AlloCiné : Où étiez-vous à l'époque de ces événements ?
Hiam Abbass : Dans mon village en Israël. J'avais douze ans. A l'époque, je me posais déjà beaucoup de questions, étant Palestinienne née en Israël. J'avais 7 ans quand la Guerre des six jours a éclaté. Je me demandais : qui se bat contre qui ? Mes parents, qui étaient Palestiniens, sont devenus citoyens israéliens après 1948. Les Israéliens avec qui je vivais faisaient la guerre avec mes cousins. Ma tante, la soeur de ma mère, est partie en 48 au Liban puis en Syrie. Je ne comprenais pas, en tant qu'enfant, ce qui se passait. L'affaire de Munich, c'était donc avant tout pour moi la suite de ces questionnements : A qui j'appartiens ? Pourquoi suis-je restée, et pas partie avec les autres ? Pourquoi est-ce que je dois subir tout ça ? Tout pré-adolescent de 12 ans s'interroge sur la vie, l'appartenance et l'identité.
Le tournage de "Munich" a-t-il été l'occasion pour vous d'apprendre des choses sur ces événements ?
Non, on apprend davantage au cours de la vie qu'on mène. L'apprentissage ne se limite jamais à une seule expérience. Ce tournage m'a plutôt rappelé que cette question de l'appartenance nous poursuit toute notre vie. Aujourd'hui, je suis comédienne, je vis en France, je suis Française. Mais j'ai toujours ma nationalité israélienne. Et en même temps, je suis Palestinienne.
Dans quel film Spielberg vous a-t-il vue avant de vous choisir ?
La Fiancée syrienne. C'est grâce à ce film qu'il m'a proposé Munich.
Avez-vous d'abord été engagée comme comédienne ou comme coach ?
D'abord, on m'a proposé le rôle. Mais ils cherchaient aussi un coach. Une amie, qui a passé le casting de Munich à Paris, et que j'avais coachée pour La Porte du soleil de Yousry Nasrallah, leur a parlé de moi. A l'époque, j'étais coach de jeu sur Babel, le prochain film d'Inárritu. Du coup, on m'a rappelée pour me demander si je voulais occuper ce poste pour le film de Spielberg. Dans un premier temps, je devais être coach pour les comédiens qui parlaient arabe. Quand Steven a su que je parlais hébreu, il m'a demandé de coacher également les Israéliens. Ensuite, étant sur le plateau, très près de lui, et ayant participé à pas mal de discussions, l'équipe a souhaité me prendre comme consultante pendant toute la durée du tournage.
En quoi consiste ce travail de coach ?
Je devais faire répéter les comédiens. Et, dans la mesure où personne n'avait eu le droit de lire le scénario, à part les rôles principaux et les chefs de poste dans l'équipe technique, je devais présenter aux acteurs leur scène, leur donner une image globale du film, sans trop dévoiler l'histoire. Il fallait aussi travailler les différents accents. J'avais beaucoup de comédiens d'origine arabe qui venaient de partout dans le monde, et qui devaient adopter l'accent palestinien. Certains comédiens devaient parler anglais mais avec un accent arabe, car ils jouaient des Palestiniens. Par exemple, l'acteur qui incarne Ali (la scène dans la cage d'escalier face à Avner) est né à New York, il a un accent new-yorkais à couper au couteau. Il a donc fallu travailler avec lui son accent arabe, réduire son accent américain pour lui donner une crédibilité.
Vous êtes-vous senti une responsabilité particulière en tant que comédienne sur ce film ?
Tout le monde l'a sentie, cette responsabilité, sauf que moi, on me l'a jetée sur le dos. Je ne pouvais pas agir comme n'importe quel comédien sur le plateau (je viens, je fais mon rôle et je pars), j'étais présente tout le temps. Je suis passée par toutes les émotions, j'avais bien sûr mes hauts et mes bas, d'autant qu'on a eu beaucoup de discussions pendant le tournage, sur la crédibilité de tel ou tel élement. Le plus difficile, c'était de mettre de côté mes émotions pour pouvoir rester professionnelle jusqu'au bout et faire au mieux le travail qu'on m'avait confié. Du coup, par moments, il fallait que je ne pense pas à moi en tant que Palestinienne, ni en tant que comédienne (j'avais parfois bien sûr le désir de jouer le rôle que j'étais en train de coacher...). Donc ce n'était pas évident, mais en même temps, Steven Spielberg m'a donnée une vraie liberté. J'avais vraiment ma place, j'étais en contact direct avec la productrice Kathleen Kennedy et le scénariste Tony Kushner. Je pouvais constamment donner mon avis.
La dimension internationale de "Munich" et de son casting rejoint votre idée du cinéma, vous qui a avez tourné dans tous les pays, toutes les langues...
Tout à fait. C'était très enrichissant de ce côté-là. Les comédiens venaient de partout dans le monde, avec des écoles de jeu différentes. La partie la plus émotionnelle, la plus dure, qu'on ait vécue, tous, c'est le tournage des scènes de la prise d'otages de Munich. C'était comme un film dans le film. Il y avait des comédiens israéliens, et des comédiens arabes qui jouaient les Palestiniens de l'époque. Je devais diriger 22 comédiens à la fois. Des fois, j'étais obligée de les diviser en deux, parce que ça se mélangeait trop dans leur tête et dans la mienne... Sur le plateau, tout se passait très bien. Mais dès que la caméra tournait, chacun devait être au plus près du rôle qu'il jouait, pour pouvoir donner le meilleur de lui. Ce n'était pas évident... Une autre dificulté pour moi a été de faire l'actrice dans le film (je joue le rôle de Mme Amshari). Là, il fallait que j'oublie ma casquette de coach. Or, le comédien qui interprète mon mari dans le film, M. Amshari, c'est un Israélien qui joue un Palestinien. Il a donc fallu que je le coache également. De plus, celle qui joue le rôle de mon enfant, c'est ma propre fille dans la vie. Elle ne parlait pas un mot d'anglais ! De toute façon, c'est très difficile de se retrouver avec son propre enfant sur un plateau : j'avais envie qu'elle donne le meilleur d'elle-même, mais je devais aussi me retenir, ne pas trop importer mes sentiments de mère, car ça ne correspondait pas forcément au personnage...
Propos recueillis le 11 janvier 2006 par Julien Dokhan