les geeks soient les personnes les mieux préparées pour devenir des super héros ?
Jeph Loeb : Etant moi-même un "geek", j'espère bien (rires) ! Hiro est un mélange de beaucoup d'éléments. Tout d'abord il plaît au public parce il est comique, or il n'y a pas beaucoup de comédie dans la série. Masi Oka a beaucoup mis de lui-même dans ce personnage, cela nous a beaucoup aidé. Il est vrai aussi que la série donne toute son importance à cette culture des comics et de la télévision.
Tim Kring : Hiro est sans aucun doute le personnage qui accepte le plus facilement ses nouvelles capacités. Il n'est pas passé par toutes les étapes qu'ont connu les autres : la mort, le déni, la colère, le deuil... Plutôt que de se réveiller en se disant que cette évolution est la pire chose qui peut lui arriver, il réalise que c'est une chance et la réponse à tous ses problèmes. Hiro se sentait emprisonné dans sa vie, travaillant dans un véritable océan de bureaux au 23ème étage d'une tour à Tokyo. Cette capacité à se téléporter est comme un rêve qui se réalise.
Jeph Loeb : A son réveil, chaque personnage pense être le seul à avoir un pouvoir. Le personnage de Mohinder Suresh (ndlr : joué par Sendhil Ramamurthy) prend alors toute son importance. Il est celui qui va guider le public. Le phénomène ne concerne pas simplement un personnage, il est mondial. Quelqu'un se réveillant à Tokyo avec de telles capacités ne s'imagine pas une seule seconde que le phénomène similaire se produit à San Francisco.
Tim Kring : Ce qui est excitant pour le public c'est de découvrir comment leurs chemins vont se croiser. Comment Hiro va être amené à rencontrer Claire ? Comment un habitant de Tokyo va-t-il croiser la route d'une pom pom girl du Texas ? Le destin va se charger de cette rencontre improbable.
Au fur et à mesure de la saison, le côté sombre des pouvoirs, des capacités prend de plus en plus d'importance. Etait-ce intentionnel ?
Tim Kring : Il s'agit juste d'une progression logique. Si vous vous réveillez avec de tels pouvoirs et que vous avez une nature profondément bonne, vous n'utiliserez ces pouvoirs que pour faire le Bien. Mais si vous vous retrouvez dans une situation désespérée ou que vous devez lutter contre la pauvreté ou la faim, vous allez peut-être utiliser votre capacité à traverser les murs pour aller voler de l'argent. C'est avant tout une question de libre-arbitre, de choix.
La série a été critiquée pour sa violence. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Tim Kring : C'est un sujet dont on a beaucoup parlé. Nous avions toujours conçu cette violence dans un esprit visuel proche de celui des comics et des romans graphiques. Mais avec un tel sujet, si vous n'incorporez pas de la violence, les enjeux pour les personnages perdent en intensité. Nous en avions donc besoin, mais sans jamais imaginer que tant de familles suivraient la série (rires) !
Jeph Loeb : Notre intention n'a jamais été de terrifier les téléspectateurs. Lorsque l'on fait une série comme la nôtre, on ne sait jamais si le public va apprécier, tout ce que l'on peut faire c'est espérer que ce sera le cas. A l'époque de la diffusion du premier épisode, nous en avions déjà mis 8 en boîte. C'était alors un peu difficile d'anticiper la réaction du public, mais je crois que les téléspectateurs comprennent bien que notre intention n'est pas de les horrifier.
Tim Kring : Même si effrayer le public fait partie de ce qui excitant dans la série. Donner la chair de poule et effrayer font partie de l'expérience.
Propos recueillis par Thomas Destouches le 20 avril 2007
lors du 15ème Festival Jules Verne
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