Légende incontestée du music-hall dans les année soixante et soixante-dix, très populaire en France où elle collabora avec les plus grands, de Serge Gainsbourg à Jacques Brel, la chanteuse britannique Petula Clark a marqué de son empreinte toute une génération. L'idole des yéyés, en marge de ses activités de chanteuse, s'est également illustré sur grand écran : plus de trente longs métrages à son actif, aux côtés de légendes du septième art comme Francis Ford Coppola, Peter O'Toole, Alec Guinness ou encore Peter Ustinov.
A l'occasion de la sortie de Kaléïdoscope (le 8 avril chez Sanctuary/BMG), un nouvel album en forme de compilation de luxe, AlloCiné ne pouvait manquer de converser cinéma avec cette légende qui connut Hollywood à l'une de ses périodes-clés et qui fut la dernière à danser aux côtés de Fred Astaire. L'occasion d'évoquer l'âge d'or du cinéma américain en compagnie d'une grande dame du spectacle, aussi impressionnante qu'abordable. Séquence souvenir...
AlloCiné : Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience sur grand écran, alors que vous étiez à l'époque une vedette internationale de la chanson ?
Petula Clark : C'était une période bénie pour moi. C'était la fin des années soixante, je connaissais la gloire grâce à la chanson, et le septième art m'a ouvert des portes et fait découvrir des univers que je n'aurais jamais imaginé pouvoir explorer un jour. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec de grands noms du cinéma, comme Fred Astaire et Francis Ford Coppola pour La Vallée du bonheur, ou Peter O'Toole pour Goodbye, Mr. Chips. Et à chaque fois pour des comédies musicales, ce qui constituait le rêve pour moi : chanter et danser en même temps !
C'était très étrange, car j'ai à la fois collaboré avec des gens de la vieille garde hollywoodienne et ceux qui venaient derrière, qui avaient les dents longues : Francis Ford Coppola étant l'exemple parfait de ces jeunes gens hyper-motivés et désireux de renverser l'ordre établi. Pouvoir m'exprimer à cette période charnière du cinéma américain fut une expérience très enrichissante pour moi. C'est quelque chose que je n'oublierai jamais.
Justement, comment avez-vous vécu cette période qui bouleversa la donne du cinéma américain ?
J'avais déjà une expérience d'actrice avant mon aventure hollywoodienne, en jouant dans de nombreux films britanniques. Mais lorsqu'on m'a proposé de partir aux Etats-Unis pour jouer aux côtés de Fred Astaire, j'étais pétrifiée et je ne voulais pas m'y risquer. Mais j'ai finalement accepté et je ne le regrette pas : lorsque je suis arrivée à Hollywood, c'était incroyable d'observer cette cassure qui était en train de se former entre les grands studios un peu sur le déclin et les jeunes artistes qui ne demandaient qu'à tout changer, dévorés d'ambition. C'était une situation très intéressante que j'ai pu observer furtivement, par le petit trou de la lorgnette, comme une privilégiée.
Cette situation était palpable sur le tournage de La Vallée du bonheur, la comédie musicale de Francis Ford Coppola dans laquelle je côtoyais Fred Astaire. Coppola était toujours en désaccord avec le studio Warner, cela provoquait de nombreux remous. Je me rappelle par exemple qu'il tenait absolument à tourner une scène dans un véritable champ, en extérieur. Les pontes de la Warner ne comprenaient pas cet entêtement, et voulaient faire cela en studio. C'était déjà le début de la fin, je pense, pour les Majors de l'époque et leur mode de fonctionnement très rigide.
Parlez-nous de votre travail avec Coppola et Fred Astaire sur "La Vallée du bonheur"...
C'étaient deux personnalités extraordinaires. Nous avons vraiment passé des moments fabuleux, nous nous sommes beaucoup amusés. Je me rappelle encore de Francis Coppola arrivant sur le plateau de tournage hirsute, cheveux longs et barbe de plusieurs jours, à bord d'un gigantesque van ! C'était la sensation, il choquait son monde, surtout la vieille garde hollywoodienne en costard-cravate !
Quant à Fred Astaire, j'étais terrifié à l'idée de danser avec lui ! Imaginez : l'un des plus grands danseurs de l'histoire ! Le premier jour de tournage, mes jambes tremblaient mais il a toute de suite rendu les choses faciles. Il m'a sublimé à l'écran, m'a donné le sentiment que j'étais née pour danser. Fred travaillait plus que n'importe qui. C'était un perfectionniste, un homme charmant, mais également quelqu'un de très fragile, avec peu de confiance en lui. Il ne comprenait pas toute cette folie autour de son nom. On aurait pu craindre des étincelles entre lui et Coppola, qui venaient de deux écoles différentes, mais tout se passa de manière angélique.
Quant à moi, chanter et danser entre ces deux géants, vous pouvez imaginer quel était mon bonheur ! Surtout lorsque Fred, à la sortie de notre premier jour d'enregistrement pour la musique du film, s'exclama plein de fierté : "J'ai chanté avec Petula Clark !" Le monde à l'envers !
Propos recueillis par Clément Cuyer