Il déteste, dit-il, "travailler dans la routine". Son parcours, atypique, le confirme. Il aurait pu être Thierry La Fronde pour des lustres et des lustres. Il l'a laissé en chemin pour prendre une route plus aventureuse à l'étranger comme en France. Une route parfois déroutante pour le quidam puisqu'elle l'a mené aussi bien à des sagas populaires — "Gaston Phoebus", "La Rivière espérance", "Les Steenfort", "Le grand Bâtre", "Les Gens de Mogador", etc. — qu'à la Comédie française où il a servi les grands textes du répertoire. De nouveau, le voilà dans une série populaire, 3 femmes... un soir d'été où il est Virgil, un "taiseux", amoureux de la terre. Et pour Jean-Claude Drouot, cela signifie quelque chose.
Son chant de la terre
"A mon avis, ce n'est pas fortuit si l'on m'a proposé le rôle de Virgil, propriétaire terrien, producteur d'armagnac. On a repéré, je pense, mon goût pour la terre et ses produits. C'est une forte dimension chez moi : je suis né dans la ferme de ma grand-mère et toute mon enfance a été attachée aux moissons. Une enfance protégée, baignée dans la vie de la campagne, dont je garde des images très solaires. Encore aujourd'hui, je vis pour les foins, la récolte et je ne suis toujours pas devenu un citadin. Pour preuve, je suis jardinier, apiculteur amateur et j'ai mon rucher. Constamment j'équilibre mon métier, le travail de l'esprit par une tâche manuelle, par une pratique liée à la terre. J'ai acquis une vigne, pas dans un but commercial mais pour le plaisir. Je commence à connaître le vin et ses secrets de fabrication et, grâce à la série, j'ai un peu appris ceux de l'Armagnac. Le maître de chais n'était pas avare de sa connaissance et de son expérience ; il m'a donné beaucoup et ça a été formidable, tant sur le plan de la découverte que sur le plan humain."
L'émotion d'un taiseux
"Virgil est un taiseux, comme on dit. Il ne dit rien ; il regarde. Il me plaît bien ce personnage, cet homme qui a eu un amour unique, sa femme. Il a le sens ancien de l'honneur. Il le cultive malgré les drôles de turbulences qui ont agité sa famille. J'ai beaucoup aimé traiter tous les moments qui permettent, par petites touches, de donner la dimension du personnage. Quand ça craque, que les digues se fissurent, il y a quelque chose qui surgit, une émotion que je me refuse de programmer en terme de technique, d'acteur, de jeu, mais qui est là."
Drôle de duo
"Avec Guy Marchand (son frère dans la série - ndlr), on forme sans doute un couple singulier. Son personnage extraverti constitue un contrepoint intéressant au mien. J'ai eu la chance d'avoir sur ce film des camarades formidables comme Guy. Tous nous voulions produire le meilleur travail possible. Sébastien Grall nous y aidait. Il travaille avec une grande qualité humaine sur la profondeur des personnages. De fait, il régnait sur le tournage une tendresse chaleureuse et franche."
Les surprises du labyrinthe
"Les scénaristes ont eu le culot d'aborder certains thèmes rarement traités. L'histoire tient en haleine. Tout le temps, on désire en savoir plus, aller de l'avant. Les circonstances – le meurtre du maire – nous permettent de pénétrer des univers fermés, murés. Cette série ressemble à un labyrinthe : on entre, on découvre une dimension inattendue et tout cela participe du suspens."
Liberté chérie
"J'étais très fier d'entrer à la Comédie française : cette maison n'est tellement pas quelconque, elle a une telle histoire ! C'était formidable. Mais je l'ai quittée. Si j'ai le goût définitif des grands et des beaux textes de notre répertoire, j'ai aussi besoin de rencontres et d'indépendance. D'être disponible pour conduire des projets personnels et aussi pour les bonnes surprises. Et il y en a eu, notamment 3 femmes... un soir d'été, "Les Rois maudits" réalisé par Josée Dayan et un documentaire fiction tourné à l'Assemblée nationale sur le vote de la loi pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat, où j'incarnais Jaurès aux côtés de Lonsdale, Arditi, Rich. Ce n'est pas rien ! J'ai besoin d'avoir – même si c'est une illusion – le sentiment de ma liberté, de pouvoir dire : 'Cela dépend de moi, je suis maître de mon sort et de ma vie.' Je suis toujours parti dès que je sentais un inconfort, une injustice ou la sensation d'être enfermé. J'ai arrêté "Thierry La Fronde", j'ai quitté le Français et aussi le Théâtre National de Belgique que je dirigeais."
Travail instrumental
"J'ai connu jeune ce qu'est cette 'foutue' gloire. A cet âge, on a envie d'être aimé et applaudi, on s'habille chez les grands couturiers et on est invité aux premières ; tout vient sans effort et cela semble normal. Puis, j'ai commencé à éprouver un malaise. J'ai alors quitté cette voie. J'en suis heureux : je préfère de loin ne pas avoir été tenté par cette route qui semblait tout tracée. Puis, le fond de notre métier est ce travail sur l'instrument que nous sommes. Le comédien est comme une harpe éolienne qui émet des sons, donne des couleurs et une réalité à un personnage dont il est l'instrument. Il se laisse traverser par lui sans craindre d'en traiter les aspects les plus douteux puisqu'il ne s'agit pas de lui. Toujours il faut tenter de perdre le moins possible d'un personnage. Toujours j'essaye de ne pas tricher, d'aller au plus juste, au plus évident et de m'améliorer. C'est passionnant."
Heureux !
"J'ai un long parcours. Je me suis enrichi de toutes les rencontres et de tous mes rôles. J'ai tourné à l'étranger avec les plus grands acteurs – Kirk Douglas, Richard Burton... — en me tenant toujours à distance du star système. Aujourd'hui, je suis allégé de toute stratégie de carrière et désencombré de cette sorte de piège terrible. Je ne regarde pas en arrière, je laisse venir. J'éprouve un bonheur simple à être sur un plateau de tournage. J'ai la chance d'avoir une vie harmonieuse, une femme qui a courageusement et formidablement accompagné les moments d'instabilité, les remous provoqués par le travail. C'est un long compagnonnage : 45 ans de mariage ! Un autre combat formidable qui ne se gagne pas non plus d'un claquement de doigt. Aujourd'hui, grâce à tout cela, je me sens épanoui. J'ai le sentiment de m'ouvrir à nouveau aux autres avec un immense plaisir, car fut un temps où j'étais obligé de m'enfermer pour me protéger. J'ai beaucoup de projets. Notamment un que je prépare depuis un certain temps, un spectacle, "La Jonque de porcelaine". Je transforme mon bateau, Ithaque, de telle sorte à confirmer son allure de vieux gréement et à y installer une scène. Je serai une sorte de naufragé volontaire, porteur exalté de la mémoire de tous les textes écrits sur la mer."
Propos recueillis par Amélie de Vriese et Céline Boidin avec France 2