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    "Le Parfum de la dame en noir" : rencontre avec Rouletabille

    Après avoir résolu "Le Mystère de la chambre jaune", le reporter Rouletabille, alias Denis Podalydès, suit la trace du "Parfum de la dame en noir". Il confie à AlloCiné les premières conclusions de son enquête...

    Si Le Mystère de la chambre jaune avait laissé plusieurs questions en suspens, les frères Podalydès s'efforcent aujourd'hui, avec Le Parfum de la dame en noir, d'y apporter quelques réponses. Interprète à la fois malicieux et tourmenté de Rouletabille, le reporter-détective, Denis Podalydès livre à AlloCiné les clefs de cet univers loufoque. En procédant "par le bon bout de sa raison"...

    AlloCiné : Est-ce qu'à l'époque où vous acheviez la production du "Mystère de la chambre jaune", vous songiez déjà à adapter le second volet des aventures de Rouletabille ?

    Denis Podalydès : L'idée d'en réaliser la suite était déjà plus que certaine, oui : on se disait alors "pas l'un sans l'autre", car les deux épisodes sont profondément liés. Bien entendu, si Le Mystère de la chambre jaune avait été un échec, nous n'aurions certainement pas fait Le Parfum de la dame en noir, mais, abstraction faite de l'accueil par le public, notre désir de porter à l'écran le deuxième volet était très grand. Compte tenu du succès qu'a rencontré le premier film, cette suite s'imposait. L'autre désir qui nous animait était les retrouvailles avec toute l'équipe, en particulier les acteurs. On reviendra peut-être à l'univers de Gaston Leroux d'ailleurs, car il a écrit de nombreux romans dans cet esprit. La forme feuilletonesque est un vrai régal, je pense, tant pour pour les écrivains que pour les cinéastes et les acteurs. L'idée de créer une nouvelle histoire à partir des mêmes personnages, et d'approfondir ces derniers, est excitante.

    Vous semblez avoir donné un rôle plus important au personnage qu'incarne Jean-Noël Brouté (Sainclair) : pourquoi ?

    Bruno (Podalydès, NDLR) tenait beaucoup à ce changement : dès lors que Rouletabille se livre peu à peu à une exploration de sa part d'ombre, c'est à Sainclair qu'échoit la fonction comique. Il permet de créer un contraste entre les personnalités.

    La dimension personnelle, affective de votre personnage prend une plus grande importance que dans le premier épisode...

    Tout à fait. Rouletabille n'assure plus du tout sa part de comédie. La loufoquerie croissante de Sainclair, et même d'autres personnages, permet d'échapper à l'ennui et à la trop grande tristesse qu'auraient occasionnés une trop grande focalisation sur mon personnage.

    Ce qui est instauré, c'est en quelque sorte une démocratie des comédiens : ceux qui incarnaient les rôles principaux dans "Le Mystère de la chambre jaune" passent au second plan dans "Le Parfum de la dame en noir", et inversement...

    Ce qui permet cela, c'est également l'esprit de troupe. Nous avons tous joué au théâtre, j'ai moi-même acquis cette expérience au sein de la Comédie française, nous avons donc eu le souci d'équilibrer les rôles. Afin que chaque acteur trouve sa place, se sente bien au sein du groupe, il convient de donner à chacun la même amplitude. C'est pour cela que Bruno a étoffé certains rôles, en particulier celui de Jean-Noël. Comme j'avais été copieusement servi par le scénario dans Le Mystère de la chambre jaune, je pouvais lui laisser le champ libre...

    Son rôle permettait-il également de divertir les spectateurs de l'enquête que mène Rouletabille ?

    Oui, Bruno y tenait beaucoup : ce qu'il aime, ce sont les diversions, les digressions, l'idée de perdre le fil de l'intrigue, voire de faire sortir cette dernière de l'ornière du strict récit policier. Cela lui permet également d'éviter la facilité des pistes psychanalytiques, pistes qu'auraient sûrement suivies d'autres réalisateurs. Cela ne l'amuse pas : il reste convaincu que ce récit parle d'enfance, et qu'il ferait donc une erreur en s'engageant dans certaines voies plus "adultes".

    Le film est comme chuchoté. Y a-t-il eu une recherche spécifique sur le son ? Les acteurs ont-ils eu des instructions à ce niveau ?

    Non, pas les acteurs. C'est surtout une question de mise en scène. D'une certaine façon, nous avions adopté un ton extrêmement théâtral dans Le Mystère de la chambre jaune, y compris lors de l'épisode de la résolution de l'enquête, où Rouletabille mettait en scène son propre génie déductif, à voix portée. Tandis qu'ici nous avons multiplié les espaces, les ambiances... J'avoue avoir du mal à mesurer l'ampleur de cette différence. Ce travail s'effectue surtout en post-production, sans que les acteurs y participent. Ce sont davantage les choix du metteur en scène qui importent ici.

