Retour en compétition.
Dominik Moll : L'aventure de Harry à Cannes m'a appris que ce qui était important, c'était les réactions que suscite le film, notamment dans les médias, et les ventes à l'étranger. Figurer au palmarès, c'est une cerise sur le gâteau. Je ne suis pas venu dans un esprit de compétition.
Alice, derrière le miroir.
Charlotte Rampling : Ce rôle est un petit bijou. Pour moi, Alice n'incarne pas le Mal, c'est juste quelqu'un qui ne sait pas se sortir des difficultés dans lesquelles elle se trouve, comme le lemming. Elle ne se met pas de barrières, même si elle a sa propre éthique, sa cohérence. Parfois, ça déborde, mais toujours sur elle-même, jamais sur les autres. Si elle se permet de dire à Alain : " Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi ", c'est parce qu'elle sait que se joue là quelque chose de vital pour elle. D'ailleurs, quand elle dit cette phrase, elle chuchote. Les phrases les plus importantes, on les dit toujours en chuchotant.
D'une Charlotte l'autre.
D. M. Les deux Charlotte ont pu s'observer lors de la scène du dîner. Mais quand, avant de tourner la séquence du lac, Charlotte Gainsbourg m'a demandé de pouvoir regarder la scène de séduction entre Alain et Alice dans le labo, j'ai refusé : je ne voulais pas qu'il y ait d'imitation, mais que chacune joue à sa manière. Ce qui devait les rapprocher, c'était la situation. On a quand même un peu travaillé sur l'aspect physique, il fallait par exemple que Charlotte Rampling ait les cheveux un peu plus longs, comme le sont ceux de Charlotte Gainsbourg.
Pollock, à hauteur d'homme.
André Dussollier : J'ai eu beaucoup de plaisir à interpréter Pollock, et je crois que le spectateur éprouve le même plaisir à le regarder, car on rêve tous d'être un peu comme lui. Il est élégant, pas agressif, mais si on le cherche, on le trouve. Il a connu des choses lourdes, comme dans toute vie de couple, mais lui exprime cela avec une grande simplicité, une vérité. Il est capable de tout, si bien que face à lui les personnages sont obligés de grandir, de s'épanouir s'ils veulent atteindre la même altitude.
Festin d'acteurs.
A. D. : La scène de repas, la seule où nous étions réunis tous les quatre, était jubilatoire à jouer. C'était le début du tournage : une belle manière de se rencontrer, après avoir rêvé chez soi au scénario... Je parle là d'un plaisir de l'écriture, mais il y a aussi tous les non-dits que chacun apportait. Ces silences racontent beaucoup sur la vie qu'on a eue, je pense particulièrement au couple que je forme avec Charlotte [Rampling]. Derrière ces lunettes noires qu'elle porte, se cache tout un pan de notre vie commune. Il y a un plaisir pour les comédiens à jouer ces silences, et à compléter en quelque sorte la création de scènes déjà très bien écrites.
Atmosphère, atmosphère...
D. M. Le film est sombre mais il y a aussi beaucoup d'humour. Je suis quelqu'un de plutôt optimiste. C'est vrai que j'aime les atmosphères étranges dans les films. Le cinéma permet de créer un monde avec des moyens simples : la lumière, le montage, les acteurs, les décors... Concernant la demeure des Getty, je voulais une maison moderne, géométrique, pour créer un contraste avec les éléments irrationnels du film. En cela, elle peut faire penser à celle de Lost highway [comme le suggérait un journaliste]. On a tourné près de Toulouse, mais on ne reconnaît pas du tout les lieux, et ça me plait. L'essentiel est à l'intérieur de l'histoire, dans la vérité des personnages. On avait fait des repérages sur la Côté d'Azur, mais ces maisons sont trop vite identifiées à la région. C'est pour cette même raison que j'ai choisi des noms à consonance anglo-saxonne : Pollock, Getty.
Contrôle et imprévu.
D. M. : Pendant la fabrication d'un film, on essaie de tout contrôler, mais beaucoup de choses vous échappent. Ca peut être rageant, mais aussi très enrichissant. L'écriture du scénario se fait parfois de façon instinctive, la logique n'apparaissant que bien plus tard. Ensuite, les aléas du tournage, les contraintes de temps ou la météo sont autant de facteurs d'imprévu.
Gilles Marchand, scénariste : J'ai le sentiment et l'espoir que plus on cherche à contrôler les choses, plus ce qui nous échappe est grand. Ca me rappelle cette fameuse phrase de Cocteau : "Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs."
Sous influence
D. M. : Je suis un grand admirateur d'Alfred Hitchcock, de sa façon de construire un film. Quand j'étais étudiant en cinéma, j'ai beaucoup appris en regardant ses films. Cela ne m'étonne donc pas qu'on trouve dans Lemming des points communs avec son oeuvre.
La caméra volante
D. M. : Telle que nous l'avons conçue, la caméra volante inventée par Alain dans le film ne pourrait pas voler ! Il en existe une au Japon, plus fragile, plus petite, qui ressemble à un insecte. Mais en fait, ce n'est pas une caméra, c'est seulement un appareil qui permet de prendre des photos des maisons après les tremblements de terre.
Happy end ?
D. M. : La scène finale, en ce samedi ensoleillé, est comme une parenthèse qui ferme le film. On retrouve le côté "couple idéal" du début, même si Alain et Bénédicte sont géographiquement séparés, et même si cette histoire a laissé des traces : le film se clôt d'ailleurs sur une photo d'Alice. C'était aussi pour accentuer le côté cauchemardesque de ce qui s'est passé avant. C'est comme quand on se réveille après avoir fait un rêve : on se sent en sécurité, mais il en reste quand même quelque chose.
Recueilli à Cannes le 11 mai 2005 par Julien Dokhan