AlloCiné Séries : Craigniez-vous de vous attaquer au remake d'un classique de la télévision française ?
Jean-Claude Drouot : Non. En 1972, la version de Claude Barma était superbe, avec une pléiade d'acteurs estimables. Oui c'est une série culte, surtout pour ceux qui l'ont vu à l'époque de sa diffusion, mais je ne parlerai pas de remake. L'oeuvre de Maurice Druon est là. C'est comme si on disait qu'une fois que le Dom Juan de Mozart a été créé on n'y touche plus. Non, il y a une partition, très importante et il est légitime voire important de rencontrer, de témoigner à nouveau. Pour ma part, j'ai une profonde admiration pour l'oeuvre de Druon et de son équipe et surtout pour sa dimension psychologique : il y a des éléments historiques mais la manière d'analyser les comportements est vraiment formidable. On est dans un roman d'analyse sans facilité romanesque, l'analyse est fine et permet de naviguer dans le labyrinthe de cette période de façon passionnante. Je me souviens avoir vu la version de 1972 et je me souviens de mon admiration dès les premières images et notamment ce visage buriné, sculpté, profondément beau, fort de Georges Marchal qui jouait Philippe le Bel. On n'avait pas vu cet acteur à l'écran depuis longtemps. La version de Dayan n'est pas un remake : on revisite. D'ailleurs le talent de Josée c'est aussi d'avoir trouvé en Philippe Druillet son partenaire. C'est audacieux. J'étais là le premier jour de tournage dans les studios à Bucarest et quand j'ai découvert cet univers, qui n'est pas du tout celui d'un Moyen-Âge vériste, j'ai retrouvé parfois des ambiances que j'avais connu avec Thierry la Fronde, même si le style n'a rien à voir. Ces statues teutoniques, ces ambiances fantastiques, une architecture irréelle, fantasmée, c'est une grande réussite. Un médiéviste scrupuleux dira que ce n'est pas le Moyen-Âge mais c'est un choix. La théâtralisation de la première version était aussi un choix audacieux et non vériste. L'oeuvre de Druon est toujours au premier plan, c'est juste l'écrin qui a changé. Pour schématiser, la réalisation de Claude Barma était plus janséniste, plus sobre, Josée de son côté est une lyrique, quelqu'un qui empoigne son sujet, un chef de guerre qui emmène sa horde de comédiens jusqu'au bout du monde. Elle a une énergie, un talent, une expérience et une générosité de narration qui sont magnifiques.
Quelle teinte avez-vous voulu donner à votre personnage d' Enguerrand de Marigny ?
Josée Dayan m'avait d'emblée réservé ce rôle. J'aime beaucoup ce personnage. Il apparaît comme un méchant mais ne l'est pas du tout. C'est quelqu'un de droit dans ses bottes, un homme entier, un serviteur de l'Etat absolu. Il ne fait pas du tout de stratégies politiques, et s'il y a des choses à faire, il les fait pour le bien du Royaume. Il est entier, fidèle, loyal....
Avez-vous une anecdote à nous raconter ?
Au départ, on avait prévu pour mon personnage une perruque, faite à Londres, mais on ne savait pas si on allait la coiffer avec une frange ou en arrière. La veille du premier jour de tournage, j'avais le sentiment qu'avec ce décor-là, je devais faire une proposition franche, radicale. Et je savais que Josée n'était pas friande des postiches, parce qu'elle veut une vérité immédiate pas une reconstitution. J'ai donc proposé à Josée de me raser la tête et on est tombé d'accord !
Pour revenir à la saga d'été de France 2, Trois femmes... 1 soir d'été, quels souvenirs gardez-vous du tournage ?
J'ai vraiment beaucoup aimé cette série, à tel point qu'à l'issue du tournage j'ai adopté deux petits chats que j'ai baptisé Virgil (ndlr : du nom de son personnage) et Fanny (ndlr : du nom de l'actrice Fanny Cottençon, qui partageait l'affiche de la série). C'était un tournage attachant. De façon audacieuse, cette série a traité de thèmes comme la transexualité. Ce n'est pas banal surtout dans ce format et ce n'est pas évident de le faire avec justesse et tendresse, d'autant plus que cela peut nous permettre de nous faire prendre conscience de nos préjugés, de nos raideurs. On écoute une histoire et, en même temps, on est renvoyé à nous-mêmes. Ce genre de films permet de desserrer la tenaille de nos préjugés.
Avoir incarné Thierry la Fronde, est-ce un privilège ou un héritage lourd à porter ?
C'est une responsabilité. 40 ans après, il n'y a pas une journée où l'on ne m'en parle pas, avec amitié et sympathie. Pour beaucoup de gens, Thierry la Fronde est un des repères d'enfance. Ce n'est pas facile à porter et je ne souhaite à quiconque de connaître un tel succès d'emblée. C'est très dangereux. A l'époque, Jean-Paul Belmondo, alors Président du Syndicat des Acteurs, l'avait commenté en disant que c'était formidable mais que cela allait être très difficile pour l'acteur en question. Quand mon contrat de 2 ans pour Thierry la Fronde m'a permis de le faire, je suis donc parti. Je n'ai pas renouvelé parce que j'ai senti que le business allait prendre le pas sur tout le reste. Je n'ai pas voulu jouer le jeu de la célébrité et du succès. Aujourd'hui je sais qu'il y a de la part d'un public une amitié fidèle. Je suis un être libre de mes choix, indépendant. Ma responsabilité vis à vis du public, c'est de ne pas tricher.
Quels sont vos projets ?
Orson Welles (rires) ! Je prépare pour le théâtre une pièce sur lui, pour dans un an. Je vais à la rencontre de Welles, de son personnage et de ses films, un peu comme ce qu'a fait Jeanne Moreau avec Marguerite Duras (ndlr : Cet amour-là ). Ce n'est pas le travail d'un imitateur mais véritablement une rencontre, comme Michel Bouquet avec François Mitterrand (ndlr : Le promeneur du Champ de Mars ). C'est un vaste et passionnant chantier.
Quelles sont vos séries préférées ?
Après déjeuner, Derrick est très favorable à une sieste immédiate (rires) ! Plus sérieusement, cette familiarité entre le spectateur et une série est formidable.
Propos recueillis par Thomas Destouches