Allociné : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Pascal Bonitzer ?
Marina : Il m'a contactée pour coécrire son film, je ne le connaissais pas. Je ne suis pas arrivée sur un terrain vierge, il y avait un début de 30 ou 40 pages avec les personnages principaux, les élements principaux, les thèmes du film, à l'état embryonnaire. Je l'ai aidé à développer ces éléments, à leur faire prendre corps dans une histoire complète avec un dénouement, mais je n'ai pas contribué à les inventer. A les réinventer peut-être, en les redéfinissant. Pascal m'a dit en même temps qu'il souhaitait que j'interprète un des personnages, qui existait déjà. A partir de là, je n'ai pas souhaité toucher à ce personnage, parce que je ne pouvais pas être juge et partie. En tant que future interprète de ce rôle, je me sentais incapable de l'écrire, pour des raisons d'honnêteté. Je n'avais pas envie de me servir, ni de me desservir par peur de me servir. Je préférais qu'il le développe tout seul, même si on a bien sûr discuté de la façon dont le personnage intervient dans l'histoire. Il est possible que nos rapports aient nourri la façon dont il l'a développé, mais c'est un personnage que je n'ai pas écrit. J'ai plus travaillé sur les autres personnages, mais toujours à partir des éléments qu'il avait écrits et qui étaient comme les indices du film à venir.
Avez-vous immédiatement accepté le rôle ?
Oui, bien sûr. J'aime beaucoup jouer, et je n'en ai pas souvent l'occasion. A la limite, cette question allait beaucoup plus de soi que celle de la coécriture, qui m'a posé beaucoup plus de problèmes : j'ai peu d'expérience de scénariste, j'ai eu peur qu'il y ait un malentendu, peur de ne pas être à la hauteur de ce qu'il cherchait. Ne me sentant pas une véritable scénariste, je ne sentais pas forcément à même d'être une véritable coscénariste. Je savais qu'il était un peu bloqué sur ce début, mais je n'avais aucune idée de mon aptitude réelle à pouvoir le libérer. Et puis après, je me suis dit que c'était un petit peu dommage de m'entraver pour des inhibitions, et que donc j'allaIs quand même essayer. J'ai été ravie de voir que ça a fonctionné.
Un spectateur qui a vu les films que vous avez signés dans le passé aurait pu penser que vous avez écrit le personnage d'Anne, qui ne semble pas si loin de votre univers.
Je sais, on s'imagine tout de suite que c'est moi l'ai écrit. Mais c'est un cliché. On s'imagine que la noirceur et la dureté viennent forcément de moi. Alors que cette noirceur et cette dureté, telles qu'elles sont représentées dans le film, sont entièrement celles de Pascal. Ce que je dis n'est pas péjoratif : il est habité par cette morbidité, cette violence qui ne s'expriment pas de la manière que chez moi. Et puis il était très important pour moi de pouvoir dire ensuite, par exemple dans les interviews, que je n'ai contribué en rien à l'écriture de mon personnage : j'étais vraiment là pour écrire un film, pas pour m'écrire un rôle. En plus, il désirait que j'interprète ce personnage, il était porteur de cette idée, et je pense que je n'aurais rien pu apporter de plus. Peut-être que mon propre fond, mon propre caractère (ou ce que lui projetait) a nourri son imagination, mais je me suis tenue à l'écart de ça.
Votre film, "Dans ma peau" (photo ci-contre) et ceux que vous avez écrits avec François Ozon apparaissaient un peu comme en rupture avec le cinéma d'auteur français classique, très dialogué... que peut incarner par exemple Pascal Bonitzer. Votre collaboration pouvait donc surprendre.
Quand Pascal est venu me voir pour écrire, il m'a dit que ce qui l'avait motivé, c'est qu'il avait beaucoup aimé mon film, et qu'il avait été particulièrement frappé par une scène de repas assez longue, extrêmement dialoguée. Il avait trouvé les dialogues assez fins, pas forcément en eux-mêmes comme une chose qu'on aurait pu lire, mais comme une chose cinématographique, c'est-à-dire qu'ils fonctionnaient, dans un décalage, avec l'image et ce qui se passait dans l'action. Il m'a donc choisie pour des qualités avec lesquelles il se reconnaissait des affinités, pas pour une recherche de contraste.
Le film repose sur une série de face-à-face, un peu comme des expériences chimiques : mettons ensemble les éléments A et B, B et C, etc. et voyons ce qui se produit...
