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    "Le Promeneur du Champ-de-Mars" : Rencontre avec Jalil Lespert

    Dans "Le Promeneur du Champ-de-Mars" de Robert Guédiguian, Jalil Lespert est Antoine Moreau, le journaliste auquel un président mourant, mais toujours vif, livre ses dernières maximes. Confidences du confident...

    Aperçu récemment en inspecteur de police judiciaire dans L' Ennemi naturel, Jalil Lespert ne quitte plus le pardessus, mais se mue en journaliste, pour recueillir les derniers mots d'un président à l'agonie, qui rappelle décidément quelqu'un...

    Allociné: qu'est-ce qui vous a amené à vous impliquer dans ce projet ?

    Jalil Lespert: Tout d'abord la rencontre avec Robert Guédiguian, qui m'a parlé de ce film. Et puis le fait de jouer aux côtés de Michel Bouquet, que je voyais déjà incarner Mitterrand. Le scénario, ensuite, m'a attiré. Je connaissais le livre de Georges-Marc Benamou, j'aimais assez la relation entre les deux personnages. Quand j'ai lu le scénario, j'ai trouvé très belle la manière dont Robert s'était emparé du sujet en transformant le rapport qui les liait, et en le ramenant à un rapport maître-élève, à un échange philosophique.

    Comment avez-vous abordé le personnage d'Antoine Moreau ? Avez-vous par exemple rencontré Georges-Marc Benamou ?

    Non, je l'ai eu quelques fois au téléphone, mais vraiment par politesse. Pour moi, le personnage est beaucoup plus proche de Robert Guédiguian, de son idéalisme, de ses convictions politiques. Je considère plus Antoine comme un militant que comme un journaliste d'investigation. Il fallait créer tout à fait autre chose, y mettre beaucoup de pureté, de convictions... J'ai dix ans de moins que Benamou à l'époque où il fréquentait Mitterrand, les rapports entre le président et mon personnage en sont modifiés. Je vois Antoine Moreau comme une figure, la figure de la gauche, une gauche qui a espéré, a cru en 1981 à l'avènement de la gauche en France, et qui 14 ans plus tard a un peu la gueule de bois, tout en restant fascinée et en conservant une grande tendresse pour Mitterrand, et pour l'espérance qu'il représentait.

    Le film est une fiction librement inspirée d'un livre qui rapporte des évènements réels. A-t-il une vocation historique ?

    Non, c'est un vrai film de cinéma, une oeuvre en soi. En revanche, il est porteur d'un propos politique, qui m'a tout de suite parlé. Quand Robert m'a présenté son projet, on sortait quasiment du second tour des présidentielles de 2002, avec Le Pen au second tour. La gauche était éclatée, n'avait plus de leader, n'existait plus –n'existe toujours plus d'ailleurs. J'ai tout de suite trouvé très important qu'on parle de ce qu'avait pu cristalliser Mitterrand. Mais la vocation du film n'est pas purement historique. On y parle d'un personnage public, devenu historique, mais il n'y a pas d'approche documentaire. La véracité historique, point par point, n'était pas le propos du film.

    Le film cherche-t-il à éclairer la personnalité de François Mitterrand, ou à montrer qu'on ne peut en démêler l'écheveau ?

    Je pense que Guédiguian s'est dit qu'il allait partir du livre de Benamou, où l'on trouve beaucoup de factuel, d'anecdotes politiques, politiciennes, où l'on ne parle pas que de Vichy, mais aussi de Balladur, de Jospin, des rocardiens, de tout l'entourage de Mitterrand au moment où Benamou écrivait son livre. Mais il fallait se dégager de l'anecdote, épurer. Evidemment, on a gardé la question de Vichy, parce que c'est une composante de ce personnage et de la France. Mitterrand est un homme qui a traversé le siècle dernier, et, entre autres, ses années troubles. C'est indémêlable. On aimerait que ce soit démêlable, avoir des réponses claires. A ce propos, durant le tournage, je lisais L'écriture ou la Vie, un livre de Jorge Semprun, qui parle de la déportation, de son expérience personnelle. Il y explique qu'il ne peut pas commenter, transmettre tout à fait ce qu'il a vécu, de manière documentaire. La seule façon pour lui de transcender son expérience c'est l'art, l'écriture. Je crois que ce film, qui est une véritable oeuvre de cinéma, répond, d'une certaine manière, à cette nécessité.

    Ne craigniez-vous pas que le personnage du président en fin de règne, qui est le coeur et la raison d'être du "Promeneur...", n'écrase par sa présence un autre élément important du film, plus nettement fictif, le parcours psychologique du jeune journaliste que vous interprétez ?

