De Monahan à "Infernal affairs"...
Martin Scorsese : J'ai bien peur de vous livrer une réponse très ennuyeuse, mais ce qui m'a attiré en premier dans le projet des Infiltrés, c'est bel et bien le scénario de William Monahan. C'est un Américain de souche irlandaise, et j'ai été fasciné par la manière dont il évoquait l'attitude de ces gens, leur fatalisme aussi bien que leur sens de l'humour. Par la suite, il a été très intéressant de travailler sur la structure du long métrage coréen Infernal affairs. Je n'avais véritablement jamais travaillé sur une structure scénaristique aussi complexe auparavant. Et puis j'avais l'opportunité de travailler sur des personnages aux couches et aux sensibilités multiples, et j'ai sauté sur l'occasion.
Etre un infiltré...
Leonardo DiCaprio : Pour moi, Les Infiltrés est comme un nouveau départ dans ma carrière. Je n'ai pas en moi quelque chose de violent. J'ai trouvé intéressant de jouer ce personnage. Il est vulnérable, solitaire, plein de bonnes intentions et en même temps, il ne peut échapper à son passé. C'est quelqu'un qui essaie toujours de faire ce qui est bien, juste. Il tombe dans l'Enfer, et il va essayer de s'en sortir, mais il va réaliser petit à petit combien c'est un processus complexe. Tout le monde ment, il ne faut se fier à personne. Le travail sur Les Infiltrés était très différent de celui sur Aviator. Aviator, c'était un seul et même film. Les Infiltrés, c'est presque deux films différents, je devais sans arrêt savoir ce que faisait le personnage de Matt Damon. Je faisais partie d'un gigantesque puzzle orchestré par Martin Scorsese, et je devais essayer d'être en raccord permanent avec l'autre film, l'expérience de Matt Damon que je ne connaissais pas.
Sur "le Ground Zéro de la moralité"
Martin Scorsese : Je ne sais pas si j'étais intéressé par la notion de perte d'identité. J'étais plus intéressé par cette ligne entre trahison et confiance. J'ai essayé de dépeindre un monde où il n'y a plus de frontière entre le Bien et le Mal, ou cette ligne est floue, effacée. Il n'y a finalement pas de Mal, puisqu'il n'y a pas de Bien, et on sait que le Mal existe par le Bien. Dans ce film, nous sommes sur le Ground Zéro de la moralité, et le but est d'essayer de se reconstruire, de recréer son identité morale.
La relation Scorsese / DiCaprio
Martin Scorsese : Il n'y a pas eu de plan précis, pas une quelconque décision de tourner trois films d'affilée avec Leonardo DiCaprio. Entre nous, je pense simplement qu'il y a une affinité, une sensibilité semblable. Je ne vois pas notre travail comme trois films, mais comme un seul et même grand film réalisé depuis six ans. Je ne retire de toutes ces années de travail qu'une chose : on a beau travailler sur tout le côté cinématographique, avec tout ce que cela comporte au niveau technique, le seul véritable outil qui compte à mes yeux reste l'acteur. Alors quand j'ai une relation aussi privilégiée avec un acteur, avec Leonardo en l'occurence, j'essaie d'explorer au maximum cette relation. Je place toutes mes énergies sur le relationnel à l'acteur, c'est ce qui m'intéresse vraiment.
Scorsese par DiCaprio
Leonardo DiCaprio : J'ai grandi à Los Angeles et même si ça fait cliché de dire ça, c'est la vérité : tout jeune acteur à Los Angeles n'a qu'un rêve, c'est de travailler avec Martin Scorsese. C'est presque une blague entre potes de se dire : "Un jour, je travaillerai avec Martin Scorsese !" J'ai grandi en regardant ses films, je suis un fan absolu. Je sais donc que j'ai une chance énorme de vivre ce que je vis aujourd'hui. J'ai beaucoup appris de notre relation de travail, c'est quelqu'un qui va toujours vers l'authentique, c'est un "bullshit detector", un détecteur de conneries. Avec lui, on est plus libre dans son jeu, dans son rapport avec le personnage. Il a fait avec moi ce qu'il a fait avec Daniel Day-Lewis et Jack Nicholson. Avec lui, on peut se laisser aller, sonder plus loin nos personnages, en totale confiance. Martin Scorsese nous rend les meilleurs comédiens possibles, et ce jusqu'à la table de montage.
Jack Nicholson par DiCaprio
Leonardo DiCaprio : Jack Nicholson a peut-être cette fausse image du type qui débarque sur le tournage, qui s'amène avec sa grosse voix, et hop, qui joue, c'est naturel ! Mais non, c'est un acteur qui travaille comme un forcené, toujours autant à ce stade de sa carrière. Jack Nicholson est toujours dans l'authentique et dans le professionnalisme, avec ces personnages hauts en couleurs, dingues, complexes, c'est toujours un "tour de force" lorsqu'il joue ! Sur le tournage, on a intérêt à venir préparé pour jouer avec Jack. Si on est pas sûrs de nous, devant ses improvisations, la manière dont il joue avec les accessoires, avec son personnage, on est morts ! On a intérêt à être réactifs. Pour mon personnage dans Les Infiltrés, mais aussi pour les autres personnages, il est un catalyseur, il est la force sur et contre laquelle se reposer pour survivre. A titre personnel, j'ai immédiatement saisi l'essence de mon personnage lorsque j'ai joué ma première scène avec Jack. Il m'a instinctivement inculqué la peur ressentie par Billy Costigan.
Propos recueillis par Clément Cuyer
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