... si ça explose, par exemple ! (sourire) Oui, on peut dire ça rétrospectivement. Les analyses rétrospectives sont souvent plus fines et vous font remarquer des choses que vous n'avez pas vues. Quand vous écrivez, c'est beaucoup plus simple. Nous, on n'a jamais pensé en terme de chimie, Mais ce n'est pas faux, ça peut s'analyser comme ça : que va-t-il se produire ? Répulsion, attraction, fusion, corruption de quelque chose...
Le choix des prénoms des deux femmes, Anne et Diane, n'est pas dû au hasard...
Ce sont des prénoms qui appartiennent à Pascal. J'ai remarqué la consonance, je ne l'ai jamais interrogé là-dessus. On peut considérer qu'elle a été relayée par un choix de types physiques qui ne sont pas opposés, contrairement à son désir initial qui était d'opposer une femme blonde à moi qui suis brune. Il a finalement été plus intéressé par cette proximité troublante : il y a une affinité physique, même si Géraldine et moi on ne se ressemble pas. Je suis d'accord avec vous comme spectatrice, mais ça me dépasse totalement. D'autant plus que contrairement à certains auteurs, je n'arrive pas à penser à un acteur quand j'écris. Ca ne me nourrit en rien, donc j'en fais abstraction. Sinon j'aurais l'impression de foncer droit dans des chemins qui ont déjà été ouverts par d'autres films, de reprendre des profils qui auraient été dessinés par d'autres, et qui appartiendraient à d'autres univers. L'ensemble de ce que les acteurs ont apporté, c'est quelque chose dont je ne peux pas parler parce que ça appartient vraiment à la mise en scène. Mais cette part est énorme, surtout que c'est un film qui avait vraiment besoin d'être incarné et où la richesse des comédiens était capitale. Certains films fonctionnent sur des mécaniques de situation, parfois ce sont des films d'images. Chez Pascal et particulièrement dans ce cas, le film ne peut pas prendre son sens hors d'une interprétation et d'un apport singulier qu'on ne peut pas anticiper à l'écriture. C'est mis en place par le casting et le filmage.
Où en est votre projet de deuxième long métrage comme réalisatrice, "Ne te retourne pas" ?
Le film est en cours de financement. C'est un petit peu long. Le scénario est écrit depuis assez longtemps. Ce qui prend du temps, c'est de rassembler de l'argent, parce que c'est un film d'auteur, même si selon moi il a un réel potentiel populaire. Aujourd'hui, c'est très difficile de faire un film assez ambitieux en excédant les 2 ou 3 millions concédés à un tournage DV -ce qui ne correspond pas du tout à mon film, qui demande des effets spéciaux, et une certaine qualité d'image.
Jusqu'à présent, vous avez surtout été actrice dans des films que vous avez écrits. Souhaiteriez-vous jouer la comédie pour d'autres ?
J'adorerais, mais je n'ai pas eu tant de sollicitations. J'ai aussi refusé des propositions qui étaient nées de malentendus. Systématiquement, on me proposait des rôles un peu trash, avec la fille très sexuelle, pipi-caca, très violente, très hystérique. C'est un créneau, un univers artistique dans lequel je ne me reconnais pas en tant que personne et ça ne m'intéresse pas en tant qu'actrice. D'autant que ce que j'ai pu faire dans mes propres films n'a pour moi rien à voir avec le trash, l'hystérie, la violence... Il y a un malentendu : je ne peux pas jouer la folle de service, pleine de sang et sexuellement à fleur de peau. Je n'ai pas eu beaucoup de propositions allant dans un autre sens. Mais j'adore jouer. A chaque fois que je peux le faire, c'est un vrai plaisir, qui n'a rien à voir avec mon travail. Ca me permet au contraire de me libérer de mon travail, de me mettre au service d'autre chose, de m'exprimer d'une autre manière, et ça m'est très profitable voire nécessaire. Après, ce sont les occasions. C'est ça, le métier d'acteur : vous dépendez des propositions des autres. Pour l'instant, elles n'ont pas été très fréquentes, ou alors pas très attirantes. Mais j'aimerais continuer à jouer pour les autres. Je n'ai pas envie de jouer dans mes propres films. Je l'ai fait pour le premier -c'était pour ce rôle-là, ce film-là-, mais je n'en ai plus envie.
Y a-t-il des cinéastes avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Beaucoup de choses pourraient m'intéresser. Mais c'est d'abord un rôle qui me plairait, ensuite une rencontre, et le désir que le réalisateur a de moi. Je n'ai pas forcément à prendre en charge l'adhésion au film lui-même. Ca peut paraître très égoïste, mais ce qui m'intéresse, c'est le personnage, et ce que je peux faire à l'intérieur du film en tant qu'actrice. Après, tout est ouvert.
Propos recueillis le 16 novembre 2006 par Julien Dokhan