Lire Lolita à Téhéran ne connaît aucune frontière : ses actrices sont Iraniennes, son réalisateur est Israélien et le tournage s'est déroulé à Rome, en Italie. Pour Mina Kavani, qui joue Nassrin, c'est la preuve ultime que "l'art est fait pour nous réunir". C'est aussi le sujet du film.
Publié en 2003 par Azar Nafisi, Lire Lolita à Téhéran est un roman connu dans le monde entier. Traduit en 32 langues, il s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires et s'est classé pendant plus de 100 dans le liste des best-sellers du New York Times.
L'histoire s'inspire du parcours de son autrice, professeure d'anglais à l'université de Téhéran au début de la Révolution iranienne - son rôle est interprété par Golshifteh Farahani à l'écran. Pour protester contre le régime et les lois liberticides, elle décide de créer un groupe de lecture où plusieurs femmes se réunissent pour parler d'ouvrages occidentaux accusés de salir la morale du pays.
Son adaptation cinématographique, signée Eran Riklis, rassemble des actrices iraniennes aux parcours très différents mais dont l'exil est un trait commun. Film politique et plus actuel que jamais, Lire Lolita à Téhéran met en lumière le combat de tout un chacun pour préserver sa liberté.
AlloCiné : Le film commence en 1979, début de la Révolution iranienne, puis se poursuit sur plusieurs décennies jusqu'en 2003, année de la publication du livre. Pourquoi, selon-vous, Lire Lolita à Téhéran résonne encore plus fort dans notre société actuelle ?
Golshifteh Farahani : Aujourd'hui, les dirigeants de ce monde construisent des murs et séparent les citoyens de plus en plus. L'art et la culture sont des cibles principales puisqu'ils réunissent et inspirent les gens. Ils donnent de l'espoir et nous rappellent qu'on est juste des êtres humains. Ce n'est pas pour rien que l'on brûle des livres dans les régimes totalitaires. Voilà la force d'un film comme Lire Lolita à Téhéran.
Quand on se bat pour la femme en Iran, on se bat pour toutes les femmes du monde.
Les personnages du film sont principalement féminins et vous toutes, vous partagez l'exil. Il vous est impossible de revenir en Iran sous peine de sanctions et d'emprisonnements. Comment avez-vous vécu cette expérience, celle de vous retrouver ensemble ?
Mina Kavani : C'est la première fois que nous jouons ensemble. La plupart de mes scènes sont avec Golshifteh et, je dois le dire, je la fréquentais lorsque j'étais petite à Téhéran. Enfant, elle était déjà une star en Iran donc on se connaît depuis longtemps. Elle était amie avec ma grande sœur.
Jouer avec elle, c'était symbolique parce que, même si nos chemins sont différents, on s'est retrouvées dans la même situation avec la même soif de vie. Et ici, on se retrouvait sur un plateau de tournage dans un film qui raconte nos destins. C'était bouleversant.
Souvent, dans la question du combat pour les droits des femmes, en Iran comme en France d'ailleurs, on s'adresse principalement aux citoyennes, mais ce combat concerne aussi les hommes. Si les droits des femmes sont en danger, tous les droits le sont, peu importe le genre.
Golshifteh Farahani : Quand on se bat pour la femme en Iran, on se bat pour toutes les femmes du monde, on se bat pour n'importe quel genre, pour l'humanité, la justice, l'égalité. Ce sont les valeurs humaines. Et ce n'est pas une question géographique non plus. Lorsque le Covid est apparu, il n'a pas choisi les pays dans lesquels il allait se propager. Tout le monde était concerné.
Mina Kavani : Surtout que nous, on vient d'un pays où les hommes se battent beaucoup pour les femmes. Je me souviens que pendant le mouvement Femme Vie Liberté, personne ne parlait de ça. Il y avait beaucoup d'hommes qui ont été prisonniers, tués, massacrés parce qu'ils se battaient pour les femmes.

Il y a forcément un sentiment de solitude lié à l'exil...
Golshifteh Farahani : Je crois que tous les êtres humains vivent avec une solitude en eux. Seulement, l'exil amplifie ça. La beauté, si je puis dire, de cet exil, c'est de pouvoir mettre des mots sur ce sentiment avec celles et ceux qui le vivent.
Nous vivons en France et je dois dire que ce pays fait partie de ceux qui ont le plus fait pour les femmes iraniennes et pour l'Iran. Culturellement je veux dire. Nous sommes reconnaissants de ça. Il y a beaucoup d'artistes qui ont besoin de partir et c'est la France qui donne des visas pour qu'ils puissent y trouver une autre chance, surtout quand leur vie est en danger.
L'histoire se déroule à Téhéran, en Iran, mais l'intégralité du film a été tourné à Rome, en Italie.
Mina Kavani : Oui, car c'est tout simplement interdit de tourner en Iran, de jouer sans le voile, de raconter la réalité de là-bas. Il y a une notion de censure qui empêche les artistes de s'exprimer. Les seuls films tournés en Iran sont fabriqués de manière clandestine. C'est un risque énorme. Beaucoup ont été attrapés et n'ont pas pu finir leur film.
Le générique de fin est accompagné d'une chanson, "Baraye", de Shervin Hajipour. Ce titre est devenu un hymne lors du soulèvement des citoyens contre le régime des mollahs en 2022. Le chanteur a d'abord été condamné à trois ans et huit mois de prison pour "propagande". Il a finalement été relâché quelques mois plus tard.
Golshifteh Farahani : L'artiste, Shervin Hajipour, a demandé aux gens d'écrire sur Twitter toutes les raisons qui les poussent à faire la révolution. Il a ensuite pris tous les tweets pour en faire une chanson. Lorsque le groupe Coldplay a interprété ce titre à leur concert [Golshifteh Farahani a interprété la chanson avec le groupe sur scène en 2022, ndlr], c'était important parce que ça donnait un retentissement international au mouvement.
L'histoire de Shervin Hajipour reflète bien celle de Lire Lolita à Téhéran. On se réunit en secret parce que la littérature nous maintient vivantes. Shervin, lui, a été emprisonné parce qu'il est une menace pour le régime. Un régime qui a tellement d'armes, de drones, d'argent mais ils ont peur d'une simple chanson.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, en février 2024.
Lire Lolita à Téhéran, actuellement au cinéma