Avez-vous un épisode préféré ?
"Dans la peau d'un autre" (4.06), sans le moindre doute, John Glover et Tom Welling y sont incroyables. Le thème de l'épisode avait déjà été vu mille fois mais la façon dont les scénaristes l'ont traité est exceptionnelle (là c'est la scénariste qui parle), c'était au bon moment, avec les bons personnages et des acteurs au sommet de leur art. Je me rappelle de John Glover qui avait un regard tellement apeuré, on aurait dit un petit garçon alors que d'ordinaire il est tellement glacial, c'était une première pour le personnage de Lionel Luthor, j'ai été soufflée. Et Tom Welling était, de nouveau, excellent dans le rôle du méchant. Sinon, j'aimais bien les épisodes avec le principe du "Freak of the Week" comme l'épisode "Corps de Glace" (1.05).
Vous souvenez-vous d'un moment particulièrement difficile à adapter ?
Dans l'épisode intitulé "Les Trois Sorcières" (4.08), il y avait du latin et j'ai eu des difficultés parce qu'en version originale, les comédiens parlaient latin mais avec une sorte d'accent italien, c'était assez étrange. Et en plus, je n'avais pas la transcription du dialogue latin. Le retranscrire à l'oreille aurait été trop aléatoire (surtout avec l'accent exotique que les comédiens américains avaient choisi !). J'ai dû faire appel à un professeur de latin pour qu'elle m'aide à comprendre, et une fois l'adaptation de ce passage terminée, j'ai dû lui demander de me le réécrire entièrement en phonétique sur une page séparée pour que les comédiens (qui ne connaissent pas tous le latin) puissent le prononcer le plus justement possible, puisqu'il leur était impossible de se fier à ce qui était dit en anglais. Ce professeur, qui a vu l'épisode diffusé, a trouvé le résultat final très bien. Vous voyez, quand on fait ce travail on a toujours des surprises. Cela fait partie des raisons pour lesquelles cela prend du temps, vous serez toujours confronté à quelque chose que vous n'avez jamais vu et quand cela se présente, il faut faire des recherches pour trouver des solutions. J'avais déjà adapté des films en d'autres langues (italien, allemand, norvégien, suédois et même tchèque), à partir de traductions fournies, mais jamais de langue morte !
Pourquoi aimez-vous faire ce travail ?
Ce qui me plaît le plus, c'est la liberté qu'on nous laisse dans l'adaptation. Je prends vraiment beaucoup de plaisir à le faire. Il faut beaucoup d'imagination, c'est très gratifiant et puis c'est un exercice intéressant. Adapter, c'est traduire le texte tout en restant fidèle au jeu des comédiens originaux et c'est là que réside toute la difficulté et donc tout l'intérêt. Ce n'est pas comme traduire un roman où je pourrais mettre des nota bene (N.B.), je ne peux pas expliquer, il faut que cela soit compréhensible immédiatement. C'est en cela, qu'est le challenge. Quand, en plus, je travaille sur des produits de qualité, comme Smallville, je prends vraiment du plaisir.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui voudrait faire ce métier ?
Parler et comprendre l'anglais facilite grandement le travail bien sûr (surtout pour la rapidité d'écriture ... car ouvrir un dictionnaire et retrouver son chemin dans les labyrinthes lexicaux, ça prend du temps !) mais ce n'est peut-être pas le plus important. Je connais d'excellents adaptateurs qui ont commencé, au départ, à travailler à l'aide d'une traduction faite par un autre, traduction qu'ils adaptaient ensuite en fonction de la synchro. Peu à peu, ils n'ont plus eu besoin d'intermédiaire. Nous ne sommes pas traducteurs mais adaptateurs, même si je suis parfaitement bilingue. Nous sommes plus des auteurs. En conséquence, il faut avoir de grandes qualités pour manier le français, avec la contrainte de rester fidèle au jeu des comédiens de la version originale, ce qui veut dire qu'il faut parfaitement maîtriser tous les niveaux de langage afin d'être vraiment crédible. Il ne faut pas avoir peur de "se détacher" du texte, d'être inventif, parfois même de tout réinventer (surtout en cas de jeux de mots intraduisibles et dans les dessins animés).
