En 2018, le journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi, disparaît au consulat saoudien d’Istanbul. Qui se cache derrière ce crime ? Appuyé de preuves, d’images inédites et d’intervenants comme la fiancée de Jamal, Hatice Cengiz, la police et les procureurs turcs, tout désigne le prince héritier Mohammed Ben Salmane. The Dissident illustre qu’une personne allant à l’encontre de forces puissantes n’est jamais en sécurité…
Singulier parcours que celui du réalisateur Bryan Fogel. Débutant sa carrière par le Stand-up et le théâtre, pour lequel il écrivit une pièce au succès colossal (et adaptée par ses soins en film en 2012), Jewtopia; activiste et militant pour les Droits de l'Homme, il a frappé très fort en 2017 avec son documentaire Icare.
Une hallucinante et vertigineuse plongée dans les coulisses du dopage dans le monde du sport, née d'une rencontre fortuite avec un scientifique russe, le docteur Grigory Rodchenkov, dont le témoignage sera capital pour le bannissement de la Russie aux JO d'hiver de 2018. Entre les contrôles d’urine positifs, mort inexpliquée et médailles d’or olympiques, le tableau, apocalyptique, avait la vigueur d'un uppercut.
Couvert de prix à travers le monde dont le Prix spécial du Jury au Festival de Sundance, et surtout l'Oscar du Meilleur documentaire, Icare fut d'ailleurs acheté 5 millions $ par Netflix au terme d'enchères frénétiques; un record pour un documentaire, qui est toujours disponible sur Netflix.
Une oeuvre d'utilité publique
C'est fort de ce pedigree que Fogel signe trois ans plus tard The Dissident, désormais disponible sur Prime Video. Une enquête absolument glaçante et montée comme un Thriller, aux effets parfois un peu trop appuyés d'ailleurs, alors que la puissance du propos et du sujet n'en ont pas besoin. Fruit de mois de travail et d'enquête, appuyé par des images saisissantes et inédites, le documentaire tire sa grande force des témoignages qui irriguent son implacable démonstration.
Au-delà du très émouvant portrait d'un homme jadis proche du pouvoir avant d'en devenir son ennemi le plus intime au point d'y laisser la vie dans des conditions particulièrement atroces, The Dissident est tout autant un requiem à la mémoire d'un journaliste épris de justice et de liberté, un vibrant plaidoyer pour la liberté de la Presse, qui paye régulièrement celle-ci au prix du sang; qu'un tableau en creux et sans concession de celui qui a commandité cet assassinat : le prince héritier d'Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane al Saoud.

Surnommé MBS, devenu le véritable homme fort du royaume depuis une purge anti-corruption qui a vu le limogeage ou l'arrestation de dizaines de princes, ministres et d’hommes d’affaires, fin 2017, lui assurant le contrôle des principaux leviers du pouvoir, MBS soufflait régulièrement le chaud et le froid. Mais s'était engagé aux yeux de la communauté internationale à renouer avec "un islam modéré", à "éradiquer l'extrémisme", et, in fine, donner des signes tangibles d'ouverture du pays.
Mais ça, c'était avant que son image ne soit dévastée par cette affaire. En février 2021, le président des Etats-Unis Joe Biden avait autorisé la déclassification d'un rapport de la CIA, accusant nommément Mohamed Ben Salmane d’avoir "approuvé" l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018.
The Dissident, une oeuvre d'utilité publique ? Parfaitement. Surtout lorsqu'on sait qu'au regard de son sujet explosif, aucune plateforme n'a voulu prendre le risque de le diffuser à sa sortie, obligeant son distributeur à sortir le film en e-cinema.