"Je veux être calife à la place du calife !" Le voeu éternel du grand vizir Iznogoud, formulé maintes et maintes fois en bande dessinée durant près de quarante ans, s'apprête à l'être sur grand écran ! Le 9 février, Iznogoud débarque au cinéma, avec Michaël Youn sous les traits du méchant vizir et le regretté Jacques Villeret en calife Haroun El Poussah. Quelques jours avant la sortie de ce film-évènement, AlloCiné a rencontré le réalisateur Patrick Braoudé (Neuf mois), l'homme qui s'est chargé de mettre en images les aventures créées au début des années 60 par le duo Goscinny/Tabary. Moteur ? Action !
Le réalisateur de "Neuf mois" est-il fier de son nouveau bébé ?
Patrick Braoudé : Oui ! (rires) Avec ce film, après des comédies intimistes, j'ai pu me diriger vers un cinéma que j'adore. Quand j'étais gamin, j'adorais voir les péplums, j'ai de grands souvenirs de Lawrence d'Arabie, Ben-Hur, Les Dix Commandements, Sinbad le marin... Faire un film comme Iznogoud me permettait d'aller vers ce cinéma populaire, à grand spectacle. Il y avait beaucoup plus de travail qu'avec mes autres films, il y a eu un an de préparation, je devais diriger beaucoup plus de monde. Je devais avoir un oeil sur tout, les décors, les effets spéciaux, les costumes, le turban de Michaël, sa forme, sa couleur, plein de détails, la forme de sa barbe.... Mais même si il y a beaucoup plus de choses à gérer et que, parfois, on se dit "vivement le clonage !", l'essentiel restait, comme dans tous mes films, la direction d'acteur. Et c'est tellement ludique à faire, un film comme Iznogoud, qu'on trouve forcément l'énergie pour mener à bon port ce grand paquebot !
Comment en êtes-vous arrivé à adapter la BD "Iznogoud" ?
Au départ, il y avait l'amour des grands films à grand spectacle et la volonté de tourner autre part que dans les rues, les restaurants ou les appartements parisiens. Pour mon dernier film, Deuxième Vie, j'étais parti tourner deux jours au Maroc et la beauté des lieux m'a vraiment donné envie d'y revenir. Sur le chemin du retour, je cherchais un sujet et Iznogoud est venu très vite, par association d'idées. Le Aladdin de Disney venait de sortir et je me suis dit que faire un film sur Les 1001 nuits, créer un vrai univers autour de ce mythe, ça n'avait pas été fait depuis longtemps. Quand on pense 1001 nuits, on pense Shéhérazade, Sinbad le marin, Ali Baba, mais il y avait un côté un peu vieillot dans tout ça. J'ai alors pensé à Iznogoud. Il y avait dans cette histoire quelque chose d'extrèmement moderne, avec cette phrase universelle : "Je veux être Calife à la place du Calife !" Plantu a d'ailleurs fait un dessin dans Le Monde reprenant cette phrase, avec Sarkozy tirant le tapis sur lequel est Chirac ! C'est ce côté universel de la BD, avec cette personne qui veut prendre la place d'une autre, qui m'a fait dire qu'il serait plus intéressant de parler d'Iznogoud que d'Ali Baba.
Est-ce que "Iznogoud" a bercé votre jeunesse de lecteur ?
Oui, bien sûr, mais je n'étais pas non plus un fan absolu. J'étais un grand lecteur de BD en général. Je pense que ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, plein de BD sont adaptées par des metteurs en scène. On a découvert ces oeuvres quand on avait 8-10 ans, aujourd'hui on a tous entre 40 et 50 ans et on se replonge dans ce qui nous a fait rêver gamins. On est issus de la génération BD. J'étais abonné à Spirou quand j'avais huit ans et on faisait des réunions le jeudi après-midi. Une cousine était abonnée au Journal de Mickey, mon cousin lisait Tintin, on amenait des numéros de Pif, de Pilote, et on lisait tout ça ensemble ! Dans l'univers qu'on aimait, il y avait bien sûr Iznogoud. C'était le personnage le plus méchant qui existait et il se plantait toujours. C'est un peu Vil Coyote, qui essaye d'attraper Bip-Bip et qui n'y arrive jamais, qui se prend à chaque fois une enclume sur la tête ! Iznogoud, c'est ça, c'est le vrai looser, un personnage qui reste, dont on se souvient vraiment...