    Non, c'est un film sociétal, politique. On parle d'une figure partie il y a dix ans, la mémoire est toujours vive. Ce qui est beau avec ce film, c'est qu'il dépasse le champ cinématographique. La mise en scène, que je trouve superbe, s'efface, ne se met pas en avant. Elle porte son sujet. Je ne suis pas étonné que les gens attendent surtout Mitterrand et Michel Bouquet, qui est exceptionnel.

    Comment définiriez vous la relation qui lie ce journaliste et le président ?

    C'est en premier lieu un rapport maître-élève absolument évident. Une relation faite d'amour et de haine. Antoine est obsédé et fasciné, mais il distingue aussi des zones d'ombre à éclairer. Dans ce rapport l'enjeu majeur est à mon sens la transmission, voire même la non-transmission possible, pour tout ce qui concerne Vichy ou l'exercice du pouvoir, entre autres... Ce jeune journaliste devient si obsessionnel que tout cela finit par empièter sur sa propre vie. Pour moi, leurs rapports sont vraiment symboliques de ceux qu'entretiennent Mitterrand et la France -la France de gauche, qui a voté pour lui, a été déçue, et qui, au final, relativement apaisée, ressent encore énormément de sympathie et de fascination pour lui. A gauche comme à droite d'ailleurs, personne ne pourra dire que ce n'était pas un homme qui était au-dessus de la mêlée, avec une stature évidente, un charisme.

    Vous faites partie de ce qu'on a appelé la génération Mitterrand. Quel regard portez-vous, à titre personnel, sur l'ancien président ?

    Un regard nostalgique. C'est aussi en cela que le film m'intéressait. Nous vivons déjà dans la nostalgie de ce qu'ont été les espérances portées par Mitterrand, par la gauche. Un président de gauche, il n'y en a eu qu'un seul. Ca a un vrai sens, surtout aujourd'hui. Cet aspect politique me touche énormément. Et puis j'ai grandi avec lui, j'avais 5 ans quand il a été élu pour la première fois. Mon adolescence s'est déroulée sous son second septennat, j'ai forgé mes opinions à ce moment là. J'ai également été déçu, mais tellement charmé par l'homme. C'est plutôt la mondialisation qui m'a déçu. Si les espérances de la gauche n'ont pas pu se concrétiser, ce n'est pas la faute d'un seul homme. Ce serait trop lui reprocher. C'est un processus mondial. Je garde surtout pour Mitterrand une tendresse particulière, parce c'est un homme qu'on a eu l'impression de côtoyer. Ce côté romanesque, littéraire, libertaire même, voire libertin, qui fait la complexité du personnage, alimente la tendresse qu'on éprouve pour lui. C'était un humain, pas un technocrate.

    Que pensez-vous des réactions, parfois mitigées, des gardiens de la mémoire mitterrandienne à l'égard du film ?

    Je n'ai pas lu leurs réactions. Je crois que ça doit être très compliqué, pour les proches et la famille. Mazarine a vu le film, et, d'après ce que j'ai cru saisir, même si elle était troublée, elle a bien compris que c'était une fiction. Ce qui intéressait Robert et Michel, ce n'était pas que ce dernier imite Mitterrand. Michel a interprété un rôle, et il s'en est également dégagé. Nous avons abordé Mitterrand comme un souverain, pas toutefois dans le sens où on pouvait dire de lui qu'il avait une attitude de monarque. Mais dans la fonction de dirigeant, il y a une dimension quasi-shakespearienne. Je crois que Guédiguian avait envie de montrer cette nostalgie, dans la France actuelle, ancrée à droite, avec une gauche qui se démène pour essayer d'exister. C'est un hommage à l'homme. Un film ne peut pas tout retranscrire, il ne doit même pas essayer de le faire. Sinon il faut faire un documentaire. J'en reviens à Semprun.

    L'équipe du film a-t-elle fait l'objet de pressions, a-t-on cherché à vous mettre des bâtons dans les roues ?

    Non, je ne crois pas. Certains, comme Michel Charasse, se sont méfiés dès le début, parce que le livre de Benamou avait à sa parution beaucoup dérangé, en partie à cause de son succès. C'est finalement la personne qui connaissait le moins Mitterrand qui a écrit un livre. Ce livre, je l'ai abordé comme un roman, une oeuvre littéraire -qui s'est, encore une fois, bien vendue. Forcément il y a eu des animosités. Après, dans le livre de Benamou, l'histoire des ortolans, tous ces micro-scandales, c'est de l'ordre de l'anecdote.

    Avez-vous des projets de tournage pour les temps qui viennent ?

    Non, pas pour l'instant, je me repose. Deux films dans lesquels je joue vont sortir prochainement : Virgil, un premier film de Mabrouk el Mechri, qui prend pour cadre le milieu de la boxe et l'univers carcéral, et Le Petit lieutenant, le film de Xavier Beauvois. Un polar qui s'attache surtout à décrire l'univers des flics.

    Propos recueillis par Alexis Geng le 11 février 2005

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