Adolescence : pourquoi il est impératif que tous les hommes et les jeunes garçons voient la série Netflix
Emilie Semiramoth
Emilie Semiramoth
Cheffe du pôle streaming, elle a été biberonnée aux séries et au cinéma d'auteur. Elle ne cache pas son penchant pour la pop culture dans toutes ses excentricités. De la bromance entre Spock et Kirk dans Star Trek aux désillusions de Mulholland Drive de Lynch, elle ignore les frontières des genres.

Avec "Adolescence", Stephen Graham et Jack Thorne signent une série coup de poing sur la violence envers les femmes et l'importance d'une vraie éducation des garçons et des hommes.

Attention, spoilers ! Cet article revient en détail sur l'intrigue de la série Adolescence. Si vous ne l'avez pas encore vue et ne souhaitez pas en connaître la teneur, ne poursuivez pas votre lecture.

Lancée sur Netflix le 13 mars, Adolescence est une véritable claque. Cette mini-série britannique raconte l'histoire de Jamie Miller (Owen Cooper), un garçon de 13 ans accusé d'avoir assassiné une camarade de classe, Katie Leonard. La jeune fille a été poignardée sept fois (!) dans un parking, à proximité de son école.

Filmé par des caméras vidéo-surveillance lors de son passage à l'acte, Jamie est arrêté manu militari par une horde de policiers armés jusqu'aux dents au petit matin chez ses parents, comme s'ils venaient débusquer un terroriste. D'entrée de jeu, le ton est donné et la série n'entend pas relâcher la pression.

Car cette attaque brutale soulève une question difficile mais essentielle : pourquoi des hommes continuent-ils à commettre de tels actes de violence contre les femmes ? Et là, en l'occurrence un jeune garçon envers une jeune fille ?

La série ne se contente pas de respecter une trame policière classique qui enlèverait tout impact au message qu'elle entend faire passer. Elle pose un regard acéré sur un problème sociétal majeur. "On a voulu poser la question : qu'arrive-t-il à nos jeunes garçons aujourd'hui ? Quels sont les enjeux qu'ils affrontent, que ce soit via leurs pairs, Internet ou les réseaux sociaux ?", explique Stephen Graham, co-créateur et acteur principal de la série au site Tudum.

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Un récit fictif mais une réalité édifiante

Si Adolescence ne repose pas sur une vraie affaire, elle s'inspire de faits divers qui deviennent récurrents. "Ces dix dernières années, on a assisté à une véritable épidémie de crimes au couteau commis par de jeunes garçons au Royaume-Uni", confie Graham à Radio Times. "Mais ce qui m'a vraiment marqué, ce sont ces cas où de jeunes garçons ont tué de jeunes filles. Je voulais comprendre pourquoi."

Cette réalité plus qu'alarmante est confirmée par un rapport du National Police Chiefs' Council (le NPCC qu'on peut traduire par Conseil national des chefs de police) publié en juillet dernier et qui faisait l'objet d'un article du Guardian. Il estime qu'au moins une femme sur 12 sera victime de violence sexiste ou sexuelle chaque année. Cela représente 2 millions de victimes...

Si la situation n'était pas déjà assez inquiétante, le rapport souligne aussi que les agresseurs sont de plus en plus jeunes. Enfin, les observateurs constatent que ce phénomène est en partie alimenté par des contenus en ligne de nature extrême. C'est-à-dire qu'il y a toute une part de "l'éducation", de l'apprentissage de la vie et du rapport aux autres qui échappent aux parents qui ont des enfants nés au 21ème siècle et pour qui les réseaux sociaux sont une véritable extension de leur vie sociale.

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Réseaux sociaux et communautés toxiques

Et c'est ce qu'on va comprendre au fil des épisodes. Car Adolescence se livre à une véritable démonstration. La série lève le voile sur ce que beaucoup d'adultes ignorent : comment les garçons adolescents peuvent être influencés par des personnalités néfastes qui sévissent en ligne en toute impunité.

Le mouvement des incels, la "manosphère" (qui désigne la sphère masculiniste en ligne), et l'influence de personnalités comme Andrew Tate (un influenceur masculiniste) sont abordés de manière directe. "J'ai entendu les garçons parler de lui", dit un professeur dans la série. C'est toute la masculinité toxique qui est pointée du doigt.

Ashley Walters, qui incarne l'inspecteur Luke Bascombe, découvre que son propre fils, Adam, est familier avec ce langage très codé et ces communautés en ligne. Ce constat pousse le policier, pourtant censé être au fait de ces phénomènes de société, à reconsidérer son rôle de père et l'importance d'un dialogue authentique avec son fils.

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Une éducation préventive indispensable

À la fin de ses quatre épisodes, la série pose alors une question aussi essentielle qu'angoissante : comment prévenir la violence masculine ? Pour Stephen Graham, tout commence par l'éducation des jeunes garçons : "On doit leur donner les outils nécessaires pour comprendre et gérer leurs émotions, particulièrement face au rejet et à la frustration."

Car c'est bien le rejet et la frustration qui ont conduit Jamie à ce geste extrême. Il a été victime de moqueries et de cyberharcèlement. Et même plusieurs mois après le drame, alors qu'il est incarcéré dans un centre spécialisé dans l'attente de son procès, le garçon de 13 ans déploie la même hargne, la même violence et ne semble en aucun cas regretter avoir ôté la vie de sa camarade de classe.

Revenons à l'inspecteur Bascombe. La série livre une scène qui pourrait sembler anodine, et pourtant indispensable pour l'éducation des ados, où il propose à son fils un moment simple : partager des frites et discuter sans rien faire d'autre. Ce qui peut sembler anodin est en réalité crucial. Il s'agit simplement de créer un espace de dialogue avant que la frustration et la colère ne débouchent sur la violence. Son fils est lui aussi marginalisé au sein de son lycée et son père ne s'en rend pas compte...

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Un message essentiel

Qu'on se rassure : Adolescence ne cherche pas à excuser l'inexcusable, ni à faire la leçon au spectateur. Il s'agit d'explorer et donc de comprendre les causes profondes de la violence masculine et de trouver des solutions en amont. "Ce qui m'intéressait était de comprendre comment ces actes arrivent et ce que nous pouvons faire pour empêcher qu'ils se reproduisent", explique Graham.

En mettant un coup de projecteur sur les dangers de la radicalisation en ligne et le rôle essentiel des parents et de l'éducation, Adolescence dépasse son simple statut de série de divertissement.

En adressant un sujet de société, superbement ignoré par les politiques malgré des drames à répétitions et une violence sourde qui s'insinue dans le quotidien de chacune et chacun, elle s'impose comme une série essentielle. Car c'est un moyen de créer la discussion. C'est aussi un rappel élémentaire que la lutte contre la violence envers les femmes commence bien avant le passage à l'acte.

Adolescence est dès à présent disponible sur Netflix.

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