Le film est adapté de la BD, mais vous avez également pris pas mal de libertés...
Oui. De toutes façons, je pense qu'adapter, c'est, quelque part, un peu trahir. Ceux qui ont vu Autant en emporte le vent et qui ont lu le roman peuvent peut-être se dire que ça, c'est pas comme ça, ou comme ça... C'est le point de vue d'un metteur en scène, d'un auteur. C'est important, car sinon il n'y a pas d'âme dans le film que l'on fait. Pour moi, l'essentiel était de ne trahir ni la mémoire de René Goscinny, ni celle de Jean Tabary. Ma petite satisfaction, entre guillemets, c'est que Anne Goscinny, la fille de René, et toute la famille Tabary ont été très contents du film et ont vraiment eu l'impression de retrouver l'univers d'Iznogoud. Surtout, Jean Tabary est venu sur le tournage et m'a fait un beau compliment. Il m'a dit : "Tes costumes et tes décors sont plus beaux que ceux que j'ai dessinés pendant quarante ans."
Michael Youn s'est-il imposé d'entrée pour le rôle d'Iznogoud ?
Quand j'ai écrit le scénario, je n'arrivais pas à imaginer quel acteur pouvait jouer Iznogoud, alors que j'avais vraiment écrit en pensant à Jacques Villeret pour le rôle d'Haroun El Poussah. Pour que le film soit proche de la BD, je voulais l'écrire comme si je l'écrivais pour Louis De Funès, qui était le premier choix de Goscinny. Mais ensuite, il a fallu trouver quelqu'un ! A cette époque, je ne connaissais pas Michaël Youn. Je l'ai découvert avec le Morning live. Ce mec-là a une énergie folle. C'est un acteur excessif comme je les aime. Ce qui me fait rire au cinéma, ce sont les Marx brothers, Laurel et Hardy, Jerry Lewis, De Funès ou encore Jim Carrey, des acteurs qui vont très loin dans la comédie. Michaël est dans cette lignée. Je pense sincèrement qu'il est un digne héritier de De Funès. Il a cette énergie, ce génie, il incarne vraiment les personnages. Je trouve qu'avec Iznogoud, il a montré qu'il était vraiment un acteur. Il n'a pas fait du Michaël Youn, il a incarné un personnage. Il a joué à fond la folie, les excès, les obsessions du personnage en faisant vraiment ressortir son humour. Je crois qu'il va devenir l'un des acteurs de comédie essentiels des prochaines années. Et puis il saura aussi faire autre chose...
Ce qui ressort, autant avec Michael Youn qu'avec les seconds rôles du film, c'est qu'aucun ne semble faire son petit sketch personnel...
On peut faire des films où chacun vient faire son petit numéro, son petit sketch, sort ses petites vannes. Je n'avais pas envie de ça, ce n'est pas mon genre de cinéma. J'aime les films où les personnages sont vraiment incarnés, où l'acteur vient faire son travail d'acteur et pas son petit numéro. Je voulais que mes acteurs fassent un boulot d'acteur, qu'on oublie Michaël Youn. Quand on voit DiCaprio dans Aviator, on oublie DiCaprio, tout d'un coup on a Howard Hughes en face de nous. Il est exceptionnel, on oublie l'acteur, il EST le personnage et on sent qu'il y a eu une vraie complicité entre l'acteur et le metteur en scène pour aboutir à ce résultat. C'est un peu comme ça que je conçois mon métier et mon travail avec les comédiens.
Comment résumeriez-vous "Iznogoud" au final ?
Plus qu'un film, j'ai eu envie de faire un spectacle qui se regarde avec des yeux d'enfants, où l'on puisse retrouver les plaisirs de l'enfance. Un divertissement familial avec des chansons, des chorégraphies, un film coloré. La référence, c'était d'être proche d'un Disney, d'un Shrek, de ces dessins animés comme Aladdin où, tout d'un coup, tout le monde se met à chanter sur le tapis magique, et puis hop on retourne à l'histoire... J'ai eu envie de faire un vrai spectacle familial, populaire. Que les enfants puissent voir Iznogoud avec leur parents, que les grands-parents emmènent leurs petits-enfants, et que tous, en sortant du film, se disent : "Tiens, je suis un petit peu retourné en enfance...".
Propos recueillis par Clément Cuyer le 26 janvier 2005
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