Le plus simple, pour un débutant aujourd'hui, c'est de faire un DESS. Il existe trois ou quatre facs sur toute la France (entre autres à Lille) qui offrent à leurs étudiants une spécialité doublage/sous-titrages (liée à l'anglais). Mais à l'arrivée, comme pour toutes les formations, il faut savoir que les places sont rares. L'idéal, une fois que l'on a une solide formation de traducteur, c'est de connaître quelqu'un pour vous former, car au début il faut être accompagné. Je considère que mes six premiers mois sur Cheers en 1987 - où j'étais à plein temps, plus de huit heures par jour – ont été ma vraie formation. C'est la boîte de doublage elle-même qui a assuré ma formation et la supervision de tous mes textes (la création de la 5 a brutalement généré 25% de travail en plus, il a fallu former des auteurs à toute vitesse). Je suis sûre que si je relisais mes textes aujourd'hui, ils me sembleraient maladroits, et que je trouverais des passages entiers qui "font synchro". Je pense que j'ai réussi à me "libérer de la synchro", à me sentir vraiment à l'aise, au bout de deux ans de travail. Donc il faut de la persévérance pour entrer dans ce métier !
J'ai récemment formé un ami scénariste, donc parfaitement à l'aise pour manier le français, et de plus, parfaitement bilingue. Pendant deux mois, je relisais son travail, petit bout par petit bout, et j'ai même réécrit entièrement son premier épisode, mais c'est normal, c'est une mécanique spéciale, cela s'acquiert, il faut un peu d'entraînement. Ma présence était, d'ailleurs, une des conditions grâce à laquelle il a eu le contrat. La société de doublage savait que j'étais là pour contrôler et "garantir" le travail au final.
Il s'agit d'un métier très dur, on commence souvent par les choses les moins intéressantes, cela veut dire aussi être moins bien payé. Donc, au début, je conseille vraiment d'avoir un autre travail pour vivre correctement ou alors de pouvoir se contenter de peu. Mais après, au fur et à mesure, on s'habitue à la mécanique, on a des choses plus intéressantes à faire, on travaille plus vite, on gagne un peu plus d'argent. Je gagne aujourd'hui environ cinq fois plus qu'à mes débuts, mais cela a pris plus de quinze ans !
Un auteur-adaptateur est payé une première fois à la remise de son travail par la société de doublage (paiement à trois mois, en fait). Il touche ensuite une deuxième partie sous forme de droits de diffusion (les fameux droits d'auteur) mais là, il faut attendre que le produit soit diffusé puis que les droits soient reversés par la SACEM qui les collecte pour nous auprès des chaînes et cela peut être long. Au démarrage, on ne touche pas de droits SACEM avant environ deux ans. Donc, quand on débute, il faut s'accrocher mais une fois que la machine est en route cela devient plus facile. Si on veut exercer ce métier, il faut vraiment être très motivé.
Précision importante : nous ne sommes pas intermittents du spectacle, donc nous n'avons pas de congés spectacle (vacances), pas d'indemnités chômage, pas d'allocations maladies (ou alors à partir de quinze jours consécutifs de maladie, et au tarif plancher de la sécu). Au début, il faut donc travailler sans cesse ... le temps que les droits d'auteurs versés par la SACEM viennent nous assurer le pécule qui nous permet de prendre des vacances et d'être décemment malades !
Deux organismes peuvent renseigner tous ceux que ce métier tente :
Le SNAC (Syndicat National des Auteurs Compositeur), seul syndicat qui a un groupement doublage/sous-titrage. Il " travaille " très étroitement avec les facs qui proposent ces DESS et organise une fois par an, dans ces facs, une réunion d'information sur notre métier, réunion faite par un auteur-adaptateur.
SNAC
88, rue Taitbout
75009 Paris
Tél. : 01 48 74 96 30
Site web : www.snac.fr
L'AGESSA, l'organisme de sécurité sociale qui pourra vous renseigner sur la partie retraite/sécu.
21 bis, rue de Bruxelles
75009 PARIS
Tél. : 01 48 78 25 00
Propos recueillis par Frédéric Souclier.