    Il règne une sorte de flottement durant une bonne partie du film (on ne sait pas très bien quel est l'enjeu de l'histoire), impression confirmée par une interprétation énigmatique, y compris, par moments, de votre part...

    Le film ne reflète pas uniquement l'univers de Leroux, mais également celui de Bruno, et ce, beaucoup plus qu'on ne le croit. La confrontation entre les deux crée une confusion, un trouble certains. Bruno a préféré brouiller les pistes à ce niveau.

    Est-ce qu'en tant qu'acteur vous avez pu "entrer en résistance" contre cette quasi-absence d'intrigue, ou bien vous êtes-vous coulé dans cette conception ?

    Avec mon frère, j'aime bien me laisser porter. Je suis son idée, même si j'essaie de contribuer à cette tendance. Le personnage de Rouletabille n'est plus un observateur extérieur : il est au coeur de l'histoire, c'est de son histoire qu'il s'agit désormais. Il est travaillé par ses démons et ne peut plus désormais assumer clairement sa fonction. Le contraste entre une intrigue, qui est tout de même nécessaire, et le flottement est apporté par les autres personnages. Ce sont eux qui instaurent cet effet de balance...

    Dès lors, considérez-vous davantage "Le Parfum de la dame en noir" comme une quête individuelle ou à l'inverse comme un film choral, collectif, où chaque personnage a une place égale à celle des autres ?

    La quête individuelle suppose justement que Rouletabille s'écarte du groupe, et par conséquent de l'intrigue. Il sort littéralement du film, ce qui fait de ce dernier, effectivement, un film choral. Les deux films constituent une entreprise chorale, et ce, à tous les niveaux. Chacun a même droit à son morceau de bravoure, à son "solo", comme sur scène.

    A propos de scène, on se dit que le personnage de Michael Lonsdale fait un peu office de choeur : ce peintre du dimanche commente l'action comme dans les tragédies antiques...

    C'est vrai, je n'y avais pas pensé ! Même si on trouve des choeurs dans les comédies également, par exemple chez Aristophane... Mais ce que vous relevez est juste : le regard du personnage de Michael Lonsdale est relativement extérieur, il observe de loin toute la comédie qui se joue là, avec distance et ironie. D'une certaine manière, l'histoire, avec ses flottements, ses errements, ses indécisions, est synthétisée par ce tableau qu'il semble incapable de terminer. Lonsdale, assez naturellement, fait office de chef de choeur.

    Pour "Le Mystère de la chambre jaune", on avait évoqué le patronage d'Hergé, ici encore on distingue des références à l'univers de Tintin, comme le portrait inspiré par l'album "Rackham le Rouge" dans la chambre des Darzac. Pourquoi cette approche ?

    Cela vient de l'univers propre à mon frère : Hergé est une référence permanente pour lui, et détermine ses choix esthétiques comme, parfois, thématiques. Il apporte une fantaisie, un imaginaire flamboyant. Je pense que Bruno n'oserait jamais adapter directement les aventures de Tintin : il le fait donc par le truchement d'un autre auteur, Leroux. Mais vous savez qu'Hergé s'est en grande partie inspiré de Rouletabille pour créer son personnage ! Comme quoi, on n'est jamais très loin de l'inspiration originale...

    Les anachronismes sont légion et on ne sait pas bien à quelle époque se situe le film... Les machines fantaisistes mêlant mode rétro et modernité y contribuent beaucoup. Quel était le but d'une telle confusion temporelle ?

    Nous voulions créer un effet d'atemporalité, ce qui rajoute au mystère, à l'étrangeté de l'histoire. Concrètement, le film se déroule dans les années 1930, tout comme le premier épisode. Mais, déjà, nous en avions transposé l'intrigue du roman de Leroux des années 1890 à 1930, ce qui constituait un premier glissement temporel. Bruno voulait aller encore plus loin en s'affranchissant définitivement de tout ce qui relève de la reconstitution un peu étriquée d'une époque donnée, en multipliant anachronismes et visions bizarres. Il y gagne une grande liberté, ainsi que des effets comiques, forcément !

    On se dit, en voyant la première séquence (avec Arditi en fakir), que le film prend le risque d'un humour absurde, voire grotesque, mais il est en fait assez macabre, presque effrayant... Le ton est bien plus noir que dans le premier épisode.

    C'est vrai. Même Rouletabille fait preuve d'une rugosité, d'une âpreté plus grandes qu'à l'accoutumée. Dans ses rapports avec sa mère, et même dans ses rapports avec Sainclair, il se comporte parfois de manière brutale, inattendue. Mais nous n'avons pas cherché à émouvoir à travers cela : ce changement dans son attitude permet juste de considérer la part d'ombre d'un personnage au premier abord trop lisse, trop bien "dessiné". Nous l'avons rendu plus mystérieux lui-même. Tout ceci est révélateur de l'imaginaire de mon frère, qui tente de combiner un univers enchanté avec des atmosphères plus hantées, plus dures.

    Propos recueillis par Guilhem Cottet le 30 août 2005

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